• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…
Muddy Gurdy
Vizztone Label Group VTHW-001 – www.vizztone.com
Notre magazine préféré, dans son n°57, nous narra tous les détails du projet « Muddy Gurdy » et sa réalisation. Quelques images diffusées sur les réseaux sociaux nous avaient mis l’eau à la bouche. Le disque tant attendu est enfin disponible avec une diffusion internationale grâce au label Vizztone. Hanté par le puissant North Mississippi Hill Country blues, le trio auvergnat Hypnotic Wheels (Tia Gouttebel : chant et guitare, Marco Glomeau : percussions et Gilles Chabenat : vielle à roue ou hurdy gurdy en anglais) est allé à la rencontre de quelques talentueux musiciens du cru, enfants gâtés des Muses, portant à fleur d’âmes les souvenirs de leur enfance : Sharde Thomas, Cedric Burnside, Cameron Kimbrough et Pat Thomas, dont les illustres ancêtres visitent souvent nos rêves. La gageure d’allier deux cultures populaires, la musique française traditionnelle avec l’utilisation d’une vielle à roue et le blues hypnotique des environs de Como, Mississippi, où plane l’ombre du grand Mississippi McDowell, est très réussie. L’entente établie entre ces deux mondes enregistrés sur une véranda, sous un porche ou dans un juke-joint (Club Ebony à Indianola) les valorise mutuellement. Ainsi découvre-t-on une face inattendue de la vielle à roue. Cet instrument sonne parfois comme un violon ; il donne de la densité à Dream, chanson interprétée par Pat Thomas. Cedric Burnside a délaissé la batterie pour la guitare acoustique ; il se taille la part du lion avec quatre titres, dont deux de son grand-père R.L. et une composition personnelle : That Girl IS Bad. La très bonne chanteuse Sharde Thomas, petite fille d’Otha Turner, nous enchante avec sa flûte de ses mains fabriquée. Le dialogue vielle-flûte sur Station Blues est savoureux. Cameron Kimbrough, petit-fils de Junior Kimbrough, est très à son avantage sur ses deux chansons. Très prometteur, il mérite d’être produit par un label important. N’oublions pas la très grande qualité des interprétations de She Wolf (Jessie Mae Hemphill), Shake’Em On Down (Fred McDowell) et Help The Poor (Charles Singleton) que donnent – inspirés par le cadre de Dockery Farm– Hypnotic Wheels et sa chanteuse-guitariste Tia Gouttebel, une des meilleures artistes de la scène blues actuelle. Ce disque, à la hauteur des ambitions de ses concepteurs, mérite une place de choix dans toute discothèque de blues. – Gilbert Guyonnet
Akeem Kemp
A Woman Needs Love
No numero – www.akeemkempmusic.com
Chanteur, guitariste et songwriter, ce jeune musicien de l’Arkansas s’est produit très tôt au sein d’un quartette gospel avant d’enregistrer son premier album blues, « I Like It All ». « A Woman Needs Love » est son deuxième CD. La voix est belle, le jeu de guitare sait rester sobre et non démonstratif, fluide et clair. L’influence d’Albert King plane sur ce disque. L’écriture d’Akène est simple, elle parle du quotidien, d’histoires personnelles, avec un talent certain. Talent et sobriété que l’on retrouve dans le chant. Six des huit titres sont écrits par Akeem. Les deux autres faces sont I’ll Play The Blues For You immortalisée par Albert King et As The Years Go Passing By de Don Robey, remarquablement interprétées. Il évolue ici en trio avec Kentrell Clemons à la basse et Xavier Acklin aux drums, auquels se joint en fonction des faces Khaleel Tyus aux claviers. J’aime particulièrement la teneur de ce disque qui sait se faire mélancolique ou faire danser, le talent de guitariste de ce nouveau venu sur la scène blues et sa singularité. – Marcel Bénédit
Note : Merci à notre ami Mike Stephenson du magazine Blues & Rhythm en Angleterre qui n’a pas son pareil pour dénicher ce genre de talent brut.
Johnny Tucker
Seven Day Blues
HighJohn 007 – www.highjohnrecords.com
Tucker est un vieux routier des Blues Highways, son C.V. est éloquent, depuis 1964 et son arrivée à Los Angeles où il est engagé comme chanteur par Phillip Walker avant d’être son batteur. Au cours des années suivantes, il chante avec la fine fleur des bluesmen de la West Coast : Floyd Dixon, Lowell Fulson, Johnny Copeland, Robert Cray et bien d’autres… En 1967, il fait partie du band de Johnny Otis et y rencontre James “Broadway” Thomas avec lequel, trente ans plus tard, il enregistrera son premier album, « Stranded », pour Hightone Records. En 2006, Tucker enregistre un premier album pour le label HighJohn Records, « Why You Looking At Me ? », et voici le second paru en février 2018 avec des faces gravées en 2017 en compagnie de quelques pointures : entre autres Big Jon Atkinson (gt, bs) sur 14 des 15 faces, Bob Corritore (hca) sur 5 faces, Scott Smart (gt/bs) sur 13 faces, Troy Sandow (hca) sur 6 faces, et même, en guests, Kid Ramos (gt) et Bob Welch (orgue) sur Tell You All, un jump blues, tandis que Welch est aussi présent sur Love And Appeciation très soul. C’est Tucker qui a composé les 15 morceaux de cet album, du R&B et du blues urbain à l’ancienne, Chicago style, dont se détachent quelques gemmes comme les blues lents One Of These Days, Do Right Man, Gonna Give You One More Chance et You Can Leave My House bien pimentés par le jeu de guitare, tantôt fluide, tantôt rentre-dedans de B.J. Atkinson. On retiendra aussi les blues en médium Tired Of Doing Nothing, Come On Home With Me et Something I Want To Tell You . – Robert Sacré
Vance Kelly & his Back Street Blues Band
How Can I Miss You, When You Won’t Leave
Wolf Records 120.88 – www.wolfrec.com
« Wolf Records m’a donné ma chance d’enregistrer mon premier album, alors qu’aux États-Unis, dans les années 90, aucun label ne voulait me produire. J’en suis reconnaissant à Hannes Folterbauer de m’avoir donné ma chance. Grâce à lui j’ai pu me faire connaître dans le monde entier. C’est la raison pour laquelle je continue à enregistrer sur son label. » Le musicien de Chicago est fidèle en amitié. Il le prouve en enregistrant pour la compagnie autrichienne son neuvième CD ! Le guitariste, aux côtés de sa formation habituelle, nous propose 14 compositions originales qui baignent – comme à son habitude – dans une atmosphère mélangeant habilement le Blues et la Soul, à l’image de ses prestations dans les clubs de la Windy City. Mes coups de cœur vont vers des compositions comme Biscuits, Eggs And Sausage, clin d’œil à Georges Benson, le puissant Don’t Give My Love Away, Sticker Than You dans une veine soul sudiste, ou encore le bluesy Get Home To My Baby. Sa guitare aux effets funky est toujours aussi agile et efficace. Véritable “juke-box”, Vance Kelly sait tout jouer. Depuis son premier CD paru en 1994 intitulé « Call Me » jusqu’à aujourd’hui, l’artiste n’a pas ménagé sa peine. Toujours actif dans les clubs du North et South Side quand il n’est pas en tournée, Vance Kelly avec son solide groupe reste un artiste sur qui il faut toujours compter. Je garde toujours en mémoire, lors de précédents périples sur les bords du lac Michigan, ses superbes interprétations de la composition de Prince, Purple Rain, à chaque fois ce fut excellent. Voici une nouvelle occasion d’apprécier tout son talent. – Jean-Luc Vabres
Bootsy Collins
World Wide Funk
Mascot Records M75142
Pour les lecteurs pressés, on ira droit au but, ce nouvel album de Bootsy Collins est certainement ce qu’il a fait de mieux depuis…. C’est simple, il faudrait être sourd, insensible à la « black music » ou – plus grave ! – de mauvaise foi pour affirmer le contraire. Ici, inspiration et fraîcheur sont au rendez-vous pour ce Come Back Bootsy bien senti (ce n’est pas un hasard si un des quinze titres s’intitule ainsi). Admiratif, on savoure toutes ces plages qui défilent, toutes plus festives les unes que les autres. En fait, une fusion très habile. Comme un mélange de Soul, R’n’B, Hip Hop et Rock psychédélique qui s’invite dans le P-Funk forcément tenace. Et pour cause. Notre bassiste étoilé a bâti sa réputation avec Funkadelic et Parliament dans les années 70. Cela dit, avec « World Wide Funk », tout délire d’une époque désormais révolue est d’office exclu. Et c’est très bien ainsi. Certes, on danse, mais on garde la tête froide. Une consigne qui s’applique aussi aux invités, aussi célèbres soient ils. Des noms ? Stanley Clarke, le regretté Bernie Worrell, Music Souchild ou encore les vétérans du Rap pour le coup très « old school » genre Chuck D. (Public Enemy) et Big Daddy Kane. Sans oublier les jeunes chanteuses-rappeuses, pas forcément connues, mais très efficaces. Un regret cependant, Bootsy ne veut plus faire de scène ! Ce qui rend ce nouveau CD encore plus attachant. Un disque très drôle, très coloré en accord avec la pochette et son livret. – DJ Père NS
DD’s Brothers
From The Day Till The Dawn
Ce duo composé de la chanteuse congolaise Dora Kuvuna et du californien Dorien Smith rassemble autour de lui les guitaristes Matthieu Vial-Collet et Sébastien Pintiaux, le bassiste Quentin Rochas, le batteur Antoine Vial-Collet, les saxophonistes Félicien David (baryton) et Régis Ferrante ainsi que le clavier Jeremy Rassat. Un premier album en 2015, « We Got Law », a fait connaître leur approche très soul dans l’esprit des productions Daptone Records. Ce deuxième CD enregistré au studio Hacienda de Lyon confirme cet ancrage sans nostalgie dans une soul aussi inspirée de Motown, portée de bonnes compositions. Dora et Dorien se partagent les interprétations en anglais, leurs voix hautes (et donnant parfois le sentiment de flotter dans l’air avec une certaine mélancolie pour Dora) ne sont pas très éloignées l’une de l’autre. Une intéressante rencontre à suivre. – Dominique Lagarde
Bettye Lavette
Things Have Changed
Verve / Universal
Retour gagnant pour la légende soul Bettye LaVette. Pour son dixième album – le premier sur une major en près de trente ans – elle a choisi l’univers et le répertoire de Bob Dylan. On avait déjà pu percevoir l’admiration que la diva soul porte à Dylan dans son disque « Thankful N’ Thoughtful » (Anti/Pias) paru en 2012, dans lequel elle faisait une remarquable relecture de l’auteur/compositeur. Ici, c’est tout un album et douze titres du récent prix Nobel de littérature que Bettye revisite avec maestria, servie par d’excellents musiciens et la production sans faille de Steve Jordan. Keith Richards et Trombone Shorty ont aussi apporté leur contribution à cet album. « Things Have Changed » est une pépite née de la rencontre entre l’une des plus grandes chanteuses soul encore en activité et l’un des plus grands songwriters de tous les temps. Alors qu’elle célèbre ses 55 ans de carrière, elle n’a peut-être jamais été aussi « moderne » (écoutez sa reprise de Political World et vous comprendrez…). Respect. – Marcel Bénédit
Tinsley Ellis
Winning Hand
Alligator ALCD 4979 – www.alligator.com
