Chroniques #62

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Willie Hightower

Out Of The Blue

Ace CDCHD 1520/ CHD 1520 (LP) – www.acerecords.co.uk

Willie Hightower avait fait impression à Porretta l’an passé et plus particulièrement lors de son ultime prestation à Vergato (Italie). Tony Rounce – de chez Ace Records – était présent et ne tarissait pas d’éloges sur ce chanteur qui, aussi bizarre que cela puisse paraître, demeure injustement méconnu. Ace a acquis en toute logique les droits de ces dix titres produits dans les studios de Muscle Shoals par le presque centenaire (puisque né en 1921) et légendaire Quinton Claunch. Classicisme absolu d’une soul sudiste intemporelle, nous serions, s’il n’y avait le copyright, en droit de penser que tout ceci a été enregistré dans les années 70. Sans nostalgie ou revival rétro, ce recueil est composé essentiellement d’une suite de ballades mises en valeur par une vois feutrée, chaleureuse et agréablement soutenue par une section de cuivres aussi discrète qu’efficace. Du grand art. – Jean-Claude Morlot


Marcel Smith

Everybody Needs Love

Little Village Foundation Records – www.littlevillagefoundation.com

Pour son premier album solo, Marcel Smith signe ici un magnifique opus qui va faire date. Navigant habilement entre Gospel et Soul, son arrivée sur le label Little Village Foundation est marquant. Comme il se doit, le chanteur fait ses premières vocalises au sein de sa paroisse et, très jeune, il est déjà un fervent admirateur de Clarence Fountain et des Blinds Boys of Alabama, Joe Ligon et la formation des Mighty Clouds, ou encore des mythiques Soul Stirrers. Adolescent, il est remarqué par Willie Washington qui lui propose de rejoindre les WD Gospel Singers qui lui mettent définitivement le pied à l’étrier. Dès l’écoute du premier titre appartenant au répertoire d’Eddie Hinton – Everybody Needs Love – nous savons que nous avons à faire à un artiste à fort potentiel. Parmi les compositions proposées, nous retrouvons des morceaux de Sam Cook et de Bobby Womack superbement revisités, mais aussi des compositions sacrées à l’image du classique What A Friend We Have In Jesus divinement interprété aux côtés d’une formation sans faille qui donne le meilleur d’elle-même. Une nouvelle fois, le label participatif Little Village Foundation nous délivre une session exemplaire qui ravira les amateurs les plus exigeants. Il faut souhaiter que cet album réussi de bout en bout serve de tremplin à la carrière de Marcel Smith qui le mérite amplement. – Jean-Luc Vabres


Shemekia Copeland

America’s Child

Alligator Records ALCD 4984 – www.shemekiacopeland.com 

Shemekia Copeland a maintenant acquis une stature de grande vedette internationale, son timbre de voix original et expressif fait l’unanimité (« Une des grandes voix de notre temps… » – The Chicago Tribune). Dans son sixième opus pour Alligator Records, elle sait s’entourer du gratin des auteurs-compositeurs comme Mary Gauthier, William Kimbrough, Oliver Wood et John Hahn, d’un producteur réputé et multiinstrumentiste (guitare, orgue) en la personne de Will Kimbrough et de guests triés sur le volet : John Prine (dans une reprise du hit de ce dernier, Great Rain), Rhiannon Giddens (African banjo) dans Smoked Ham And Peaches, Steve Cropper (guitare) dans Promised Myself, une ballade écrite par Johnny Copeland. LE morceau bien enlevé de cet album est The Wrong Idea avec son côté « country » grâce au violoniste Kenny Sears. Bref, Shemekia est bien au-delà du blues de ses débuts. Elle explose les genres, louvoyant entre Rock, Soul, Americana et C&W (l’album a été gravé à Nashville avec Emmy Lou Harris dans les chœurs sur Americans). À une exception près, tous les morceaux sont en slow ou en médium et les textes sont intéressants : depuis la naissance de son fils Johnny en décembre 2016, Shemekia s’interroge sur l’état de l’Amérique et du monde, elle se demande dans quel environnement son enfant va grandir et elle partage ses inquiétudes avec nous. Le racisme ambiant lui fait se demander Would You Take My Blood, et elle prêche la tolérance dans Ain’t Got Time For Hate et, dans Americans, elle rappelle que, hormis les natives, tous les Américains sont des immigrés et que ce mélange de cultures et de traditions et cette diversité fait d’eux un peuple dynamique et entreprenant. – Robert Sacré


Cedric Burnside

Benton County Relic

Single Lock Records / Modulor 

Petit-fils du grand R.L. Burnside et fils du drummer Calvin Jackson, Cedric avait pour le moins une voie toute tracée pour devenir songwriter, drummer, guitariste et chanteur. Mais l’héridité et le « privilège »  du sol ne font pas tout. Encore faut-il savoir retranscrire ce son si unique créé près de Holly Spring, Mississippi, et plus encore affirmer sa propre identité ; qui plus est quand on grandit au milieu d’artistes comme Junior Kimbrough, Otha Turner, T-Model Ford ou Paul “Wine” Jones, il faut savoir faire ses preuves… Comme batteur et comme chanteur, nous avons pu juger de son talent sur scène aux côtés notamment de Steve “Lil” Malcolm dans un duo explosif. Ses expériences de musicien aux côtés des North Mississippi Allstars (Luther Dickinson lui a offert sa première guitare électrique), de Bobby Rush ou encore de Black Joe Lewis se ressentent aussi, mais son talent pour l’écriture devait absolument et résolument éclore pour son propre compte. Cedric est un garçon intelligent, doué, avec une immense sensibilité. Plusieurs des douze morceaux de l’album donnent la chair de poule, à l’image de l’autobiographique We Made It qui relate une enfance dans la pauvreté. Il se sort merveilleusement de tous les thèmes abordés : passion amoureuse non partagée (There Is So Much), perte d’un être cher (splendide Hard To Stay Cool), ou simple description du quotidien (Typical Day). D’autres morceaux touchants comme Call On Me destiné à ses trois filles ou encore Death Bell Blues en hommage à son grand-père R.L. complètent ce très beau répertoire. On a ici un album où les codes du Hill Country blues sont rendus dans la plus pure tradition de cette musique très rythmée, avec des phrases parfois obsédantes ou bien des morceaux qui ne peuvent pas vous faire rester en place tellement ils prêtent à danser. Cedric s’avère aussi brillant au chant qu’aux drums ou à la guitare et à l’écriture dans ce remarquable album très personnel. – Marcel Bénédit