Ellis, né à Atlanta en 1975, est une légende vivante vénéré par des cohortes d’amateurs de blues-rock et de guitare. On a ici le 19è album de sa carrière qui a commencé à Atlanta en 1981 avec des enregistrements pour Landslide Records avec Chicago Bob Nelson et les Heartfixers. En 1988, il passe chez Alligator Records jusqu’en 1997 avec 5 albums au compteur, puis il fait un détour par Capricorn Rec. (2000) et Telarc (2002) avant de revenir chez Alligator en 2005 , le temps de produire trois nouveaux albums et ensuite quatre autres sur son propre label (Heartfixer). Tous ces albums, du premier au dernier, ont fait mouche et lui ont gagné des hordes de fans. Tout au long de cette carrière bien remplie, il a côtoyé et joué avec tout le gratin du blues et du rock et tous sont unanimes sur son talent, sa virtuosité, ses compositions originales, son chant passionné et son charisme. Le voici de retour chez Alligator Records en 2018 avec un album comptant 9 compos originales et une reprise (Dixie Lullaby, un rock’n’ roll écrit par Leon Russell dont Ellis donne une belle version). Pour le reste, on éprouve bien du plaisir à écouter un autre rock bien enlevé, Satisfied, deux beaux blues en medium (Nothing But Fine, Kiss This World), plusieurs ballades bluesy en slow (Gamblin Man, Don’t Turn Off The Light avec des parties de guitare déchirantes, et Autumn Run aux accents tristounets car automnaux – of course) ou plus enlevée (I Got Mine). On a aussi, d’entrée, un blues-rock avec pédale wah wah (Sound of a Broken Man) et en finale Saving Grace, un slow intense où guitare et orgue (Kevin McKendree) s’affrontent pour le grand plaisir de l’auditeur. – Robert Sacré
Fred Chapellier & The Gents
featuring Dale Blade
Set Me Free
Dixiefrog DFGCD 8802 – www.bluesweb.com
Avec plus de vingt ans de carrière et six albums solos, Fred Chapellier est l’un des meilleurs guitaristes de blues en France. Éclectique dans ses choix, ces dernières années, il a accompagné sur scène Otis Clay, Billy Price ou Jacques Dutronc, notamment lors de la tournée des Vieilles Canailles. Mais le blues et la soul sont ses principaux moteurs. Aujourd’hui, il a décidé de se consacrer totalement à son jeu de guitare et à son plaisir de composer. Pour interpréter ses compositions, il a fait appel à Dale Blade, l’une des belles voix de La Nouvelle-Orléans. Les deux hommes s’étaient rencontrés en 2014 au Cahors Blues Festival et avaient interprété ensemble un vieux standard du Rythm & Blues. Aujourd’hui, ils se sont retrouvés pour faire un album complet. Fred s’est entouré des meilleurs musiciens du genre et a participé à la composition de 12 morceaux sur les 13 que comporte l’album. Pour l’interprétation de ses textes, le choix de Dale est parfait car, venant du Gospel, ce dernier sait tout chanter. Alors, avec les solides expériences de leurs passés respectifs, leur réunion sur cet album propose une musique aussi profonde que rafraîchissante. – Robert Moutet
Mother Blues
with Gerald McClendon
Sleeping While The River Runs
Sleeping Dog Records SDRCD-10002 – www.sleepingdogrecords.com
Quelle belle surprise ! Ce disque paru en 2005 n’est arrivé dans notre boîte à lettre qu’il y a quelques semaines. Pourquoi ? Je ne le saurai certainement jamais… Mais il n’y a pas de hasard et la surprise fut de taille en découvrant les 17 faces dont la majorité émane de la plume de l’excellent guitariste Steve Bramer (qui produit cet album) ; le chanteur Gerald McClindon en consigne deux. Pour ceux qui fréquentent régulièrement le Chicago Blues Festival, ces noms ne leurs sont pas inconnus. Gerald McClindon s’y est notamment encore produit en 2016. Si sur scène ou en club Gerald s’est habitué à tout chanter, en passant du blues le plus standard à des morceaux de Marvin Gaye, l’écrin qui lui est offert ici lui va comme un gant. Les compositions et le groupe de Steve Bramer servent efficacement la voix légèrement éraillée de Gerald McClindon dans des morceaux superbes entre soul (magnifique Pass By You, entre autres) et blues. Impossible de choisir un morceau plutôt qu’un autre, ce disque n’a aucun temps mort. McClindon excelle au chant, les musiciens sont à l’unisson, à l’instar de Bramer à la guitare (écoutez l’instrumental Me & Ian), ou d’Hurtin Burt à l’harmonica sur Leaves Tremble On A Tree. Les chœurs apportent également beaucoup à nombre d’interprétations. Voici une formation qu’il serait très agréable de voir tourner en Europe… – Marcel Bénédit
Kat Riggins
Blues Revival
Bluzpick Media Group – www.katriggins.com
Kat Riggins est née Katriva Riggins à Miami, Floride, le 7 février 1980. Elle a grandi et baigné dans un environnement musical au sein du cercle familial. Le style musical de Kat est un mélange de blues avec le hip hop, la pop, le rock, le gospel et même la musique country. « Tout est lié de toute façon », s’exclame-t-elle. Elle s’inspire de jeunes artistes tels que Janelle Monae, Karreim Riggins, SyncOpera, ZZ Ward et Andra Day qui partagent sa passion pour faire revivre la musique. « Il s’agit de l’émotion brute dans chaque note », dit Kat. « Si je peux amener quelqu’un à ressentir ce que je ressens quand je chante une chanson, alors ça en vaut la peine ». Avec son propre groupe, Blues Revival, elle parcourt le monde. Avec ses deux premiers albums, le EP « Seoul Music » et un album original intitulé « Lily Rose », Kat a écrit chaque chanson. Cet album-ci, intitulé « Blues Revival » (non de son groupe) est une déclaration forte et fière de cet amour du Blues. C’est un mélange intelligent de blues, tendance rock ou funky, de blues contemporains et traditionnels, à la frontière des styles. Now I See (Ooh Wee) donne le « La » d’entrée avec une ambiance rockn’roll soutenue. Good Girl Blues est taillé dans le marbre de la Soul. Queen Bee coule dans la veine du Chicago blues contemporain avec un band bien en place. Change Is Gonna Come entamé après quelques notes a cappella donne la chair de poule. La voix profonde et sucrée avec un léger grain de Kat Riggins revisite merveilleusement le titre emblématique de Sam Cooke. Ambiance funky-blues sur Blues Is M Business et texte sans détour The Devil Is A Liar. L’album s’achève sur une thématique qui ne laisse pas indifférent avec Blues Is The New Black. « Je remercie Dieu que ma passion soit mon but… C’est d’aider à préserver cette espèce menacée appelée Le Blues. » À méditer, n’est-ce pas ? – Philippe Prétet
Ronnie Earl & The Broadcasters
The Luckiest Man
Stony Plain Records SPCD 1396 – www.ronieearl.com
Ronnie Earl est un guitariste hors pair qui a remporté un tas de récompenses et Awards, amplement mérités. Il le démontre ici, tout du long. C’est la chanteuse Diane Blue qui intervient dans quelques faces comme Ain’t That Loving You musclé et jazzy avec saxophones, Heartbreak (It’s Hurtin’ Me), un blues syncopé, plus festif que son titre, avec orgue et cuivres, le plaisant slow blues Never Gonna Break My Faith et dans d’autres faces pas toujours très gaies. Pour ma part, j’aime beaucoup les instrumentaux comme Southside Stomp, un beau blues en médium, le superbe Howling Blues en slow avec piano (Dave Limina) et guitare et même Blues For Magic Sam en mode « déprime ». Ma face préférée est un autre instrumental, Long Lost Conversation, où Ronnie Earl est rejoint par des partenaires de la première heure, les premiers Broadcasters (1983) et c’est l’harmoniciste Sugar Ray Norcia qui prend les vocaux avec, entre autres, Anthony Geraci (p), Mike Welch (gt) et Michael “Mudcat” Ward (basse). Dans cet opus, Ronnie Earl rend hommage à son frère avec le très mélancolique Jim’s Song et aussi à son bassiste et grand ami Jim Mouradian décédé inopinément peu avant, via le Death Have No Mercy de Blind Gary Davis chanté en mode mineur par Diane Blue. Le titre de l’album, The Luckiest Man, n’est pas représenté par une face et il est basé sur une phrase que répétait souvent Mouradian : « I’m the luckiest man you know, and I don’t even know who you know »… Au total, ce recueil baigne dans une mélancolie et une tristesse à fleur de peau, un peu trop peut-être si on ajoute encore So Many Roads pathétique, en slow, chanté par Diane Blue. Bref, malgré deux ou trois faces festives (sur douze !), c’est la tristesse et la nostalgie qui dominent, mais c’est très beau. – Robert Sacré
Al Corte’
Mojo
Distribution Blindraccoon – www.alcorte.us
Quand on découvre qui sont les musiciens qui forment le groupe derrière le chanteur Al Corte’, on sait qu’on est à Memphis ! Et pas n’importe où : au Royal Studio de Willie Mitchell, avec la High Rhythm Section (Leroy Hodges Jr à la basse, Michael Toles à la guitare, Rev. Charles Hodges Sr au B3 et Steve Potts aux drums). Pour continuer dans le rêve, s’associent à l’enregistrement Brad Webb à la slide, John Nemeth à l’harmonica, Lawrence “Boo” Mitchell au piano et au synthé (il produit aussi l’album) et Ron Miller, multi-instrumentiste et compositeur de l’ensemble des douze titres du disque. Et ce n’est pas tout. The Royal Singers, Royal Strings, Royal Horns et The Tennessee Mass Choir (sous la direction de Jason Clarck) sont aussi là en fonction des faces pour offrir à cet enregistrement un relief tout à fait inhabituel. On en oublierait presque le leader… Chanteur, percussioniste et co-auteur de trois des titres de l’album, Al Corte’ est tombé dans le chant depuis son plus jeune âge, passé par différents styles dont le blues-rock et le doo-wop. C’est un très bon chanteur qui mène avec brio cet enregistrement qui dût être, pour ce fan de soul, un régal sans précédent. Il peut en être fier. – Marcel Bénédit
Sue Foley
The Ice Queen
Dixiefrog DFG 8803 – www.bluesweb.com
À 13 ans, la canadienne Sue Foley a reçu sa première guitare et s’est produit dans les clubs dès l’âge de 16 ans. À 18 ans, elle joue à Vancouver et déclare alors : « Je vais jouer de la guitare aussi bien que n’importe quel mec ! » À 21 ans, elle s’installe à Austin, Texas, et enregistre son premier album, « Young Girl Blues », pour le fameux label Antone’s Records. Il sera suivi d’une quinzaine d’albums durant trois décennies où elle sera sur scène pour les premières parties de tous les grand noms du blues : B.B. King, Buddy Guy, Lovell Fulson, Albert Collins, Bill Doggett et bien d’autres. Elle tourne avec sa propre formation et donne libre cours à ses talents combinés de guitariste, chanteuse et compositrice. Mais elle fait une pause dans sa carrière professionnelle de 2001 à 2015. Elle retourne à l’université et travaille aussi sur un projet qui lui est cher : raconter l’histoire des plus grandes guitaristes du blues. Un DVD existe déjà sous le titre « Guitar Women » et un livre doit sortir bientôt. Pour son retour, elle a choisi d’enregistrer dans le même studio que son premier disque chez Antone’s Records à Austin. Et elle a fait appel à la crème des bluesmen texans : Jimmie Vaughan, Billy Gibbons (ZZ Top ), Charlie Sexton (Bob Dylan ) et Chris Layton (Double Trouble). Le résultat est un album de 12 titres qui sera certainement l’un des meilleurs de sa carrière avec des chansons originales, un style de guitare si particulier et une voix qui a pris énormément de maturité. On retiendra les brillants duos avec Billy Gibbons (Fool’s Gold) où Sue « ronronne » et évoque Jimmy Reed à la guitare, et celui avec Jimmy Vaughan, The Lucky Ones. Dans If I Have Forsaken You, la voix de Sue est très envoûtante dans cette ballade qui bénéficie du soutien d’une remarquable section de cuivres. En conclusion, un disque qui confirme le bien-fondé de la distinction du magazine Guitar Player pour Sue, mais qui n’a pas que des talents de guitariste, loin de là, la composition et le chant sont plus que convaincants. – Robert Moutet
Carolyn Gaines
Beware Of My Dog
Polka Dot Records / CD Baby