Mitch Woods

Friends Along The Way

E-One CD – mitchwoods.com

Superbe ! Comme toujours, le sympathique Mitch Woods – chanteur et pianiste inspiré – nous propose un disque étonnant et très réussi. Les ingrédients : des amis tout au long de la route (Friends Along The Way) qui viennent épauler Mitch de la plus belle façon. Seize duos avec parfois un batteur en plus, qui interprètent des classiques et des compositions originales avec panache et talent. Van Morrison est particulièrement impressionnant sur C.C. Rider ou Midnight Hour Blues, et puis il y a John Hammond, Charlie Musselwhite, Ruthie Foster, Elvin Bishop, Kenny Neal, Marcia Ball, James Cotton, Maria Muldaur, Cyril Neville et même John Lee Hooker sur un titre plus ancien. Habituellement, je suis méfiant sur ces disques regorgeant d’invités où chacun fait son numéro ; ce n’est pas le cas ici où il y a une chaleur, une unité et un amour du blues qui domine les sessions. On se sent bien avec eux. Mitch Woods est une valeur sûre du blues d’aujourd’hui et surtout ne loupez pas ses autres grands disques : « Keeper of the Flame », « Big easy Boogie », ou « Gumbo Blues », ce sont des perles ! – Marin Poumérol


Eric Lindell

Revolution In Your Heart

Alligator Records ALCD 4985 / Socadisc – www.alligator.com

Originaire du Nord de la Californie mais installé à New Orleans depuis 2006 et très influencé par la musique locale, Lindell a atteint à la notoriété la même année avec son premier album Alligator (« Change In The Weather ») ; tous ont salué ses talents de guitariste, de compositeur et de poète. Il s’en est suivi un cycle ininterrompu de tournées et de concerts tous couronnés de succès. Son deuxième album Alligator (« Low On Cash, Rich In Love ») en 2008 comme le troisième (« Gulf Coast Highway ») en 2009 ont conforté son statut de star. Après avoir tenté sa chance ailleurs, il est revenu à Alligator Records et il a beaucoup travaillé sur ce quatrième opus où il joue de tous les instruments (guitare, harmonica, basse, orgue et keyboards) sauf la batterie (Willie McMains). Il a aussi composé les douze faces, largement autobiographiques, dont une en collaboration avec Seth Walker (How Could This Be ?). C’est une mélange de ballades tendres et attachantes, avec des mélodies attractives en slow (Revolution) et en medium (Heavy Heart, Claudette). D’autres faces sont plutôt de la Soul « aux yeux bleus » voire du rock (Big Horse) avec une touche NOLA (Grandpa Jim, The Sun Don’t Shine) et de C&W (Millie Kay, Pat West, Appaloosa). How Could This Be est aussi une ballade mais avec des parties de guitare spectaculaires qui en font, pour moi, la meilleure face du CD avec Kelly Ridge, uptempo, du plus bel effet. – Robert Sacre


Kennedy, Milteau, Segal

CrossBorder Blues

Naïve NJ628571

L’Afro-américain canadien Harrison Kennedy a longtemps fait partie des Chairman of the Board, orchestre de Soul de Detroit. Il joue de l’harmonica sur l’album « What’s Going On » de Marvin Gaye (mais pas sur le titre éponyme). Il abandonne la musique pendant une trentaine d’années. Depuis son retour, en 2003, il est un des meilleurs artistes de la scène blues. Auteur-compositeur, chanteur, joueur d’harmonica, guitare, banjo, mandoline, cuillères, il a enregistré d’excellents CDs (Black and Tan, Electro-Fi, Dixiefrog). Sur cette nouvelle production, il dialogue avec Jean-Jacques Milteau et ses harmonicas et, plus surprenant, Vincent Segal et son violoncelle, instrument inconnu du Blues. La note bleue est le fil conducteur de cette rencontre musicale. Avant de glisser le disque dans le lecteur, on consulte le menu ; on y découvre de nouvelles compositions et des reprises : What’s Going On, Georgia On My Mind, T-Bone Shuffle, Imagine et The Thrill Is Gone. Le scepticisme s’empare de nous. Pourquoi choisir des chansons déjà mille fois interprétées ? Il faut un sacré culot, beaucoup de talent et d’invention pour se lancer dans une telle aventure. Dès les premières notes de Here Comes Sunday Morning, la chanson qui ouvre le disque, on est saisi par le climat envoûtant de cette musique acoustique. La voix d’Harrison Kennedy est parfaite. Les brèves interventions de Jean-Jacques Milteau sont inventives. Le violoncelle de Vincent Segal apporte lyrisme et poésie. C’est ainsi que les reprises si redoutées deviennent des créations quasi-originales (T-Bone Shuffle au banjo et Imagine sont méconnaissables). D’où vient le sentiment de beauté que j’éprouve à l’écoute de cette musique ? Pourquoi cette émotion heureuse ? Peut-être à cause de la concision, de la vigueur de cette création, une véritable musique de chambre. On imagine les trois artistes dans un salon interprétant leurs chansons pour un auditoire peu nombreux et subjugué. Cette musique ne s’adresse pas aux foules soumises aux réjouissances programmées. Une fois le disque terminé, on en recommence l’écoute apaisante immédiatement. Un coup de cœur ! – Gilbert Guyonnet


Bobby G

PhD In The Blues

thirdstreetcigarrecords.com

Bobby Jones est diplômé. Un diplôme en blues acquis sur la route et sur la scène, et non sur les bancs de l’université ! Un clin d’œil à l’album « Dictionary of Soul » d’Otis Redding ? En tous les cas, c’est bien dans une atmosphère Memphis sound des années 60/70 que baigne l’essentiel de cet album, entièrement écrit et produit par Johnny Rawls. Bobby G s’y révèle un chanteur intimiste et sensible déjà mûr, même si ce n’est que son deuxième album après « Still Standing ». Le Ain’t That A Good Thing fait belle impression en ouverture et les neuf autres titres s’enchaînent sans effort, portés par les cuivres et la rythmique du Third Street Cigar Blues Band. L’harmonica introduit No More Picking Cotton et Where Did The Blues Go ?, les deux passages les plus désenchantés. Des titres plus enlevés comme Love Machine ou Whole Lotta Money tournent un peu en rond. How Can I Miss est un blues à la Dust My Broom, All Night un mid-tempo à la Tip On In. – Dominique Lagarde


Tom Hambridge

The NOLA Sessions

Superstar Factory Productions – www.tomhambridge.com

Par ailleurs batteur, Hambridge est un producteur multi-« awardisé » (avec Buddy Guy, Gary Clark Jr, Van Morrison, B.B. King…). Il est aussi compositeur (plus de 400 de ses compos auraient été enregistrées par la crème du Blues Who’s Who (ZZ Top, Eric Burdon, Buddy Guy, Joe Bonamassa, James Cotton…). Il est aussi chanteur, avec un timbre de voix très plaisant (entre autres dans le très enlevé Bluz Crazy, une des meilleures faces de ce CD). Pour ce huitième album sous son nom, il a voulu – en treize compositions originales (dont cinq en collaboration) – rendre hommage à La Nouvelle-Orleans, à sa musique et à ses musiciens, comme dans son duo avec le regretté Allen Toussaint (enregistré peu avant la mort de ce dernbier en 2015) dans un superbe Blues Been Mighty Good To Me. Il a aussi fait appel à Sonny Landreth, roi de la « slydeco electric guitar » dans This End Of The Road, Whiskey Ghost, Little Things et Me And Charlie (un touchant hommage à Charlie McPherson, le chauffeur du bus de Buddy Guy). Il a encore appelé à la rescousse d’autres talents locaux comme Yvan Neville (Hammond B3) dans What You Leave Behind et A Couple Of Drops ou The Naughty Horns dans I Love Everything – baignant dans une ambiance second line –, Save Me et What You Leave Behind, ainsi que les McCrary Sisters (Regina, Ann, Alfreda et Deborah) dans Save Me, un gospel de bon aloi qui fait tanguer le studio avec David Torkanowski (p) et Kevin McKendree (Hammond B3). À part les très mélancoliques Masterpiece et Faith en slow ou Trying To Find It, l’album baigne dans une ambiance New Orleans très festive qui, je n’en doute pas, fera l’unanimité. – Robert Sacré


Eugene Hideaway Bridges

In Tallahasee

Armadillo Records ARMD00042 www.bluearmadillo.com

C’était il y a plus de vingt ans. Les affiches disaient : « La voix de Sam Cooke, le guitare de B.B. King ». Et force est de constater que l’écoute « en direct live » corroborait les propos publicitaires. On se souvient… d’un concert de gospel dans un parc périgourdin parfois brinquebalant mais avec des fulgurances a capella dignes des plus grands, d’un moment seul en acoustique dans un arrière-fond de cuisine de Dordogne, d’un premier show terriblement énergique dans une boîte de nuit en bord de rivière… Le temps a passé, la carrière s’est «  internationalisée ». Eugène parcourt régulièrement le monde. Ce live enregistré récemment dans un club de Floride aurait tout ausssi bien pu sortir de vieilles archives. Une sorte d’immuabilité dans le shuffle qui fait la force de l’homme et de ses shows avec, en sus, cette voix de ballade qui emporte tout sur son passage (Gold Old Days, I’ll Be A King). Une constante de qualité au fil du temps qu’on se prend à rêver prise en main par un vrai travail de production avec dépouillement et rythmique au fond du temps. – Stéphane Colin (dédié à Noëlle Valluet)