La chanteuse Carolyn Gaines poursuit la tradition familiale. Elle est la fille du guitariste Roy Gaines et la nièce du saxophoniste Grady Gaines. Elle a de qui tenir et elle a le blues dans son ADN. Elle est dotée d’une voix grave et très nasale, mais cela convient bien à son blues urbain et rentre-dedans. Elle a souvent joué un rôle d’arrière-plan comme choriste et on a ici son premier album en vedette. Elle a su s’entourer avec Fred Clark (gt), Glen Doll (hca), Rudy Copeland (keyboards), Del Atkins (bs), Chad Wright (dms) et, cerise sur le gâteau, son cousin Grady Gaines Jr au saxophone dans deux faces, sans oublier le légendaire Big Jay McNeely au sax ténor dans trois autres ! Excusez du peu… Au fil des plages, elle démontre son intérêt pour des classiques du blues toutes époque confondues en les modernisant et en les assaisonnant de sa touche personnelle : son Beware Of The Dog est un hommage au Hound Dog de Big Mama Thornton avec le même punch mais avec une forte empreinte personnelle. Le reste est à l’avenant avec le menaçant I’m Your Cat Baby qui rappelle le Back Door Man d’Howling Wolf, Stone Out Your Raggly Mind évocateur du What You Want Me To Do de Jimmy Reed (avec un Grady Gaines Jr. très inspiré au sax ténor) ou encore Catch That Train qui fait penser au Boom Boom de John Lee Hooker et Hoochie Coochie Woman, une réponse féministe au Hootchie Coochie Man de Muddy Waters. Dans chaque cas, il n’y a pas d’imitation servile mais une création originale. Ms Gaines fait aussi une incursion dans le Mississippi blues rural avec une reprise originale du Done Got OId de David Junior Kimbrough. Et ce n’est pas tout, Mr. Dill Pickle, avec un texte politique et actuel, est inspiré par une face de 1939 de Blind Boy Fuller : I Want A Piece Of Your Pie. Quant à Jerry Rice – Busy Man, son hommage au grand footballeur US avec Glen Doll à l’harmonica, il est calqué sur le duo Carey et Lurrie Bell ! Une mention aussi à Charlie Mae & Chicago, un hommage à sa mère Charlie Mae et à Buddy Guy tandis que Something On Your Mind est une reprise d’un grand succès de Big Jay McNeely, un hit en 1960, avec, ici, un Big Jay déchaîné dans cette version dépoussiérée et chantée avec passion par Carolyn Gaines. – Robert Sacré
Lucious Spiller
Born to Sing the Blues
Auto-production disponible ici : blue.spiller.booking@gmail.com
Lucious Spiller, qui est né en 1962 à Saint-Louis (MO), a grandi dans la famille fondatrice de Black Prairie Blues, qui a son propre marqueur sur le Mississippi Blues Trail à Macon, MS. Il faut dire que la famille de Lucious Spiller comprend des musiciens prestigieux tels que ses oncles Houston Harrington et Magic Sam et ses cousins Eddy Clearwater, Vernon et Joe Harrington, excusez du peu ! Son CD, intitulé « Born to Sing the Blues » a été autoproduit et conçu par Larry Corsett au 12 Bar Studio à St. Louis, MO. C’est un mélange énergisant de blues moderne et old school mixé avec une touche contemporaine. Les 12 chansons (sept écrites par Lucious) sont une combinaison de blues qui va à l’essentiel, de ballades remplies d’émotions et d’un échantillon de standards du blues qui ont été « spillerisés ». Tous sont animés par des riffs et des improvisations subtiles de guitares, des chants puissants et une énergie illimitée. Lucious a été finaliste de l’International Blues Challenge (IBC) de la Fédération Blues en 2012 et, en 2014, 2e de l’IBC catégorie solo et duo. « Born to Sing the Blues », qui a été enregistré en 2011, est un album entièrement acoustique. La superbe interprétation de You Belong to Me écrite par son oncle Magic Sam donne immédiatement le ton. Figure charismatique sur scène – comme ce fut le cas notamment au Red’s à Clarksdale pendant le Juke Joint Festival en avril 2017 – technique irréprochable à la guitare acoustique, voix puissante, la panoplie de l’artiste est complète. Brother John est une ballade avec des arrangements originaux, tout comme Are You Gonna Story With Me qui fait plonger immanquablement dans l’ambiance folk song des années 1960-70 avec brio. Born to Sing the Blues, titre de l’album, tire encore l’album vers le haut. Put the Blame on Me est du même tonneau, avec un texte intimiste s’il en est. You Hurt Me renvoie en filigrane aux morceaux interprétés par les musiciens ruraux qui se sont installés dans les grandes villes du Nord après-guerre. Frisson garanti. Si vous allez dans le Mississippi, à Clarksdale ou dans les environs, ne manquez pas d’apprécier live ce bluesman attachant et captivant. – Philippe Prétet
Curtis Salgado & Alan Hager
Rough Cut
Alligator ALCD 4980 – www.alligator.com
Salgado et Hager jouent ensemble depuis 2003 à Portland, Oregon, et Hager a intégré le band de Salgado en 2015. Depuis lors, ils ne se lassent pas de jouer en duo et ils ont décidé de graver « leur » album avec un accompagnement minimal. Sur 13 faces, il y a 8 compos originales, en slow pour la plupart avec, d’entrée de jeu, un très atmosphérique I Will Not Surrender où Hager démontre l’ampleur de son talent comme guitariste, c’est poignant, émotionnel et dramatique. Ajoutons-y I Want My Dog To Live Longer, une déclaration d’amour à un chien, Hell In A Handbasket où Salgado parle, use d’ humour noir et joue du piano, The Gift Of Robert Charles, introverti où le rythme lent au début s’accélère avec une belle partie de Hager à la slide, So Near To Nowhere qui est en médium et One Night Only bien enlevé (avec Jim Pugh au piano) mais ces faces, comme les autres, démontrent la complémentarité des deux compères : Salgado (chant et harmonica ou piano) et Hagen (guitare). Parmi les covers, on a une belle version du I Can’t Be Satisfied de Muddy Waters avec Hager déchaîné à la slide, une autre de Depot Blues que Son House ne renierait sans doute pas, Long Train Blues (R. Wilkins) où c’est Hager qui chante, et une bonne version de I Want You By My Side de Big Bill Broonzy. À noter enfin le traditionnel Morning Train avec un changement de rythme bien amené et You Got To Move (Elmore James) en medium avec une superbe partie de slide. – Robert Sacré
The James Hunter Six
Whatever It Takes
Daptone Recording Co DAP-051 / Differ-Ant
James Hunter chez Daptone, label de feu Sharon Jones ou Charles Bradley, pouvait laisser augurer d’une possible perte d’identité de ce musicien, chanteur et auteur-compositeur. Ce n’est pas le cas, car il continue à évoluer avec les musiciens du James Hunter Six et dans son propre monde. Mais il ne faut pas pour autant se retrancher derrière ce qu’écrit Sam Boncon (WIT) dans les notes de pochettes, et qui exprime en résumé que ceux qui ont aimé le dernier album « Hold On » peuvent être rassurés car ils seront dans la continuité avec ce nouvel opus ; c’est évidemment pour mettre en avant la signature et la griffe – tant dans la composition que dans la voix – de cet artiste à part qu’est James Hunter. Les dix compos sont d’une rare fraîcheur, nombre sont faites pour danser, et on va du calypso au swing en passant par le blues et la soul, avec même un gospel plutôt poignant je l’avoue. À mon avis, James Hunter est l’un des seuls Blancs à chanter dans ces styles avec un tel naturel et une voix autant en adéquation, sans jamais forcer. N’oublions pas qu’il est aussi un excellent guitariste, il le prouve encore ici, entouré d’excellents musiciens avec cuivres et chœurs. Cet album est pour moi un réel coup de cœur. – Marcel Bénédit
The Nick Moss Band
featuring Dennis Gruenling
The High Cost Of Low Living
Alligator ALCD 4981 – www.alligator.com
Bienvenue à Nick Moss dans l’équipe de Bruce Iglauer. Il est maintenant assuré d’avoir une distribution mondiale digne de son expertise. Depuis une vingtaine d’années – et une douzaine d’albums pour sa propre compagnie Blue Bella – Moss est devenu l’un des plus brillants guitaristes/chanteurs du Chicago blues moderne bien ancré dans la tradition. Après une incursion dans le blues-rock, il revient au Chicago blues pur et dur – et à du rock’n’roll bluesy et uptempo (Get Right Before You Get Left). Pour le coup, il s’est adjoint un harmoniciste chevronné : Dennis Gruenling qui est dans le circuit depuis 1990 avec 7 albums sous son nom et il mérite lui aussi de venir jouer dans la cour des grands. À eux deux et avec des partenaires au top (dont Chris “Kid” Andersen, co-producteur et guitariste et Jim Pugh au piano sur Lesson To Learn et à l’orgue sur All Night Diner, un instrumental uptemp) ils cassent la baraque. Il faut rappeler que Moss a bénéficié de la tutelle et des conseils avisés de Willie “Big Eyes” Smith, le dernier batteur de Muddy Waters, mais aussi Jimmy Rogers, étoile du style South Side puis par un maître du West Side blues, Jimmy Dawkins. Il est à l’aise dans tous les styles et il montre ici l’étendue de son talent, signant huit des treize faces et Gruenling en signant deux autres sur lesquelles il chante (Rocking Count On Me et Lesson To Learn dopé avec saxophones). De beaux slow blues lancinants (No Sense – avec Kid Andersen, lead guitare, et Note On The Door) alternent avec des faces rapides roboratives (Crazy Mixed Up Baby, Tight Grip On Your Leash, A Pledge To You) ainsi que le titre éponyme avec Moss à la slide, The High Cost Of Low Living. Notons aussi le beau blues lent et tout en retenue He Walked With Giants, un bel hommage à Barrelhouse Chuck récemment disparu. Parmi les convers, on retiendra Get Your Hands Out Of My Pockets d’Otis Spann uptempo et Ramblin’ On My Mind en tempo soutenu qui conclut l’opus en beauté. Il n’y a aucun temps mort dans cet album lequel, d’ores et déjà, peut être classé parmi les meilleurs de l’année en cours. – Robert Sacré
Ronny Aargren & His Blues Gumbo
Close To You
Hunter Records HRCD 12017
Saluons l’arrivée d’un nouveau venu sur la scène du blues, même si ses influences country sont fortes et présentes comme dans I Love That Lady, un country rock en medium et dans Silence, un country blues en slow. Aargen est chanteur et très bon guitariste et il est bien secondé par Alexander André Johnsen au piano et orgue (Trying To Get Close To You et I Don’t Care), Roar Paulsberg (basse) et Ole-Christian Rydland aux drums. Cela dit, ce quartet est assez éclectique avec Precious Lord, un gospel en slow qui n’est pas celui de Thomas A. Dorsey et qu’ils chantent en chœur et There Is Hope, une ballade swamp pop (d’où le nom du groupe sans doute) où Aargen y va d’une belle partie de guitare. On notera aussi quelques faces bien enlevées avec A.A. Johnsen faisant le job au piano comme A Question Of Time (outre I Don’t Care) et de bons blues où brille Aaregn lui-même comme Sometimes en slow, After Midnight et l’excellent Bring Me Home en medium. Un bilan très positif. Robert Sacré
Various Artists
International Blues Challenge # 33 CD
Blues Fondation / Frank Roszak Promotions
Créé en 1984, l’International Blues Challenge (IBC) réunit chaque année à Memphis les nouveaux acteurs de la scène blues mondiale. Début février 2017 a donc eu lieu sur la scène de l’Orpheum le 33ème concours des finalistes des deux principales divisions, les groupes et les solo/duo. Au départ, ce sont près de 250 formations du monde entier qui s’affrontent dans les clubs de Beale Street. Les finalistes sont sélectionnés par des professionnels du blues sur des critères établis par la Blues Fondation. Et c’est la deuxième année que le résultat de cette compétition fait l’objet d’un enregistrement de 14 morceaux. La compilation débute par Shine On, un gospel interprété par Dawn Tyler Watson qui a remporté le premier prix dans la catégorie « groupe » pour la Montreal Blues Sociéety. La deuxième place revient à The Souliz Band de Tampa et la troisième à Rae Gordon & The Backseat Drivers de Portland. All Hill est le gagnant de la division solo/duo et le meilleur guitariste solo. ll représentait la Nashville Blues Society et il est aussi impressionnant au piano avec le morceau Don’t Dig Today qu’il interprète pour ce CD. Cette division solo/duo inclut aussi Ruth Wyand de Caroline du Nord, Sugar Brown de Toronto, et Felix Slim qui représentait l’Espagne. À noter aussi la présence du Solo Blues Band de Jérusalem qui représentait The Israel Blues Society. Ce disque a pour but de nous présenter ce qui se fait de mieux sur la scène mondiale du blues en 2017. À son écoute, nous ne pouvons qu’ approuver cette démarche, en espérant que l’édition 2018 sera de la même qualité et nous réservera autant de bonnes surprises. – Robert Moutet