Eddie Kold Band
featuring Larry Doc Watkins

Blues Heaven

L+R Records CDLR 581128 – www.eddiekold.com

La bonne surprise de cet été 2018 nous arrive d’Outre-Rhin en la personne du guitariste Eddie Kold. Ce dernier déboule sans crier gare avec un album enregistré à Chicago l’hiver dernier qui rend hommage aux artistes et à la musique de la Cité des Vents qu’il a si souvent côtoyés. Eddie effectue son premier voyage sur les bords du lac Michigan en 1986 et se régale en fréquentant des clubs comme B.L.U.E.S sur Halsted Street, le fameux Wise Fools’s Pub, ou encore Lilly’s sur North Lincoln. Il découvre alors in situ des artistes flamboyants à l’image de Son Seals, Fenton Robinson, Jimmy Johnson et Smokey Smothers. Au final, son gros coup de cœur sera pour les établissements des quartiers sud fréquentés par une majorité d’Afro-américains. L’année suivante, il se retrouve intégré dans la formation de Buddy Scott et devient, aux côtés de Walter Scott – guitariste émérite de la fratrie qu’on ne présente plus dans ABS Mag – membre à part entière de la formation des Rip Tips. Sous la tutelle de Buddy Scott, Eddie affûte sa technique et joue certes du Blues, mais aussi de la Soul, notamment les week-ends dans des clubs bondés du South Side. Eddie Kold rejoint ensuite le groupe de Vance Kelly et là aussi le répertoire est vaste : Disco, Soul, Blues, Country and Western sont au programme. Un problème de visa expiré l’empêche d’être à ses côtés lors de la sortie du CD « Call Me » chez Wolf Records. Malgré tout, il part en tournée avec Zora Young au Canada, en Hollande et en Belgique. Au cours de ses différents séjours à Chicago, son curriculum-vitae s’étoffe puisqu’on le retrouve aux côtés de L.V. Banks, Otis Clay, Tyrone Davis, Alvin Cash ou encore Robert Lockwood Jr. Pour sa nouvelle production, Eddie à traversé une nouvelle fois l’Atlantique avec ses musiciens : Lukas Diehl est aux claviers, Sven Ostrwski à la basse, tandis que Christian Wubben est derrière les fûts ; n’omettons pas également au chant Larry Doc Watkins, qui est originaire de Virginie, ce dernier réside en Allemagne depuis une vingtaine d’années. Des invités pour ne pas dire des amis sont conviés en studio et font des prouesses au fil des 14 compositions proposées. Quel plaisir de retrouver le guitariste Hollywood Scott sur les classiques Big Boss Man et Suzie, tandis que Vance Kelly – au jeu si incisif – fait des étincelles sur Do The Breakdown et I’ve Got To Use My Imagination, aux côtés de la talentueuse chanteuse Delores Scott, ou encore le saxophoniste Rodney Brown qui déroule toute sa classe sur le titre Wipping Willow Tree. Voici un album qui transpire le Blues et la Soul des quartiers sud et ouest de la Windy City et qui ravira les nombreux amateurs du genre. – Jean-Luc Vabres


Keith Stone With Red Gravy

Blues With A Taste Of New Orleans

Auto produit

Originaire de La Nouvelle-Orléans, Keith Stone a commencé à jouer de divers instruments durant son adolescence. Avec pour idole Louis Amstrong, il a d’abord trouvé que les cuivres étaient parfaits pour lui. Mais comme il avait des difficultés avec le trombone et le tuba, c’est en 1983, à l’âge de 18 ans, qu’ il a définitivement choisi la guitare. Un an plus tard, il donne son premier concert où il interprète des morceaux du répertoire de Muddy Waters. Il a ensuite voyagé durant cinq ans à travers les États-Unis, se produisant aussi au Canada. Mais en 1994, Keith se découvre une vocation religieuse. Il quitte New Orleans et devient pasteur pour une grande église en Caroline du Sud. En 2005, l’ouragan Katrina qui détruit une grande partie de La Nouvelle-Orléans. Keith collecte et envoie de la nourriture, mais il réalise qu’il sera plus utile sur place. De retour dans sa ville meurtrie, il crée une organisation à but non lucratif avec des milliers de volontaires et collecte des millions de dollards pour les victimes de Katrina. En 2011, il met un terme à sa carrière religieuse en célébrant les funérailles de Coco Robicheaux. Il effectue ensuite un retour à la musique et publie, en 2015, son premier disque solo, « The Prodigal Returns ». Il lance alors son groupe Red Gravy dont la distribution va changer chaque nuit, mettant en application une des légendes de La Nouvelle-Orléans qui prétend : « il n’y a qu’un seul groupe dans la ville, mais il a cinq mille membres ». Et c’est lors d’un voyage en Floride que Keith réunit dans son groupe Red Gravy trois vétérans et talentueux sidemem. Le pianiste Tom Worrell (qui a joué avec Salomon Burke, Johnny Adams, Mem Shannon et Walter Wolfman Washington), le bassite Kennan Shaw (qui a tourné dans le monde entier avec des talents aussi divers que les Shirelles ou Etta James, et on le retrouve sur les deux derniers albums de la regrettée Candye Kane), et Eddie Christmas qui incarne la tradition de la batterie dans la Cité du Croissant ; du gospel aux fanfares, il pourrait jouer une vingtaine d’heures par jour pendant la saison du Mardi Gras, et il passe beaucoup de temps à enseigner les percussions aux enfants et donne des cours dans les cliniques. Et pour les dix morceaux de « Blues With A Taste Of New Orleans » – tous composés par le groupe – Red Gravy est complété par Brent Johnson à la guitare slide et Jimmy Carpenter au saxophone. Le premier morceau, Ain’t That The Blues, est un blues-rock standard avec des magnifiques solos de guitare. Love Done Put Me Down a un rythme funky alors que You Ain’t Got Nothing est un blues plus calme, avec un excellent solo de saxophone. Le morceau Red Gravy évoque avec humour la nourriture louisianaise, mais c’est certainement le très romantique Crazy In Love With You – avec un autre solo de saxophone – qui est le morceau le plus remarquable du disque. Il faut noter que Red Gravy a eu l’honneur de représenter La Nouvelle-Orléans à l’International Blues Challenge. Musicalement, c’est une consécration pour Keih Stone et Red Gravy et, en écoutant leur disque, vous serez certainement d’accord – comme le grand Dr John – pour leur donner le titre de « nouveaux ambassadeurs de la musique de La Nouvelle-Orléans ». – Robert Moutet


Russ Green

City Soul

Cleopatra Records – www.russgreenmusic.com

Loin d’être inconnu parmi ses pairs, Green est un nouveau venu sur la scène du blues enregistré. Il est chanteur/harmoniciste, c’est son premier album, et c’est en fait une lettre d’amour à sa ville, Chicago, et à ses bluesmen légendaires. Né dans le West Side, il a fait des études de cinéma auquel il consacrait ses économies, tout en vouant une passion pour Jimi Hendrix. Ne pouvant s’acheter une guitare, il s’est tourné avec succès vers l’harmonica avec, comme mentors, Sugar Blue et Billy Branch. Il a joué avec John Primer et Lurrie Bell et est apparu dans un paquet de festivals à Chicago, San Francisco, en Grande Bretagne, etc, tout en poursuivant une carrière fructueuse dans le cinéma et la télévision (1). Il ne regrette pas ses choix. Comme musicien, il démontre son savoir-faire d’entrée de jeu avec le premier titre, First Thing Smokin’, en bogie, puis dans The Edge, un hommage appuyé à Hendrix. Il s’est bien entouré, avec, entre autres, le guitariste Giles Corey (ex-Mississippi Heat) notamment dans Up From The Bottom, ou Vince Agwada (guitare slide ) dans l’excellent Something New. Il a aussi Eric Bibb comme guest dans Going Down South qui explore l’héritage du Peuple du Blues. Dans Train Of Pain, il aborde les problèmes des SDF, la pauvreté et les discriminations en tous genres. Sa voix de baryton fait merveille dans des titres plus soul comme Believe In LoveLover Man et Love To Give. – Robert Sacré

Note 1 : D’abord actif dans la production de films (« Road To Perdition », « Tears Of The Sun », « Save The Last Dance », « Soul Food »…), il est passé à la TV pour des pubs, puis comme assistant de production, puis Directeur assistant pour des séries comme « Prison Break » et il a travaillé avec Paul Newman, Vanessa Williams, Daniel Craig, Tom Hanks, Jude Law, Bruce Willis…


Dennis Jones Band

WE 3 Live

Blue Rock Records – www.dennisjones.central.com

Émule de Jimi Hendrix, tant dans la voix que dans le jeu, ce chanteur guitariste privilégie la formule du power trio (Sam Correa, basse et Raymond Johnson, batterie) capté ici en public. Hormis la reprise du Born Under A Bad Sign d’Albert King, Dennis est l’auteur des treize autres titres. Son style de guitare puissant n’est jamais démonstratif. L’album s’équilibre entre shuffles, mid-tempo à tendance heavy rock ou funky. L’ensemble est un peu prévisible mais bénéficie d’une belle prise de son. You Don’t Know A Thing About Love offre un moment plus lyrique, prétexte à un chorus de guitare plus aventureux. – Dominique Lagarde


Shy Perry

Brand New Day

Autoproduction – cd disponible en concert ou en version numérique ici : https://shyperry.bandcamp.com/album/brand-new-day ou Sharoperry@hotmail.com

Le blues hypnotique des collines du Nord du Mississippi a été rendu célèbre par de véritables légendes telles que Fred McDowell, Othar Turner, Jessie Mae Hemphill, Junior Kimbrough, RL Burnside… aujourd’hui disparues. La relève est assurée notamment par les enfants et petits-enfants des familles Burnside et Kimbrough, Kenny Brown, Lightnin’ Malcolm, RL Boyce, etc. En outre, aux côtés de ces musiciens bien connus de ce côté-ci de l’Atlantique, on trouve la famille Perry, installée à Abbeville (Ms), charmante bourgade du comté de Lafayette, à quelques encablures de Holly Springs. Dans la famille Perry, il y a la mère Pauline, le père Bill “Howl-N-Madd” Perry – guitariste de blues bien connu des amateurs qui fréquentent assidûment les juke joints du Sud depuis des décennies – Shy, sa fille, qui est aux claviers, et le frère également prénommé Bill Perry est un pianiste très populaire. Ils ont créé un groupe familial – « The Perrys » – et pendant de nombreuses années ont voyagé dans de nombreux endroits comme Hong Kong, le Canada et Jakarta, ainsi qu’en Indonésie. Depuis, le père et la fille ont formé un duo qui se produit sur toutes les scènes du Sud et occasionnellement en Europe. On peut les voir, entre autres, dans les festivals, mais aussi au Ground Zero Blues Club et au Red’s à Clarksdale (Ms). Shy a enregistré son premier album intitulé « Voodoo Charm » en 1997, puis « Shy » en 2013 et ce « Brand New Day » qui vient de sortir. Vouant un véritable culte et un amour indéfectible à son père qui la coache et la conseille, Shy s’est néanmoins « émancipée » du cocon familial et a fait en sorte de voler de ses propres ailes dans la conception et la production de son dernier album. Être la « fille de » ne lui confère donc aucun statut ni facilité. Bien au contraire. Grâce à son talent et son abnégation, sa création musicale est le reflet d’un ressenti très personnel. Shy Perry a écrit et arrangé quasiment tous les textes de « Brand New Day ». Il fallait s’en douter, cet album reste néanmoins une affaire de famille : Bill Howl-N-Madd Perry – père (guitare rythmique et chant), Bill Perry Jr.- frère (piano /corde) sont présents et Lucy Kate Piper, très prometteuse aux fûts, s’ajoute en provenance d’Angleterre. Alors, quid de ce nouvel opus ? Une voix intemporelle à nulle autre pareille transporte dès la première écoute, car Shy Perry est capable d’inflexions vocales stupéfiantes, ce qui est assez rare pour être signalé. La mélodie et les arrangements sont superbement travaillés. Les sonorités actuelles mâtinées de soul et de funky-blues créent l’émotion. Don’t U Worry puise aux racines d’un blues binaire comme pour mieux mettre en évidence la qualité de son clavier. Sweet Baby raconte l’histoire d’un arrière petit-fils du blues… sorte de témoin entre tradition et modernité. Sur Mickey’s Got A Gun, l’influence de James Brown est là, avec groove et mélodie. Un autre frisson s’invite à l’écoute du très aérien Edge of Heaven écrit dans un avion en direction de l’Italie. Shy Perry retranscrit dans ses textes ce qu’elle observe au quotidien et au gré de ses nombreux déplacements. Point d’orgue, morceau titre laisse entendre que le blues est appelé à évoluer avec cette nouvelle génération. Shy Perry s’inscrit donc tout naturellement dans cette tendance de la musique afro-américaine de ce début de XXI° siècle qui rejette le copier-coller. – Philippe Prétet