Kelly Z
Rescue
Un disque solo de la chanteuse Kelly Zirbes, active sur la scène de Los Angeles depuis le milieu des années 90, avec son groupe Kelly’s Lot. Ensemble, ils ont déjà enregistré onze albums de soul/ funk/blues, dont trois en public. « Rescue » est un CD de huit reprises produites en 2011, en analogique, au Slide Away Studio, par un certain Chuck Kavooras, à l’occasion guitariste sur un titre. Un projet inachevé à l’époque, complété aujourd’hui. Le répertoire est puisé chez Ike et Tina Turner, James Brown, Isaac Hayes, Michael Bloomfield. Dans un registre country soul, Kelly Z s’attaque aux standards He Called Me Baby et You Are My Sunshine. Si elle se révèle être une bonne chanteuse, l’ensemble tombe plutôt à plat : le groupe ne brille guère, ni par son feeling, ni par son inventivité. Les arrangements deviennent rapidement prévisibles et la présence d’une section de cuivres ne suffit pas à sauver l’ensemble de l’anonymat. Malgré une pochette châtoyante dans l’esprit pop-art West Coast. Tout ce qui brille n’est pas d’or… – Dominique Lagarde
Backtrack Blues Band
Make My Home In Florida
Harpo Records – sans numéro (1 CD et 1 DVD) – www.backtrackbluesband.com
Ce groupe existe depuis 1980 et est basé à Tampa en Floride. Celui-ci, en public, est leur sixième album. La section rythmique (Sonny Charles, hca et chant, Sticks Davis bass et Joe Bencomo dms) est plutôt tendance Chicago blues tandis que Kid Royal (gt lead et vo sur deux faces ) et Little Johnny Walter (rhythm gt) se reconnaissent mieux dans le Texas blues, mais tous quatre se sentent bien ensemble et harmonisent leurs différences sans problèmes. Il n’empêche que le nom du band est le titre d’un des morceaux les plus difficiles à jouer de Little Walter, celui sur lequel se cassent les dents les harmos amateurs (voire des chevronnés aussi !) pour ses subtilités et attaques à l’emporte-pièce. Pourtant, ce quartet ne reprend qu’un seul morceau de Walter et encore, pas composé par lui – Nobody But You – mais aussi deux faces de Sonny Boy Williamson II, Checkin’ Up On My Baby et Your Funeral And My Trial. Les deux autres covers sont empruntés à B.B. King (Woke Up This Morning) et à T-Bone Waker (T-Bone Shuffle). Restent quatre compositions originales de Charles, dont l’amusant Shoot My Rooster, bien balancé et traitant d’un coq présomptueux qui lance son cri à toute heure de la journée… et un tout aussi humoristique Heavy Built Woman. Tout cela est joliment joué, reprises incluses, avec punch et conviction. Ma critique portera quelque peu sur le chant de Charles qui est parfois un peu poussif mais compensé par son jeu d‘harmonica et par ses partenaires, sans oublier le public qui les booste. Tout le concert a été filmé et se retrouve sur le DVD accompagnant le CD. – Robert Sacré
Mud Morganfield
They Call Me Mud
Severn Records Severn CD 0073 – severnrecords.com
Un disque de Chicago blues, un vrai ! Pas forcément facile d’être dans l’ombre d’un père qui a autant marqué la musique afro-américaine du XXe siècle, icône s’il en est du Chicago blues, Muddy Waters. Et pourtant, sans vouloir s’affranchir de ce passé prestigieux et en restant dans les codes du blues qui a fait la renommée de la Windy City, Mud invente encore. Auteur de dix des douze titres de l’album (les deux autres titres, Howling Wolf et Can’t Get No Grinding étant du papa), il affirme nettement sa personnalité. Pour servir un tel héritier, il fallait les meilleurs musiciens dans le genre. Billy Branch est remarquable à l’harmonica tout comme Studebaker John, Billy Flynn survole son sujet à la guitare, bien relayé par Mike Wheeler et Rick Kreher, et E.G. McDaniel ou Mud à la basse, Melvin “Pookie Stix” Carlisle aux drums assurent une rythmique sans faille. La belle voix de Lashunda Williams donne immédiatement un côté soul et sensuel à sa prestation, le violon d’Anne Harris, la trompette de Phil Perkins et le sax de Michael Jackson, le piano de Sumito Arityo Ariyoshi complètent à merveille l’osmose de cette bande d’amis dont le plaisir à enregistrer ensemble dans les studios Joyride à Chicago transparaît à travers chaque titre. – Marcel Bénédit
James Carr
The Best Of
Kent CDKENM 472 – www.acerecords.co.uk
James Edward Carr (1942-2001) fut – chacun le sait – l’une des plus grandes voix de la southern soul. Natif du Mississippi dans une famille baptiste (père prêcheur), il fit ses premiers pas de chanteur à l’église à Memphis où la famille a déménagé, puis au sein d’un premier groupe gospel, les Harmony Echoes. La musique profane lui tend les bras et Goldwax Records lui ouvre ses portes pour enregistrer son premier single en 1964. Sa carrière sera réellement lancée avec le titre You’ve Got My Mind Messed Up en 1966 et son entrée dans le top ten du classement Billboard R&B. La suite, on la connaît. Le succès de l’interprétation du titre de Dan Penn The Dark End Of The Street – qui deviendra emblématique du chanteur – suivi de bien d’autres sur Goldwax jusqu’à la fermeture de la maison de disques en 1969. Il enregistre un single sur Atlantic Records en 1971 et un sur River City (le label de son manager Roosevelt Jamison) en 1977. Mais James Carr est en proie à la maladie, avec une bipolarité sous psychotropes qui le contraint terriblement et de manière récurrente dans sa carrière d’artiste, avec un grand passage à vide à la fin des années 70 et au début des années 80. Le livre de Guralnick, « Sweet Soul Music », paru en 1986, remettra cet artiste majeur en lumière avec comme conséquence un retour en studio réussi avec l’album « Take Me To The Limit » en 1991 suivi de tournées, puis « Soul Survivor » en 1994. Il décédera d’un cancer du poumon en 2001, à seulement 58 ans. James Carr reste une des icônes masculines de la grande Soul music. Nos amis britanniques de Ace Records lui rendent hommage avec ce « best of » de 20 titres de sa période Goldwax de 1965 à 1968, avec deux faces parues sur le LP « Freedom Train » – Vivid Sound (Japon) en 1977. Évidemment, la musique et la voix se passent de tout commentaire. – Marcel Bénédit
Rhythm n Bluesin’ By The Bayou
Livin’ Lovin’ & Lyin’
Ace Records CDCHD1514 – www.acerecords.com
Voici le sixième volume dédié à la musique des bayous chère à nos cœurs. À l’image des précédents volumes, le compilateur met en avant, au fil des 28 titres proposés, des artistes habitués à enregistrer sur les labels Goldband, Ron, Excello, Hollywood et Rocko. Généralement gravés sous la houlette des producteurs Jay Miller ou Eddie Shuller, toutes les compositions baignent dans une atmosphère mélangeant le Blues et le Rhythm and Blues du meilleur jus. Mentions particulières ici pour Lonsome Sundown, Eddie Lang, Tabby Thomas, Little Bob and the Lolipops, Charles Sheffield, King Karl et bien sûr Guitar Jr (Lonnie Brooks) présent ici avec son célèbre succès, Family Rules. Comme d’habitude, le label Ace nous offre des prises rares ou inédites ou alors éditées dans les années 80 en 33 tours par les Anglais de la compagnie Flyright Records. Les passionnés de Swamp blues et de Soul louisianaise vont à coup sûr y trouver leur compte, la musique présentée ici est tout simplement excellente ! – Jean-Luc Vabres
Various Artists
I’m Gonna Be A Wheel Some Day
Original Recordings from Manchester’s Legendary Twisted Wheel Club
Jasmine JASCD 978 – www.jasmine-records.co.uk
Le Twisted Wheel, d’abord baptisé le Left Wing Coffee Bar, devint un lieu fréquenté par les noctambules de Manchester quand fut embauché un DJ nommé Roger Eagle en septembre 1963. Celui-ci va diffuser la musique afro-américaine : Blues, Rhythm & Blues, groupes vocaux, Soul et même Gospel. Les “Mods” de la ville en firent leur lieu privilégié. Des concerts étaient aussi organisés au Twisted Wheel. S’y produisirent Chuck Berry, Screamin’ Jay Hawkins, T-Bone Walker, John Lee Hooker, Jimmy Reed, Sonny Boy Williamson (Rice Miller) éberlué par les jeunes anglaises en mini-jupes et disant : « Heaven Hath Come Down ». En 1969, Roger Eagle gagna d’autres cieux (Liverpool) ; le Twisted Wheel diffusa alors essentiellement de la Soul et devint un incubateur du phénomène Northern Soul. Qu’écoutait-on dans ce club avec Roger Eagle aux platines ? La playlist considérable nécessiterait d’innombrables CD pour rendre hommage à un tel dee-jay. Jasmine a sélectionné 24 chansons couvrant tout le spectre de la musique afro-américaine. Il est impossible de toutes les citer. S’y côtoient de nombreux artistes d’univers différents : John Lee Hooker (Dimples – 1956 – Vee-Jay) et Nat Kendricks & the Swans (Dish Rag – 1960 – Dade, en fait les JB’s de James Brown dont Nat Kendrick était le batteur) ; Fats Domino (I’m Gonna Be A Wheel Someday’ – 1959 – Imperial) et Bunker Hill (le tube Hide & Go Seek – 1962 – Mala, pseudonyme qu’emprunta le chanteur David Walker des Mighty Clouds of Joy, ce qui lui valut l’expulsion du quarter gospel) ; Lazy Lester (I Hear You Knockin – 1959 – Excello) et un groupe de Baltimore The Van Dykes (Stupidity – 1962 – Atlantic) ; Bo Diddley et son Pretty Thing si influent en Angleterre et John Zacherie “The Cool Ghoul”, acteur de film d’horreur pour la télévision américaine dans les années 50 et 60. Si j’ajoute que l’on peut aussi entendre Elmore James, Little Milton, Solomon Burke, Bobby Bland, Screamin’ Jay Hawkins, Booker T & the MG’s, etc…, tous sur des tempos rapides, vous devinez la qualité de la musique. Rien d’inédit bien sûr, mais un disque parfait pour animer les soirées avec quelques amis. – Gilbert Guyonnet
George Jackson
Leavin’ Your Homework Undone
(In The Studio With George Jackson 1968-1971)
Kent CDKEND 447 – www.acerecords.co.uk
On savait George Jackson auteur-compositeur prolifique, mais on ne mesurait pas jusqu’à quel point. Kent publie en effet ici un 4ème (!) volume d’inédits de cet acteur emblématique de la soul sudiste. Démos enregistrées à Muscle Shoals dans les studios FAME, avec les Swampers comme accompagnateurs (incluant piano/orgue mais sans cuivres et choeurs) les maquettes réunies ne sont certes pas des produits finis, mais leur état d’avancement est quasi abouti. Précisons clairement que les imperfections inhérentes à ce pré-travail sont minoritaires, pour un disque comptant plus de 70 minutes de musique (une guitare désaccordée, un Roger Hawkins traînant la patte derrière ses fûts ou encore une prise de son à géométrie variable). Jackson interprète ses propres compositions, le plus souvent écrites avec son alter-ego Raymond Moore, et on devine aisément qu’il destine certaines aux vedettes fréquentant alors le studio de Rick Hall comme Clarence Carter ou Wilson Pickett. Et est-ce dans la « peau » d’Aretha Franklin qu’il se glisse lorsqu’il chante le blues Don’t Me Nothing About My Baby ? Ayant lui-même eu une petite carrière discographique en tant que soliste (Fame, Hi, Goldwax…) le discret George Jackson est un bon chanteur, très expressif, possédant des inclinations à la Little Johnny Taylor. Malgré l’abondance, il n’y a ici aucune mauvaise chanson. On retrouve cette faculté à faire émerger une sensibilité simple dans des textes parfois emprunts de mélancolie. On a par ailleurs plaisir à reconnaître des constructions harmoniques familières, entendues ultérieurement dans des chansons distinctes. Ainsi, cet ultime volume reste dans la lignée des précédents et demeure donc recommandable, avec une mention particulière pour Quicksand Around My Mind. Nicolas B.
Eartha Kitt
I Want To Be Evil… The Wicked Eartha Kitt
Jasmine JASCD 965 – www.jasmine-records.co.uk
Outre la sensualité de sa voix, Eartha Kitt (1927-2008) s’est offert une notoriété mondiale comme comédienne, diseuse, danseuse, activiste engagée pour le respect des différences. La souplesse, la versatilité de sa diction, parfaite dans plusieurs langues font qu’au-delà des registres de styles, cette réédition très bien documentée, s’écoute avec un réel plaisir d’un bout à l’autre. Dans le prolifique repertoire d’Eartha Kitt, blues et rhythm’n’blues sont largement minoritaires. Néanmoins, cette sélection de chansons issues de la période 1953/1962 réserve de bonnes surprises dans le genre, comme Nobody Taught Me, My Heart’s Delight, A Woman Wouldn’t Be A Woman, It’s So Nice To Have A Man Around The House ou le plus connu Honolulu Rock-a-roll-A. Quant au lyrisme impressionnant de la ballade folk Just An Old Fashioned Girl, il semble annoncer une chanteuse comme Buffy Sainte-Marie. En 29 étapes, nous voyageons des ponts de Paris aux cafés d’Istanbul, via les paillottes des Caraïbes et du pied du sapin de Noël aux comptines yiddish. En bref, C’est si bon ! – Dominique Lagarde
Calvin Frazier meets Washboard Willie
J-V-B CD48 – www.bluebeat.com
Sous la houlette du folkloriste Alan Lomax et avec le guitariste Sampson Pittman, ce cousin de Johnny Shines a enregistré ses premières faces en 1938 pour la Bibliothèque du Congrès. À l’instar de Little Sonny, après la seconde guerre mondiale, Calvin Frazier se produit dans la Motor City notamment dans les clubs de Hastings Street comme le Brown’s Bar. En 1955-1956, il fait partie des Super Suds of Rhythm du batteur Washboard Willie, gravant quelques faces avec cet orchestre pour Joe Von Battle (JVB). Ce dernier avait un magasin de disques sur Hastings Sreet au sud de Mack Ave où fut enregistré le gratin de la scène blues de Detroit d’après-guerre. Jusqu’à sa mort en 1972, Calvin joue occasionnellement avec des musiciens locaux, notamment Baby Boy Warren. Le présent recueil retrace les enregistrements qu’il a effectués entre 1949 et 1964 à Detroit pour les labels Alben, J-V-B, New Song Records, Savoy, Fortune, Herculon et Von. Le style de Calvin Frazier si caractéristique est à la croisée du blues rural du Sud et du blues moderne version T-Bone Walker. Son toucher fin et subtil à la guitare est un vrai bonheur sous-tendu par des lignes très mélodieuses. Be-Bop Boogie, enregistré pour le label Alben en 1949 (Alben 106), constitue l’avant-garde du même style avec un rythme conçu pour la danse. Sentant bon les effluves du Sud, avec une force déclamatoire, Rock House (New Song 121) enregistré à Toledo en 1951 est marqué par une ambiance terrienne et poisseuse, une rythmique lancinante et un groove saisissant, tout comme la version magistrale de Lillie Mae (Fortune LP 3012). Avec l’ensemble orchestral de Washboard Willie enregistré chez J-V-B, le blues rural de Calvin Frazier s’urbanise en 1955-1956. À l’époque où les labels s’arrachent les hits, Washboard Shuffle (J-V-B 59) est la copie conforme de Rock House, titre emblématique que l’on pourra retrouver à trois reprises ici. Aurait-on voulu contourner les droits détenus par les labels sinon le fisc que l’on ne s’y serait pas pris autrement ! Washboard’s Blues (Part 1 & 2) (J-V-B 70) évolue dans une atmostphère low-down et à tempo mi-lent d’où émerge une superbe guitare fluide et étincelante. La ligne mélodique de Have Blues Must Travel (J-V-B 86) a plus que des airs de ressemblance avec celle de 2-2-5 Special (Part 1 & 2) The All Stars (Von 704). Natural Born Lover et Wee Baby Blues (Herculon) subliment une basse métronomique et un washboard au rythme syncopé joué par Washboard Willie accompagné à la guitare probablement par Evans McClendon. After Hours (Part 1 & 2) (Von 721) enregistré en 1964 est une pièce intimiste menée de main de maître par le pianiste aérien Boogie Woogie Red. Voici une sélection de vingt-trois faces rares et recherchées de la scène blues de Detroit d’après-guerre qui mérite toute votre attention. – Philippe Prétet
Dave Bartholomew
Jump Children
Imperial Single Plus 1950-1962
Jasmine JASCD 845 – www.jasmine-records.co.uk
La boucle est bouclée. De Carnival Day à Honky Tonk Trumpet, ce sont 57 morceaux que le label Jasmine nous propose ici. Un cheminement qui, de 1950 à 1962, souligne la force du retour de David Louis Bartholomew et son ancrage dans l’histoire musicale locale. Un trompettiste dont le second prénom n’est pas le seul point commun avec Armstrong. Même professeur, puissance similaire et idées neuves sur la musique de la ville. L’homme aurait pu continuer une vie itinérante, comme son début de carrière dans le grand orchestre de Jimmy Lunceford pouvait le laisser présager. L’ouverture des premiers studios d’enregistrement de New Orleans dans l’après seconde guerre mondiale, semble un facteur primordial dans l’évolution de sa carrière tant locale que nationale. À la fois musicien, arrangeur et talent scout pour Impérial, Dave va devenir la pièce centrale indispensable d’une communauté musicale qui n’est pas pour rien –c’est le moins qu’on puisse dire – dans l’explosion du Rythm and Blues et du Rock and Roll de cette époque. Sûrement influencé par le perfectionnisme de l’arrangeur et trompette de Lunceford, Sy Oliver, Dave va créer un son propre qui retentira bien au-delà des faces présentées ici. C’est le propriétaire des studios Cossimo Matassa qui soulignera à maintes reprises tout le sérieux et l’inflexibilité du bonhomme, qualités sans lesquelles la carrière du poulain principal, Fats Domino, n’aurait pas forcément eu le même impact. Le choix d’un noyau de musiciens qui polissent le son de ce Rythm and Blues originel n’a bien sûr rien d’anodin. Les saxophones de Red Tyler, Herb Hardesty et Lee Allen, les guitares d’Ernest McLean ou de Papoose Nelson, les pianos de Salvatore Doucette, Ed Frank, Fats Domino himself ou d’un tout jeune James Booker, le basse du quasi inamovible Frank Field, l’indispensable drumming d’EarlPalmer remplacé par Cornelius Coleman ou Hungry Williams après son départ sur la côte ouest, sont autant de valeurs ajoutées à la savante mixture mise au point par le leader Maximo. Les références caribéennes sont d’ailleurs récurrentes et toujours savoureuses. Oh Cubano ou Shrimp and Gumbo figurent au Panthéon de ce Rythm and Blues mâtiné de Manbo New Orleans qui chaloupe tout autant que les illustres Monkey et autre versions secondaires instrumentales de grands hits de Fats comme I’m Walkin et Going to the River (James Booker à l’orgue dans ce dernier). On retiendra particulièrement l’irrésistible déboulé d’un morceau aussi ébouriffant que Good News ou le profond souffle du leader sur Honky Tonk Trumpet. Un souffle qui perdure, l’homme quasi centenaire portait encore beau derrière Irma Thomas sur un Time Is On My Side qui illuminait la première saison du feuilleton Treme en 2010. So long Dave. Merci pour tout. – Stéphane Colin
Carla Thomas
The Memphis Princess
Early Recordings 1960-1962
Jasmine JASCD 987 – www.jasmine-records.co.uk
Réédition des premières faces de Carla Thomas, future “Queen of Memphis Soul” qui n’a droit ici qu’au titre de “Princess”. Il y a là l’intégralité de son premier album « Gee Whiz » qui a très mal vieilli. Même si elle chante bien, les accompagnements dominés par des cordes envahissantes sont plus proches de la variété que de ce que l’on pouvait attendre de Stax. Cinq titres où son père – le valeureux Rufus Thomas – lui donne la réplique, sont néanmoins d’un niveau correct pour les amateurs de soul et de r’n’b. Malgré cela, « Gee Whiz » et « Cause I Love You » furent des succès qui lancèrent le label Stax ! Par la suite, Carla allait graver des faces bien plus intéressantes, mais ceci est une autre histoire ! – Marin Poumérol
Various Artists
The Chicago Blues Box 2
Storyville 8 CD 1088620
Après un premier volume remarquable, voici le second coffret de ce qui constitue l’histoire excitante et passionnante de Marcelle Chailleux. À n’en pas douter, cette institutrice française nourrie de musique classique et grande fan de jazz a joué un rôle majeur dans la vulgarisation du blues de la Cité des Vents des années 1970 de ce côté-ci de l’Atlantique. Marcelle Chailleux a été initiée au blues par Jacques Morgantini, membre fondateur du Hot Club de France et conseiller artistique du label Black & Blue. Après que ce dernier lui ai fait découvrir Honey Bee interprété par Muddy Waters, Marcelle en a été bouleversée : « Je ne savais pas qu’il était possible d’obtenir autant d’émotion de la musique », dit-elle. Pour remercier Jacques Morgantini de cette « révélation », elle l’a épousé. En février 1975, Marcelle se rendit un week-end à Chicago avec Jean-Marie Monestier – le patron du label Black & Blue – pour découvrir dans le West Side et le South Side toute la richesse et la diversité musicale qu’ils recèlaient. Constatant que le blues de la Windy City n’était pas correctement documenté, Marcelle créa en 1975 une maison de disques, MCM, avec les initiales de son nom de secondes noces. Elle s’envola en juillet 1975 vers Chicago avec Jacques et son fils Luc, puis à nouveau en octobre 1975 avec Luc et Didier Tricard, où elle enregistra sur son appareil Nagra IV S deux pistes stereo à bandes et mixa les titres des musiciens locaux tels que Eddie Taylor, Big Voice Odom, Jimmy Johnson, John Littlejohn, Magic Slim, The Aces, Jimmy “Fast Fingers” Dawkins, etc… qui jouaient dans des clubs légendaires aujourd’hui disparus comme Big Duke’s, Ma Bea’s et The Golden Slipper. Pendant son périple à Chicago entre 1975 et 1978, elle fut guidée dans les clubs par Jimmy Dawkins qui allait devenir un fidèle ami de la famille. Malheureusement, à l’époque, tous les morceaux enregistrés à Chicago n’ont pas pu être édités en vinyle. Seuls dix sept albums virent le jour. Après sa mort à l’âge de 82 ans en 2007, les droits sur les enregistrements live de Marcelle ont été achetés par le label danois Storyville qui, depuis, n’a ressorti que partiellement le catalogue MCM. « The Chicago Blues Box 2 » est donc la dernière réédition de l’œuvre de Marcelle : un ensemble magistral de huit CD accompagné d’un livret de 24 pages avec les notes de Jacques Morgantini relatives aux bluesmen enregistrés par le label MCM outre des clichés des musiciens pris par son ami Daniel Arnoux. Le CD1 propose d’abord un set d’Eddie “Playboy” Taylor, qui a mixé la tradition de la guitare du Mississippi avec le style shuffle de la Windy City. Il y a ensuite des faces de Big Mojo Elem, Andrew “Blueblood” McMahon, qui fait revivre Lightnin’ Hopkins avec Mojo Hand et Big Voice Odom, qui porte bien son nom lorsqu’il aborde Got My Mojo Working de Muddy Waters. Sur un CD2 tout aussi solide, le bluesman Hip Lankchan (aka Hip Linkchain) interprète sans effort un programme de reprises, suivi par Eddie Clearwater, avec quatre morceaux qui incluent l’enigmatique Poison Ivy lequel n’a absolument rien à voir avec le hit des Coasters. Encore plus surprenant, l’inclusion sur le CD3 consacré à Jimmy Dawkins du titre phare de Bobby Gentry Ode To Billie Joe dont la véritable origine reste semble-t-il un mystère. Mais revenons à Jimmy Dawkins. Le chicagoan est devenu un ami proche des Morgantini, leur rendant visite dans leur maison de Gan (64), où il a particulièrement apprécié la cuisine de Marcelle à tel point que, rassasié, il lui a écrit en hommage le boogie instrumental Marcelle Morgantini’s Cassoulet. Marcelle était une visionnaire et une véritable dénicheuse de talents. Elle a découvert Jimmy Johnson, second guitariste de Dawkins, et l’a enregistré pour la première fois. Sur le CD4, le premier nommé rend un émouvant hommage à son mentor lors d’un concert. Figure emblématique du CD5, voici le brillant et regretté John Littlejohn, maestro de la slide guitar, de son vrai nom John Funchess, installé à Gary (Indiana) comme pompiste. C’était un ami de Joe Jackson, le patriarche de la famille Jackson, et c’est ainsi que son groupe a été utilisé pour les répétitions par les Jackson Five dans les années 1960. Faut-il se remémorer que Marcelle Morgantini a permis à plusieurs bluesmen de sortir de l’anonymat ? Ce fut le cas notamment de Magic Slim avec l’album « Born On Bad Sign » enregistré par Marcelle en novembre 1975 au Ma Bea’s qui a permis à sa carrière de prendre son essor. Sur le CD6, il est soutenu par son band régulier : Alabama Junior Pettis (guitare) et les frères Slim Holt (basse) et Douglas Holt (batterie). Le CD7 est un véritable joyau de Rhythm’n’ Blues, mettant en vedette The Aces and Their Guests : Louis Myers (guitare), son frère, Dave Myers (basse) et l’irrépressible Freddie Below – un autre grand ami de Marcelle et Jacques – à la batterie. En invités, on retrouve notamment Bobby King et Joe Carter à la guitare. Ajoutons pour les complétistes les trois bonus à la version cd Storyville STCD 8049 que sont The Ace’s Shuffle, Blues With A