Billy Hector

Some Day Baby

GSM 026

Hector est relativement peu connu au-delà de la Côte Est et du New Jersey, pourtant il a du répondant. Celui-ci est son seizième album et il a accompagné en tournée, entre autres, les guitaristes Hubert Sumlin et Joe Louis Walker et il est titulaire de plusieurs récompenses et autres Awards. Pour cet album sorti fin août 2018, il est accompagné par une pléiade de musiciens, pas moins de cinq batteurs, cinq bassistes et une section de cuivres très musclée comme dans Wizard Of Babylon, dans l’instrumental Bareback (boosté par David Nunez à l’orgue) et ailleurs. Hector est de fait un excellent guitariste (Whiskey et Hit The Road – deux slow blues, ou Creeper en medium), en particulier à la slide (On Your Bond). On notera aussi la présence de l’harmoniciste Dennis Gruenling dans une des meilleures faces, une reprise d’Alabama Bound. – Robert Sacré


Alvon

The Blues Chose Me

Autoproduit

Le ton est donné d’entrée de jeu et, comme le suggère le titre, force est de constater que nous sommes en présence de blues pur et dur. I Love The Blues montre qu’Alvon (Johnson) est d’inspiration classique tandis que l’instrumental Heaven lui donne l’opportunité de démontrer sa technique. Mais il faudra attendre Breakfast In Bed et Look At The World pour entendre des titres plus pêchus, voir funky, où même les solos sont plus agressifs que précédemment. Les inconditionnels du genre seront toutefois heureux de découvrir une reprise de Death Letter de Son House. Enfin, signalons que la lecture de la pochette du CD nous offre bien des surprises puisque figurent parmi les musiciens Felton Pilate II (ex membre du groupe des années 70 Con Funk Shun), le tromboniste Mike Rinta (que les spectateurs de Porretta connaissent bien), ainsi que Derrick “D’Mar” Martin, batteur du Anthony Paule Soul Orchestra. – Jean-Claude Morlot


Soul Return

Soul Return

Dixiefrog DFGCD 8801 – www.bluesweb.com

Avec Kellye Rucker au chant, JJ Holiday (des Imperial Crowns) à la guitare et Keith Karman à la basse, ce trio associé au batteur Michael Barsimanto (qui a accompagné Keith Richard, Billy Preston, Freddy Hubbard entre autres…) séduit par son dynamisme et son beat obsédant tout au long de l’album, dès la première face, You’re Leavin’ Me. On pourrait contester une certaine uniformité générale à une exception près, – l’excellent Talk To Me bien enlevé – car le tempo reste slow à medium dans toutes les plages. Mais de bonnes surprises sont là, comme le timbre de voix de Kellye Rucker, qui fait penser à celui de Bettye Lavette, et cela donne un cachet certain à ses interprétations. Certaines faces sont enjolivées par la slide d’Holiday comme Life of Crime et Throwin’ And Fumblin’ (inspiré du Roll And Tumble Blues de Hambone Willie Newburn), d’autres séduisent par un rythme soutenu, c’est le cas de In The Meantime, Only Love Can save us Now, Va Va Voom… Ajoutons que le saxophoniste Joe Sublett est en guest dans In The Meantime qui se décline sur un rythme agréablement saccadé. – Robert Sacré


Tony Joe White

Bad Mouthin’

CD YEP ROC 2593

Tony Joe White a fêté ses75 ans en juillet dernier. L’occasion de sortir de ses archives Bad Mouthin’, une chanson qu’il aurait écrite vers 1964, quatre ans avant sa reconnaissance par le grand public grâce à Polk Salad Annie. Un auteur compositeur de sa classe se met pourtant en retrait tout au long de cet album en effectuant six reprises sur un total de onze titres. Baby Please Don’t Go, Boom Boom, Big Boss Man ou Heartbreak Hotel n’ont plus de secret pour personne mais constituent chez lui des étapes essentielles dans la découverte du blues, en y ajoutant deux emprunts à Lightnin’ Hopkins et Charlie Patton. De prime abord, ce nouveau disque de Tony Joe White fait justement penser à ces vieux albums de John Lee Hooker période folk acoustique. Un retour aux sources après une tentative plus aventureuse il y a quelques années de fusionner ses chansons avec des sons électro et tant pis pour les mauvaises langues. – Dominique Lagarde


Bernard Purdie & Friends

“Cool Down”

Sugar Road Records SRR-002-CD

Alors que la grande Aretha Franklin nous a quittés, comment ne pas se délecter de la musique de l’un de ses compagnons de route, Bernard “Pretty” Purdie, batteur de légende s’il en est et durant cinq années directeur musical de la Queen of Soul. À 79 ans, celui qui fut aux sources du funk, grand drummer de jazz aussi, influent jusque dans le hip hop, propose un album de dix titres dans lesquels la dextérité du maître aux drums demeure et où les invités et amis donnent le meilleur d’eux-mêmes. Ainsi le East Coast funk côtoie les rythmes de La Nouvelle-Orléans et ce disque réjouira autant les fans de Funkadelic que ceux des Meters à travers des faces comme le morceau-titre de l’album, Elevate ou encore Keep On. Yvan et Cyril Neville sont de la partie. Dans une veine très seventies, Deep In Love avec la voix de Mayteana Morales est comme un moment de rêve. Au chant – à côté de Cryril et Mayteana – Anthony Cole, magistral. Pete shand et Bran J. offrent une production remarquable. Classé dans le top 20 des meilleurs drummers de tous les temps par le magazine Rolling Stone,  Bernard Purdie a joué avec un nombre incalculable d’artistes dont Aretha, James Brown, Steely Dan, Hank Crawford ou encore Miles Davis, mais il semble – comme il l’avait prouvé à Porretta tout récemment – ne jamais avoir perdu la flamme et ne pas subir l’emprise du temps. Ce magnifique album paru en 2017 en est la preuve irréfutable. – Marcel Bénédit