Feeling et Honky Tonk N°2. Enfin, pour les fans, on ne peut pas faire l’impasse sur la réédition du LP MCM 900.293 remastérisé chez P-Vine PCD-24208 (Jp 2008). Signalons que dans le même CD7 Kansas City est répertorié comme ayant été écrit par Little Willie Littlefield quand en réalité il a été écrit par les Hepcats blancs Jerry Leiber et Mike Stoller. La chanson a été enregistrée pour la première fois par Littlefield. Le dernier CD8 de cette collection étincelante met en lumière le sous-estimé et brillant guitariste Willie James Lyons (écoutez en priorité sa prenante version de Chili Con Carne) ainsi que Willie Kent, un chanteur et guitariste de talent qui n’est devenu musicien professionnel qu’à l’âge de 50 ans alors que la chirurgie à cœur ouvert avait réduit son emploi de chauffeur de camion. La musique a toujours été le principal intérêt de Kent dans la vie. Tout jeune, il suivait Elmore James de concert en concert afin de s’imprégner de son style. L’enregistrement de Marcelle Morgantini comprend – entre autres titres de valeur égale – une version raffinée et respectueuse du classique Dust My Broom d’Elmore James. Comme l’indique Jacques Morgantini : « Ces enregistrements captent la musique qui était jouée à l’époque dans les clubs, le vrai son du Chicago Blues ! » C’était le crédo de Marcelle qui voulait donner à tout un chacun une chance de se faire connaître. Certains ont plutôt réussi au-delà de ses espérances, comme par exemple un certain Jimmy Johnson déjà cité. Pour d’autres, les enregistrements MCM ont constitué leur heure de gloire avant de retomber progressivement dans l’oubli. On retiendra aussi que le coffret propose aux amateurs quatorze véritables bonus. Au rayon des critiques, les audiophiles relèveront que la prise de son live des années 70 est parfois approximative. Or, comment pourrait-il en être autrement lorsque l’on sait que les conditions et techniques de prise de son de l’époque sont bien éloignées de nos standards digitaux et numériques des studios d’aujourd’hui ? Et puis, parfois, en live, la batterie couine et la guitare coince. Peu importe ! Aujourd’hui, la remastérisation fait des miracles. Le bémol : malgré un packaging très correct issu de Chine, les plus exigeants pourraient critiquer à juste titre quelques approximations dans la configuration et la mise en page du coffret : John LittleJohn devient curieusement Jimmy LittleJohn. Le CD1 consacré à Eddie Taylor comporte pêle-mêle des titres de Big Mojo Elem, Andrew “Blueblood” McMahon et Big Voice Odom. Sur le CD2, le titre générique du disque cite bien Hip Lankchan mais omet Eddie Clearwater qui interprète quatre titres. À l’écoute, certaines pistes récalcitrantes peuvent parfois « sauter » sans crier gare ! Hormis ces défauts qui ne sont pas tous rédhibitoires, l’essentiel à retenir est que ces enregistrements des années 70 n’ont pas pris une ride. L’ambiance authentique des clubs de la Cité des Vents décoiffe et le talent des musiciens confère à cette collection une valeur historique exceptionnelle. – Philippe Prétet
Various Artists
Northern Soul’s Classiest Rarities Volume 6
Kent CDKEND 471 – www.acerecords.co.uk
Le travail de défrichage des archives de la Northern Soul entrepris par le label Kent est sans relâche. Il ressuscite des artistes tombés dans l’oubli, tout en donnant à entendre des artistes plus familiers, mais dans des moments rares et de qualité ainsi Maxine Brown, avec une prise inédite de One in a million, ou encore Betty Everett, Johnnie Taylor, J.J. Barnes, Carla Thomas, Detroit Emeralds, Jackie Day. Vingt-quatre morceaux au total, période 1963-1971. La prise inédite du (Marriage is only) A State of Mind d’O.C. Tolbert est parcourue d’une solide partie de guitare bluesy, le Young Boy Blues de Ben E. King,traité de belle façon par un certain Daniel A. Stone. Quant au Cry In The Arms of Another Love d’André Scott produit par Sidney Barnes, c’est peut-être le point d’orgue du disque. Au rayon curiosités, Nomad Woman de Jock Mitchell rappelle un certain Gypsy Woman des Impressions sans que l’on puisse crier au plagiat, tandis que I Wanted To Tell You par Little Nicky Soul est traversé de surprenants chœurs gospel. Garanti pour la danse et bien documenté. – Dominique Lagarde
Homesick James
The Sensational Recordings
Shake Your Money Maker
Wolf CD 120.410 – www.wolfrec.com
Homesick James (John William Henderson) quitta ce monde un jour de décembre 2006 fort âgé, il avait 96 ans. Autodidacte, il développa un jeu de guitare au bottleneck pas toujours orthodoxe, mais efficace. Il se prétendit parent d’Elmore James qui, peu rancunier, l’engagea comme guitariste et bassiste. Il nous a légué une œuvre enregistrée importante et de grande qualité. Certains disques sont mêmes indispensables : les faces Chance des années 50, les albums « Ain’t Sick No More » (Bluesway 1972), « Homesick James and Snooky Pryor » (Caroline 1972) et l’entièrement acoustique « Going Back Home » (Trix 1976). Il vint très souvent en Europe où il était très apprécié. Voici le temps des inédits avec ce disque Wolf Records : 17 chansons enregistrées à trois dates distinctes. En juillet 1975, Hannes Folterbauer rend visite à Homesick James, chez lui, North Bosworth St., Chicago. Là, il l’enregistre jouant de la guitare acoustique dans le répertoire de Robert Johnson : Cross Road Blues, I Believe I’ll Dust My Broom, Come On In My Kitchen. Les interprétations d’Homesick James sont remarquables. En 1975, ces titres, trop souvent interprétés médiocrement, n’étaient pas encore galvaudés. Juillet 1979, Snooky Pryor s’est joint à Homesick James pour une série de concerts en Autriche pris sur le vif. Les deux hommes se connaissent depuis le début des années 50. L’entente entre les deux musiciens est parfaite. Nous en avons ici l’illustration avec Got To Move, That’s All Right, Someday Baby Blues… Enfin, Wolf a exhumé quatre titres live, toujours en Autriche, au début des 80’s ; Homesick James, seul à la guitare électrique, interprète, entre autres, un surprenant Tin Pan Alley. Comme souvent chez Homesick James, le répertoire est fait de reprises. Mais sa lecture est très personnelle, jamais copiée-collée. Amateurs d’Homesick James, vous savez ce qu’il vous reste à faire ! – Gilbert Guyonnet
Spencer Wiggins
The Goldwax Years
Kent CDKEND 262 – www.acerecords.co.uk
On perle souvent du “secret le mieux gardé de la soul music” en parlant de Spencer Wiggins. Originaire de Memphis, Spencer est né la même année que James Carr, en 1942. Comme lui, il démarre par le gospel avec sa mère qui chante dans une église baptiste avant de participer à un premier groupe gospel avec son frère Percy et sa sœur Maxine. Puis il se dirige vers la musique profane et forme les Four Stars, groupe R&B, toujours avec son frère et avec David Porter (qui plus tard deviendra son auteur et producteur). C’est au début des années 60 qu’il rencontre Clinton Claunch – le boss du label indépendant Goldwax – en se produisant dans les clubs de Memphis. De cette rencontre découle une collaboration durable qui commence par un premier single en 1965 pour le sous-label de Goldwax Banstand USA. Ce premier simple sera suivi d’autres sans plus de succès. Pourtant, au sein de ces enregistrements, on retrouve de véritables pépites, comme par exemple Uptight Good Woman écrite par le duo Penn/Oldam ou encore I Never Loved A Woman (The Way I Love You) enregistrée dans les studios Fame de Muscle Shoals avec l’équipe de musiciens d’alors, dont Duane Allman à la guitare. C’est toute cette période, de 1965 à la fermeture de Goldwax en 1969 qu’il s’agit ici, avec 22 titres dont trois prises inédites sous cette forme, dont il est question à travers les 22 faces compilées. Le travail de réédition est remarquable en tous points, avec de si nombreuses pépites qu’il est difficile de choisir une chanson plus qu’une autre. Après 1969, Wiggins enregistrera sur Fame avant de retourner au gospel, devenir Directeur de la New Birth Baptist Church à Miami où il a déménagé, et réaliser quelques enregistrements gospel. Certes il existe déjà une compilation de faces Goldwax sur le label japonais Vivid Sound parue en 2006 et une autre sur le label Kent, mais pour ceux qui n’aurait ni l’une ni l’autre ou souhaiteraient être complétistes, c’est le CD de Spencer Wiggins qu’il vous faut. Spencer et Percy Wiggins avaient renoué avec la Soul music pour le plus grand plaisir du public du Porretta Soul Festival en 2011 ; il sont au programme de la 31è édition qui se tiendra du 19 au 22 juillet dans la petite ville italienne. À ne pas manquer. – Marcel Bénédit
Various Artists
I Ain’t A Gamblin’ Woman,
I Got Such-A Rowdy Ways
JSP77209 (4CD Box Set) – www.jsprecords.com
Les 79 titres regroupés sur les 4 CD de cette compilation sont consacrés à des chanteuses de blues qui, entre 1923 et 1937 – en d’autres termes durant la glorieuse époque de ce que les spécialistes auront nommé le « blues classique » – ont eu quelque succès mais ne bénéficient pas aujourd’hui de l’aura de leurs illustres consœurs de l’époque : les Ma Rainey, Bessie Smith et autres Ida Cox. Ce relatif oubli tient à plusieurs causes. D’abord et de façon incontestable certaines de ces chanteuses n’ont pas la stature des figures dominantes que l’Histoire a retenu et leur registre vocal paraît aujourd’hui un peu désuet. C’est, à mon sens, le cas des gémisseuses moaners, comme souvent Bernice Edwards et surtout Clara Smith, couronnée en son temps “The Queen of Moaners” (1). Ne pouvant affronter sur leur terrain les hurleuses de blues (blues shouters) qu’étaient Ma Rainey ou Bessie Smith – capables avant l’invention du micro, de tenir tête à un orchestre et de braver un public turbulent et faire porter leur voix dans les lieux aux acoustiques les plus calamiteuses – les gémisseuses de blues ont trouvé un créneau expressif en ponctuant leurs couplets de « mooooh ! » et « eeeeh ! », une marque de fabrique qui – il faut le reconnaître – a mal vieilli. On ne peut pas faire ce genre de grief à des chanteuses de la trempe de Bessie Tucker, un petit bout de femme à la voix de stentor, dont on ne sait à peu près rien si ce n’est que cette artiste prometteuse est morte à 27 ans, Sippie Wallace qui fit un come back remarqué à plus de 80 ans, Victoria Spivey (une seule plage lui est ici consacrée, l’inquiétant Blood Hound Blues), Lil Johnson (Anybody Want to Buy My Cabbage, Press My Button – Ring My Bell, etc.) dont on ignore les dates et les lieux de naissance et de décès, et surtout Lucille Bogan dont la biographie reste également très lacunaire mais dont le nom devrait être gravé au fronton du même Panthéon que ceux de Bessie Smith, Ida Cox ou Ma Rainey. C’est en l’occurrence le contenu lascif, voire carrément obscène, de leur poétique qui a pu effaroucher une industrie culturelle aux oreilles par trop puritaines. En effet, la plupart des susnommées pratiquent avec virtuosité l’art du double entendre et de l’allusion salace ou de la comparaison risquée destinée à ne tromper personne, et revendiquent sans détour leur autonomie de femme libre en particulier sur le plan sexuel. Mais Lucille Bogan place la barre encore plus haut que ses consoeurs : elle ne s’embarrasse pas de leurs subtilité rhétoriques. Ses blues (elle en est la compositrice à par entière) privilégient, sans fioriture, ni précautions oratoires, les thèmes de l’alcoolisme et du trafic de liqueurs (Sloppy Drunk Blues, Whisky Selling Blues), de la prostitution (Struttin’ My Stuff, Grocerie on The Self, Barbecue Bess’, They Tain’t Walking No More) et affiche une volonté de se passer des hommes (Women Won’t Need No Men, BD Woman Blues, Pig Iron Sally) sauf à les utiliser sans état d’âme pour satisfaire la sensualité la plus crue et la plus débridée. Bref, avec l’auteur et interprète de Shave Em’ Dry – un titreà usage privé et longtemps resté clandestin – l’allusion ou le sous-entendu ne sont plus de mise, on s’installe dans l’explicite. Cette truculence haute en couleur n’exclut d’ailleurs pas chez notre chanteuse d’émouvants moments de sentimentalité poétique comme Black Angel Blues – devenu un classique, repris notamment par Tampa Red ou Robert Nighthawk – ou Sweet Man, Sweet Man. D’une façon générale, le repiquage est soigné, ce qui – dans le cas des 78t gravé chez Paramount connus pour leur piètre qualité acoustique – n’était pas évident. Chaque volume de ce généreux coffret possède en outre le mérite d’être présenté et annoté par Max Haymes, fin connaisseur du blues des origines et auteur d’un précieux ouvrage sur les rapports entre le blues et le chemin de fer, « Railroadin’ Some » (2006, Music Mentor Books). – Christian Béthune
Note (1) : Cette façon de se différencier vocalement était d’autant plus impérative pour Clara Smith que Columbia l’avait recrutée pour rivaliser avec son homonyme, la grande Bessie, également sous contrat dans la maison, en partie pour tempérer les exigences financières et les sautes d’humeur légendaires de la diva.