Trudy Lynn

Blues Keep Knockin’

Connor Ray Music CRM 1803

Voici le treizième disque de la chanteuse texane Trudy Lynn. Née Lee Audrey Nelms dans le Fifth Ward de Houston, elle a été la chanteuse du méconnu mais excellent guitariste texan I.J. Gosey et de l’orchestre de Clarence Green pendant cinq ans. Le label Ichiban la prit sous son aile en 1988 et lança sa carrière qui prit une dimension internationale. Nous la vîmes, en France, en 1991 et 2002, dans le cadre du Chicago Blues Festival (vous souvenez-vous de sa perruque blonde et de ses immenses faux ongles ?) et l’année dernière au mois de mai. Sa généreuse présence scénique séduisit aisément le public. Trudy Lynn est surtout une interprète ; elle a composé la seule chanson titre de cet album : Blues Keep Knockin’. Elle a donc choisi un répertoire éclectique, du pur Blues (That’s Alright de Jimmy Rogers et When I Been Drinkin’ de Big Bill broonzy), du Rhythm & Blues (One Monkey Don’t Stop No Show, chanson popularisée par Big Maybelle) et de la Soul (Won’t Be Long d’Aretha Franklin et deux titres d’Etta James : I Sing The Blues et Would It Make Any Difference To You). N’oublions pas Ike et Tina Turner avec Never Been to Spain. La chanteuse met sa touche personnelle sur chacun de ces titres. Elle les interprète de sa puissante voix grave avec conviction et fougue, bien soutenue par l’harmoniciste Steve Krase, le guitariste David Carter, le bassiste Terry Dry et le batteur Matt Johnson. Certaines chansons sont « cuivrées » (Jim Brady – trompette et Dan Carpenter – saxophone). Un disque très agréable à écouter qui donne envie d’aller découvrir cette artiste sur scène. Si Trudy Lynn passe près de chez vous, ne la ratez pas ! – Gilbert Guyonnet


Anthony Geraci

Why Did You Have To Go

Shining Stone Records SSCD005 – www.shiningstonerecords.com

Un bon musicien est forcément fédérateur lorsqu’il propose un projet artistique. C’est le cas du pianiste Anthony Geraci que l’on voit sur les scènes américaines ou Outre-Atlmantique derrière ses claviers accompagner depuis des décennies la crème des musiciens de blues, et pas seulement. Alors, quand à la production de cet album de treize titre on retrouve Jesse A. Finkelstein et Duke Robillard, on se dit que la qualité sera au rendez-vous. Quand on jette un œil à la liste des musiciens présents parmi lesquels Sax Gordon au sax, Ronnie Earl, Kid Ramos, Monster Mike Welch ou Troy Gonyea aux guitares, et un combo rythmique remarquable, on sait que le son et le groove seront présents. Quand enfin – du fait qu’Anthony préfère laisser le chant aux chanteurs… – on note selon les titres la présence de Sugaray Rayford, Sugar Ray Norcia, Brian Templeton, Dennis Brennan, Michelle “Evil Gal” Willson ou Willie J. Lewis, on comprend que les parties vocales seront assurées avec brio. Treize titres de blues de très belle facture, très maîtrisés, où le piano et la composition se taillent la part du lion,  dans une très belle osmose entre musiciens de grand talent, tout comme dans son album « Fifty Shades Of Blue » paru en 2015 avec de nombreux invités. Anthony Geraci sera à l’affiche du Lucerne Blues Festival en novembre 2018, d’excellents moments en perspective. – Marcel Bénédit


The Magic Bones

Shake Your Bones

Autoproduit

Agréable découverte que celle de ce groupe italien emmené par le chanteur/guitariste Emiliano De Gli’Innocenti et qui propose un blues/rock brut de décoffrage enregistré live en studio. À l’exception de trois titres originaux dont celui de l’album, le recueil ne comporte que des reprises dans des versions originales. La voix âpre et rugueuse se prête aisément à celle de Mohair Sam (Charlie Rich), de Te Ni Nee Ni Nu (Slim Harpo) soutenue par les interventions pertinentes de l’harmoniciste Marcos Coll ou encore du classique de Bo Diddley I Can Tell interprété à la manière de Johnny Kidd & The Pirates. Une mention particulière pour la relecture funky et pour le moins surprenante de la mélodie Imagine de John Lennon soutenue par une slide guitare efficace. À noter la présence de Guitar Crusher au chant sur le dernier titre, I Don’t Need No Doctor. – Jean-Claude Morlot


The Bush League

James Rivah

RVA Autoproduction / CD Baby

Le trio The Busch League s’est formé en 2007 dans la banlieue de Richmond en Virginie à l’initiative de deux copains de collège, JohnJason “JohnJay” Cecil (chant) et Royce Folks (basse), rejoints plus tard par le batteur Wynton Davis. « James Rivah » (1) est leur quatrième album et il a été enregistré à Memphis avec des guests : Brad Moss (gt), Roy Folks (bs), Wynton Davis (dms), Trenton Ayers (du Cedric Burnside Project), Jeremy Powell (tp, keys), Suavo Jones (tb), Paul Biasco (sax) et Vince Johnson (hca). Il contient dix compos originales et deux covers. Tout au long, les musiciens sont au diapason. L’influence du blues du North Mississippi Hill Country est très présente de par la présence d’Ayers et de la reprise du Kokomo Me Baby de Fred McDowell, voire de la version de Muddy Waters de Catfish Blues. Dans la même veine, on retiendra River’s Edge, le bien enlevé Kick Up Yo Heels et Cold Shower. Le reste est un subtil mélange de blues, de funk, de soul et de rock avec J. Powell à l’orgue dans un musclé Show You Off, deux slow blues (Long Gone et Tuxedo Blues), un très passionné Hearse aux flamboyants passages de guitare, sans oublier le superbe Moonshine où brille J. Powell au piano. Enfin, conclusion en fanfare avec un trépidant What’s Wrong With You où orgue, drums, chant et guitare instaurent une ambiance hypnotique et lancinante comme dans le blues des collines du Nord du Mississippi. – Robert Sacré

Note 1 : RVA = Richmond, Virginia. Les lecteurs des thrillers de Patricia Cornwell connaissent Richmond en Virginie et la James River qui traverse la ville, il en découle le titre de l’album, « James Rivah » et de la première face River’s Edge.