Koko-Mojo Records
Sous la houlette de l’inénarrable et fin connaisseur Little Victor (aka DJ “Mojo” Man), voici une série d’albums à thème qui contiennent chacun 28 morceaux qui vont régaler les amateurs de galettes obscures et/ou de légendes du blues, rythm’n’blues, twist, rockn’roll… L’occasion de tester plusieurs albums de cette série alléchante à la qualité sonore plus que correcte.
Various Artists
You’re Too Bad
When Your Harp Is Rusty
KM-CD 09
Sélection riche et judicieuse de 28 harmonicistes de l’âge d’or du blues. En passant par She’s Gone de Schoolboy Cleve ou Just Can’t Say de Willie Nix jusqu’à l’emblématique Little Walter interprétant Crazy Mixed Up Word que l’on retrouve aussi sur la chanson de John Brim I Would Hate To See You Go. Whispering Smith, Big Jack Reynolds ou encore Mule Thomas figurent au palmarès de cet album d’égale valeur.
Various Artists
Burning Frets
The Rhythm, The Blues, The Hot Guitar
KM-CD07
Guitarist killer, cet album vous est consacré ! De Jesse Allen sur Let’s Party à Boliver Shagnasty sur un Tapping That Thing endiablé au beat envoûtant, toute la panoplie du Rhythm’n’blues rutilant s’étale. Le blues roots de TV Slim prend aux tripes sur I Can’t Be Satisfied. L’obscur Blue Charlie interprète un magistral I’m Going To Kill Than Hen en écho à Jackie Brenston sur une version superbe de Trouble Up The Road aux choeurs ennivrants.
Various Artists
Love Shock
About Those Beats From The Heart
KM-CD04
Harold Burrage, l’un des créateurs insoupçonnés du rockn’n’roll, interprète une version langoureuse et sensuelle de You K.O.’D Me en leader de cet album consacré à « The Battle of Sex ». Tout un programme en passant par Carl Matthews sur Big Man et Little Sonny sur l’emblématique et détonant Love Shock (J-V-B 5001).
Various Artists
Fool Mule
The Funny Side of Rhythm and Blues
KM-CD02
Autre sélection gagnante de superbes airs de danse issus de « The Land of the Ravy-Gravy » avec des musiciens obscurs et véritables killers effectuant des numéros de Rockin’ blues épatants et drôles à l’instar de Big Jay McNeely avec un Psycho Serenade truculent.
Various Artists
Don’t Mess With Me, Baby
‘Cause The Trouble With Me is You
KM-CD03
« Quand vous n’avez pas de femme, vous avez le blues… quand vous avez une femme … vous avez toujours le blues ! » (dixit Litte Victor). Posture inextricable, alors écoutez plutôt le magique Look What You Done To Me de Little Willie John où Joe Houston interprétant un intrépide I Woke Up This Morning qui vous fera reprendre des couleurs.
Various Artists
Move On !
Vernacular Dances Off The Dance Track
KM-CD05
Twist Again ! Voici une sélection de titres dansants allant de June Bug Bailey avec Louisiana Twist en passant par Brice Coefield et son Cha-Cha Twist qui décoiffe. Billy The Kid Emerson sur The Whip Part 1 qui chaloupe et la sublime version de The Kangaroo de Charles Sheffield où celle de The Ideals sur Go Go Gorilla voire du renversant The Boogie Twist, Part 1 du regretté Cal Valentine & Texas Rockers. – Philippe Prétet
Various Artists
Louisiana Swamp Blues 2 (1945-1963)
JSP Records J.S.P.77205 (Box 4 CD) – www.jsprecords.com
John Steadman a remis le couvert pour rendre accessible, avec un second coffret de 4 CDs, une nouvelle fournée de « perles » des musiques populaires de Louisiane, pas seulement le Swamp blues comme le titre du coffret l’annonce faussement, mais aussi du Rock’n Roll (Cookie & The Cupcakes…) , du Swamp Pop (avec Duke Stevens, Shelton Dunaway…), les débuts de Lonnie Brooks a.k.a. Guitar Jr et même de la musique cajun (Louis Comier), parfois proche du R&B, avec d’excellentes faces de Nathan Abshire, Cleveland Crochet, Jay Stutes. Le tout puisé dans les archives de Jay Miller(Excello) à Crowley et d’Eddie Shuler (Goldband) à Lake Charles. Cela fait un peu concurrence à la série « Bluesin’ By The Bayou » et « Rhythm & Bluesin’ By The Bayou » voire « Swamp Pop By The Bayou » publiées par Ace Records et qui compte déjà une petite vingtaine d’albums mais, finalement, les doublons ne semblent pas très nombreux. Ici, on a en tout 87 faces où l’on retrouve les grands noms d’un des styles de blues les plus originaux qui soient : Lighnin’ Slim, Lazy Lester, Lonesome Sundown, Tabby Thomas, et d’autres moins connus, ainsi Leroy Washington que Jay Miller (Le Manitou du Swamp blues à Crowley) considérait comme le meilleur guitariste de blues qui soit jamais passé par ses studios (et j’ai tendance à partage son avis : écoutez My True Life, ) ou encore Boogie Jake aka Matthew Jacobs, vo et gt avec Lazy Lester (hca), Katie Webster (p), dans le superbe I Don’t Know Why. Il y en a quelques autres, en particulier les quasi inconnus Ivory Lee Jackson avec une section de cuivres dans un mémorable I Don’t Think I Can Make It ainsi que Clarence Locksley dans le tout aussi mémorable I Ain’t Got No Money (disponible en album Flyright, sans doute épuisé). Il y a aussi quelques « intrus » bienvenus comme le chanteur Elmer “Boo” Breeding dans deux faces remarquables gravées à La Nouvelle-Orleans en 1954 pour Minit et reprises par Imperial Records : Country Woman et I Can’t Fly (Date With An Angel). Il y en a d’autres qu’il serait trop long de citer ici. En nouvelle contradiction avec le titre général (décidément trompeur !) la 4è galette propose des titres par ailleurs de grande qualité mais gravés en 1981 (le zydeco de Fernest Arceneaux dans I Can’t Live Happy – chanté par Victor Walker et Got You On My Mind) et celui de l’accordéoniste Rosie Ledet en 2011 (Caffina) en passant par des gravures, en 1985, Al Rapone (Joe Pete), en 1988, Rockin’ Sidney (superbes blues I’m Your Man et I Got The Blues For My Baby) et Katie Webster en solo (Early Moanin’ Blues), en 1991 de Larry Garner (Shut It Down), en 1996 du trop rare Terry Singleton (Reconcile, un chouette slow blues) ou en 2000 avec Carol Fran et Clarence Hollimon (No One Will Listen) et même de Phil Guy en 1986 (Tina Nu). À ce propos, un rappel s’impose : il a joué avec Slim Harpo dans les années 60 avant de rejoindre son frère Buddy à Chicago. Rien à reprocher sur la qualité des musiciens ni de leurs prestations, juste de l’étonnement sur cette programmation, hétéroclite non annoncée sur le coffret mais, ouf, (presque) tous les musiciens sont bel et bien Louisianais bon teint. – Robert Sacré
Arnaud Fradin & His Roots Combo
Steady Rollin Man
Mojo Hand Records
Arnaud Fradin est le fondateur du groupe Malted Milk qui fête ses 20 ans. À la guitare et au chant, il est aussi le producteur de « Steady Rollin Man », le premier album sous son nom. Avec son Roots Combo, il reprend les classiques des grands du blues, depuis les racines africaines de la note bleue jusqu’aux sonorités de la nouvelle génération. Avec Thomas Troussier à l’harmonica, Igor Pichon à la contrebasse et Richard Housset aux percussions, le répertoire est varié puisque l’on va de Robert Johnson à Eric Bibb en passant par Muddy Waters , JB Lenoir, Skip James, Buddy Guy, Little Smokey Smothers et Luther Allison. La présence de Bob Dylan à côté de ces géants du blues est à noter. La technique employée pour l’enregistrement en acoustique permet d’avoir un son puissant pour la guitare, un harmonica bien expressif et un efficace soutien des percussions. Arnaud Fradin démontre que l’on peut imaginer de nouvelles sonorités tout en respectant les multiples traditions et facettes du blues. Une démarche importante à découvrir car elle aura certainement un bel avenir. – Robert Moutet
Yvan Guillevic & Anne Sorgues
Do It Your Way
La Mouche Production / Coop Breizh
Yvan Guillevic est un guitariste qui a produit deux enregistrements en 2011 et 2013 où il exprime ses influences rock, soul et British Boom. Mais c’est en 2015 qu’ il obtient un record d’audience avec son album Pink Floyd Acoustic. Et c’est lors d’un des nombeux concerts de cet Tribute To Pink Floyd qu’Yvan fait la connaissance d’Anne Sorgues. Celle-ci est passionnée par la musique et particulièrement par le chant. Amoureuse du jazz, elle chante au sein d’un quartet qui porte son nom. Elle se produit lors de concerts et de festivals en Bretagne et elle dirige la chorale Gospel Morbihan à Auray. Sa rencontre avec Yvan Guillevic marque ses débuts en tant qu’auteur-compositeur-interprète. L’album « Do It Your Way » a donc été écrit et composé par les deux protagonistes et il fait la synthèse de leurs deux univers. Anne est une surprenante découverte, sa voix est bien maîtrisée, aussi à l’aise dans la douceur que dans une certaine violence. Yvan est un guitariste de talent, bien présent pour soutenir Anne, tout en apportant son influence pour la musique noire américaine et le British Boom de Clapton ou Jeff Beck, sans oublier Pink Floyd. Voici donc un album qui nous propose un univers musical unique en réunissant à la fois le jazz, la soul, la pop et le rythm & blues. À découvrir aussi pour la voix magnifique d’Anne Sorgues. – Robert Moutet
Raphaël Imbert
Music Is My Hope
Jazz Village JV 9570155 PIAS
La musique de Raphaël Imbert, saxophone et clarinette basse, est à l’image de la photo de couverture du CD : un joyeux capharnaüm dans lequel se fédèrent autour du jazz, des thèmes venus du gospel (Didn’t My Lord délivre Daniel), du folk (Turn ! Turn ! Turn !, The Circle Game de Joni Mitchell) ou de la chanson populaire provençale, tantôt dynamités dans une veine rock ou proche du free-jazz, tantôt apaisés jusqu’au murmure. La voix de Paul Robeson, icône de la lutte contre la discrimination raciale, lisant un monologue d’Othello de Shakespeare se fait aussi entendre. Tous ces thèmes comme les six titres originaux de l’album ont pour fil d’Ariane l’humanisme, la résistance et la tolérance. Pour en exprimer l’étendue, Raphaël Imbert et les musiciens qui l’entourent donnent carte blanche à quatre chanteuses et chanteurs : Aurore Imbert, Marion Rampal, Manu Barthélémy et Big Ron Hunter (magnifique dans le final Play Your Cards Right). Un disque ouvert et généreux. – Dominique Lagarde
Various Artists
Jasmine JASMCD 2638 – www.jasmine-records.co.uk
Ce CD est censé restituer l’intégrale de la musique du film éponyme. On peut d’emblée s’interroger sur l’intérêt d’une telle réalisation et s’il n’eût pas été préférable de proposer la réédition sur DVD du film lui-même… La réponse peut se trouver dans le listing des morceaux dont 7 (Flee As A Bird – couplé à When The Saints… -, Brahm’s Lullaby, les 2 courtes versions de Buddy Bolden Blues, Raymond St. Blues, King Porter Stomp et la version rapide de Mahogany Hall Stomp) n’apparaissent pas dans la version définitive du film. À l’opposé, on peut regretter ici l’absence de Meade Lux Lewis qui, déguisé à l’écran en peintre en bâtiment, nous offre quelques secondes d’un Honky Tonk délectable. Les amateurs de jazz regretteront moins l’absence du final musical, un Do You Know What It Means To Miss New Orleans, interprété par un orchestre symphonique qui accompagne la diva-héroïne dont vous pouvez imaginer le swing, lequel n’est d’ailleurs guère influencé par l’entrée en lice pourtant spectaculaire du big band de Woody Herman. Heureusement, il y a Satchmo et Billie qui sont la vraie caution musicale de ce film. Et pourtant ils ne partent pas gagnants ! Ils jouent des rôles caricaturaux subalternes bien dans l’air du temps de l’époque ; elle, la Noire, simple bonne à tout-faire de la star caucasienne (les quelques lignes évoquant l’événement dans son autobiographie – « Lady sings the Blues » – sont particulièrement édifiantes !) ; lui, tout aussi noir, ravalé au rang de musicien aux ordres du maître des lieux. Sur le fond d’un fait historique réel – la fermeture de Storyville et la migration des musiciens de Crescent City vers Chicago – nous est proposé un mélo larmoyant à l’eau de rose autour des amours contrariées d’une grande cantatrice en devenir et d’un tenancier de tripot, finalement pas si véreux que çà… Satchmo et Billie y soufflent un authentique vent de fraîcheur. Billie Holiday, avec sa petite voix encore pleine de douceur, nous offre deux belles versions de Do You Know…, l’une en solitaire, assise à son piano, l’autre en public, soutenue par son Satchmo à la tête de son grand orchestre. Son Blues Are Brewin’ est chanté avec un feeling qui n’appartient qu’à elle (et à Pops qui lui fournit l’accompagnement idéal). Que ce soit avec son Hot Seven reconstitué pour l’occasion (Kid Ory, Barney Bigard et Zutty Singleton, Bud Scott le mettent au même niveau que celui des années 20, même si Charlie n’atteint pas celui d’Earl Hines), parfois agrémenté du sax ténor de Lucky Thompson et de la trompette chevrotante de Papa Mutt Carey (les deux versions de Dippermouth Blues, Shimmi Sha Wabble, Ballin’ The Jack et King Porter Stomp), ou que ce soit avec son big band qui jette ses derniers feux quelques mois avant la naissance du All Stars, Louis Armstrong reste le héros plein de verve et de naturel qu’il sait être en de telles circonstances. Le contrechant de trompette qu’il offre à Billie dans Farewell To Storyville sur un chœur en toile de fond est digne des plus beaux gospels. Son West End Blues n’est pas loin de valoir l’original, ce qui n’est pas peu dire. Les versions qu’il donne de Basin Street, de Where The Blues…, et surtout celle de Mahogany Hall Stomp sont parmi les plus chouettes de sa discographie. Trompette magique et voix unique, swing et émotion – les deux ingrédients majeurs du jazz – garantis. Quel contraste saisissant entre ces deux monuments qui donnent l’impression toute simple de jouer leur propre rôle et ceux qui, croyant tenir le haut du pavé, ne sont en réalité qu’êtres futiles, mièvres et médiocres. Une caricature chasse l’ autre ! En définitive, ultime justification de ce CD, la (belle) musique l’emporte largement tant en qualité qu’en quantité (53’) sur le synopsis du film qui ne nous en donne que moins d’un quart d’heure. Mais les images de Louis, surtout à cette époque, et celles de Billie, surtout avant qu’elle ne se fane, sont si rares qu’on peut se demander s’il n’eût pas mieux valu publier ensemble CD et DVD… – Jean-Michel Colin
Girma Bèyènè & Akale Wube
Mistakes On Purpose
Ehiopiques 30
Buda Musique 860303 – www.budamusique.com
Girma Bèyènè est une légende discrète de la musique éthiopienne, pianiste, percussionniste, membre dans les années soixante/soixante-dix, du Ras Band, orchestre attitré du Ras Hôtel d’Addis Abeba. La musique produite est alors un cocktail d’influences rock’n’roll, rhythm’n’blues, pop, jazz-soul interprété dans la langue du cru. Le Swinging Addis devient au fil des ans une scène très courue. Girma Bèyènè est ensuite l’un des fondateurs de l’Alèm Girma Band. La chute d’Hailé Sélassié en 1974 change progressivement la donne : des musiciens partent en exil. Pour tout savoir sur cet âge d’or, le plus simple est de se reporter aux volumes de la superbe collection Ethiopiques qui réédite et documente depuis vingt ans cette histoire explosive du groove et de l’Ethio-Jazz. La série donne aussi à entendre des musiciens retrouvés de cette époque lointaine et c’est le cas avec ce trentième volume. Girma Bèyènè peut y chanter en vedette la femme éthiopienne et jouer les thèmes qu’il affectionne entouré de jeunes musiciens français : jazz, funk, rock, vieilles mélodies du twist. Tonique et émouvant. – Dominique Lagarde
Wake Up America Tome 1 : 1940-1960
Par John Lewis – Andrew Aydin – Nate Powell
Editions Rue de Sèvres ISBN : 978-36981-040-7
À l’évidence, le mouvement des droits civiques aux USA ne peut laisser indifférent l’amateur de musique afro-américaine tant l’actualité de ce début de troisième millénaire renvoie toujours et encore aux thèmes de la ségrégation et des discriminations en tous genres qu’il s’était donné pour leit-motiv de combattre et d’éradiquer il y a … plus de 70 ans. Le député John Lewis, qui est l’un des auteurs et personnage central de cette trilogie remarquable, incarne cette quête de l’égalité et distille ses souvenirs du mouvement des droits civiques qu’il partage aujourd’hui avec les jeunes leaders de l’Amérique. Dôté d’une plume alerte et d’un coup de crayon vif et acéré, « Wake Up America » se lit d’une traite tant la richesse et la qualité de la narration sont remarquables. L’épisode du pont Edmund Pettus à Selma (Alabama) le 7 mars 1965 – appelé depuis le Bloody Sunday (le dimanche sanglant) – est passé à la postérité comme l’un des moments forts de la lutte pour l’égalité et a forgé une culture inébranlable des droits civiques? C’est un moment fort et émouvant de ce premier tome. Ce dernier couvre la période 1940-1960 et s’attache donc à camper le contexte économique, social et culturel pendant et après-guerre en multipliant les exemples du quotidien des Noirs américains dans l’Amérique profonde. En l’occurrence, lorsque le petit Lewis voyageait avec son Oncle dans les États ségrégationnistes en 1951 jusque dans les années 1960, où encore quand à Greensboro en Caroline du Nord quatre jeunes étudiants de North Carolina A&T prirent place au comptoir d’un Woolwoorth’s en centre ville… La suite, vous la découvrirez en lisant ce roman graphique captivant. – Philippe Prétet
Bessie Smith
Des routes du Sud à la vallée heureuse
Par Stéphane Koechlin
Editions Castor Astral (2018)
Davantage qu’une simple biographie de “l’Impératrice du Blues”, le livre de Stéphane Koechlin se présente comme une sorte de kaléidoscope de « l’Àge du Jazz ». Si les faits et gestes de la chanteuse nous sont bien rapportés, l’ouvrage s’attarde également sur des personnages qui ont marqué de leur emprunte la culture et le monde du spectacle des années 1920-1930 aux États-Unis. En premier lieu les consœurs de Bessie : Ma Rainey (la “Mère du Blues”), Alberta Hunter (co-signataire, avec Lovie Austin, de Down Hearted Blues), Ethel Waters, Carla Smith, mais également Sophie Tucker ou Mae West. L’ouvrage s’attarde également sur les songwriters, comme l’incontournable compositeur de Saint Louis Blues, W.C. Handy, Perry Bradford qui dut batailler ferme pour que Mamie Smith (sans rapport avec Bessie), puisse enregistrer dès 1920 son fameux Crazy Blues qui déclencha sur tout le territoire la vague du blues classique, Spencer Williams pourvoyeur de nombreux morceaux destinés à Bessie, ou encore Lovie Austin qui composa des blues tant pour Ma Rainey que pour Bessie Smith et fut souvent leur accompagnatrice au piano. Chroniqueur, mécène, romancier, photographe et figure incontournable de la Harlem Renaissance, le Batave millionnaire Carl Van Vetchen a droit – comme de juste – à un traitement de choix ; il faut dire que nous lui devons une galerie de portraits photographiques mémorables de Bessie. Durant la Harlem Renaissance, son salon est le lieu ou se croisent, sans préjugés, tout le gratin de la culture américaines : musiciens (Ellington, Gershwin, Carla Smith, Ethel Waters, etc ), écrivains (County Cullen, Langston Hughes, Scott Fitzgerald…), personnages dont l’ouvrage de Koechlin nous brosse de savoureux portraits. Chaque chapitre se termine par une page de faits divers puisés dans la presse locale ou nationale de l’époque. Comme le chœur d’une tragédie annonçant un destin fatal, les accidents d’automobile y occupent une place centrale… Nous connaissons, hélas, la fin de l’histoire. Agréable à lire, l’ouvrage est écrit d’une plume alerte. On peut toutefois regretter – même s’il s’agit d’un livre grand public – la minceur des analyses musicales ou textuelles proposées. Nous n’accédons en effet à l’art de Bessie que par de trop brèves esquisses qui ne lui rendent pas tout à fait justice ou se contentent de reprendre succinctement ce qui a déjà été formulé ailleurs. À ceux qui voudraient aller plus loin dans la connaissance de l’art de Bessie Smith et mieux comprendre l’importance du rôle culturel de la chanteuse, je conseillerai de lire également le très beau « Bessie Smith » de Florence Martin (Editions Parenthèses) et/ou le livre d’Angela Davis « Blues et Féminisme Noir », consacré à Ma Rainey, Bessie Smith et Bille Holliday, dont la traduction est parue il y a peu (octobre 2017) aux éditions Libertalia. – Christian Béthune
Booker T and The MG’s.
Green Onions & Memphis Soul
Par Eric Tessier
Éditions Camion Blanc
Alors que se multiplient les hagiographies consacrées aux sempiternelles figures de la soul (Brown, Redding, Charles), il est agréable de constater que certains auteurs et éditeurs s’aventurent sur des terrains plus hasardeux. C’est ainsi qu’Eric Tessier propose ce qui semble être la première biographie de Booker T & The MG’s. Après avoir planté le décor de Memphis, ville multiraciale tristement connue pour l’assassinat de Martin Luther King, l’auteur est bien obligé de faire l’historique de Stax Records et de toutes ses vicissitudes depuis sa création, de sa domination par Atlantic Records puis de son passage sous la houlette de Paramount & Gulf et Western. Fort d’une érudition pop/rock qui, hélas, laisse libre court à des digressions hors sujet (comme cette étude de la BO du film « Ces Messieurs Trop Tranquilles ») et d’une documentation essentiellement basée sur les travaux de Bob Bowman (Soulville USA et le livret qui accompagne le triple CD Time is Tight) et de Robert Gordon (Respect Yourself), Eric Tessier décortique méthodiquement chaque album dont Uptight, enregistré à Paris et qui fut pour Booker & The MG’s l’occasion de se produire au Bibelot (prestation diffusée sur La Deuxième Chaîne Couleur qui deviendra par la suite Antenne 2 dans la soirée Surprise Partie du 31/12/68). Le concert de la tournée Stax à l’Olympia est largement romancé au point d’en oublier l’anecdote majeure – et que seuls les témoins d’alors connaissent – qui est qu’à la surprise générale le public découvrit avec stupeur que Steve Cropper était… Blanc ! Puisqu’il n’y avait pas de photos sur les pochettes des albums à l’époque. Certains épisodes sont également « fictionnés » comme l’assassinat d’Al Jackson et il assez surprenant de constater qu’aucun des acteurs de l’aventure Stax – que ce soit Wayne Jackson, Steve Cropper, Ben Cauley, Joe Arnold, Andrew Love, John Gary Williams et même Booker T lui-même – n’aient été rencontrés, alors que certains viennent ou venaient en Europe. Enfin, et malgré ces réserves, cette somme de 400 pages sans aucune illustration se lirait agréablement comme une saga ancrée dans la dure réalité de son époque avec son corollaire de tension raciale si elle n’était pas parsemée d’un humour potache avec comme exemples les deux extraits suivants : « un amateur de pastiche n’est pas un alcoolique auvergnat » et « Donald Duck Dunn n’était pas en studio, peut-être était-il en train de garder Riri, Fifi et Loulou ? ». Pour conclure, laissons à l’auteur la responsabilité de son propos lorsqu’il évoque le « Melting Pot » américain : « Gardons à l’esprit nos propres fumisteries comme ces “Liberté, Égalité, Fraternité” qui ornent les frontons de nos édifices publics et auxquels ne croient que ceux qui n’en bénéficieront jamais »… – Jean-Claude Morlot