Groove City & Daria Biancardi

Live At Bravo Caffè

Groove City GC 003 2017

Les fidèles du Porretta Soul Festival connaissent bien Groove City, son leader Fabio Ziveri et sa chanteuse palermitaine charismatique, Daria Biancardi. L’excellente idée est d’avoir enregistré un CD live au mythique Bravo Caffè de Bologne, car seul ce type de production peut témoigner de la puissance vocale d’une interprète dont la prestation cette année à Porretta fut en tous points remarquable. Il est normal que son répertoire soit composé de reprises de ses aînées féminines et que, tout naturellement, Aretha Franklin s’y taille la part du lion avec des versions de Dr Feelgood (où elle livre l’étendue de son registre) , Think/Respect, Spirit in The Dark ainsi qu’un Rock Steady particulièrement musclé. Le recueil ne comporte qu’une seule composition originale – Your Queen – à laquelle elle a contribué et semble avoir taillée à sa mesure. – Jean-Claude Morlot


Whitney Shay

A Woman Rules The World

Little Village Foundation  LVF 1021 – www.littlevillagefoundation.org

Deux choses ont d’abord attiré mon attention à la présentation de cet album d’une artiste qui, jusqu’alors, m’était totalement inconnue : la présence à la guitare et la production de Christoffer “Kid” Andersen, gage de qualité, et le label participatif, Little Village Foundation, qui nous avait offert un magnifique disque de Wee Willie Walker en son temps et tout récemment une petite pépite de Marcel Smith (cf en début de chroniques dans ce numéro). Mais les raisons de se réjouir ne s’arrêtent pas là. Whitney Shaw écrit bien (Ain’t No Weak Woman, Don’t You Fool Me No More, Love’s Creeping Up On You, Empty Hand), chante remarquablement (y compris dans des titres pas évidents comme Check Me Out du regretté Jimmy McCracklin ou le morceau-titre de l’album, hommage à Denise LaSalle). Elle sait aussi s’entourer d’excellents musiciens, à commencer par le combo de base et le saxophoniste “Sax” Gordon Beadle, mais aussi les invités parmi leqsquels les harmonicistes Igor Prado et Aki Kumar, le drummer (devenu la coqueluche du Porretta Soul Festival) Derrick “D’Mar” Martin, pour ne citer qu’eux. Cela donne un excellent album de dix titres sans faille, que ce soit dans les morceaux enlevés, très rythmés, comme dans les ballades soul extrêmement bien maîtrisées. Un découverte réjouissante. – Marcel Bénédit


Boney Fields

Bump City

Absilone / Socadisc – www.boneyfields.com

Le sixième album de Boney Fields porte le même nom qu’un célèbre disque du groupe américain Tower of Power publié au début des années soixante-dix. Un hommage du chanteur trompettiste à l’une de ses formations préférées ? De soul/rock/funk destiné à faire bouger le public, ce disque en regorge. L’explosif Bump City donne le ton en ouverture, malgré une guitare un peu envahissante, présente aussi sur le titre suivant, Sadie. Boney Fields ne prend de chorus de trompette que sur Feelings et Burn Me Up and Down. L’instrumental Around the Corner sonne plutôt New Orleans, tout comme Dark Side of a Love Affair. Bow Legs est un blues plus traditionnel dans la forme, et le reprise du I Got the Blues d’Eddie Jefferson – avec son chant sinueux, proche du scat – constitue la surprise du chef. À coup sûr, un album profondément urbain, au tempérament très live, et destiné à remuer le cœur de nos métropoles, parfois englué dans le virtuel. – Dominique Lagarde


Ricky Peterson
w/ Bob Mintzer & WDR Big Band Cologne

Drop Shot

Leopard N77055 / Socadisc

Ricky Peterson fut un des collaborateurs de Prince dans les années 90. Il a notamment produit « Most Beautiful Girl In The World », album de légende s’il en est. Mais les collaborations du claviériste de Minneapolis ne s’arrêtent pas là, puisqu’il a travaillé avec George Benson, Anita Baker, Mavis Staples et bien d’autres artistes de renom. Pour la petite histoire, son agenda état tellement chargé dans les années 90 que lorsque Prince lui demanda de venir en tournée avec lui, celui-ci dut décliner la proposition faute de temps ! Même réponse à Miles Davis qui l’avait découvert aux claviers alors qu’il enregistrait son album « Tutu ». Les arrangements de Ricky Peterson ont toujours eu une approche très funcky et une touche très orchestrale qui – de manière peu surprenante – séduisit terriblement ces maîtres dans des genres différents. C’est d’ailleurs ce que l’on ressent d’entrée dans cet album très personnel qu’il a écrit, dans lequel il est aux claviers et où il chante (très bien), soutenu par un orchestre de folie sous la houlette de Bob Mintzer, maître d’œuvre du WDR Big Band de Cologne. Jazz, Soul, Blues (I’ve Got News For You), Funk et même accents Gospel (Feel So Bad) sont ici invités à prendre la route ensemble. Huit faces alternant instrumentaux et chansons, excellentissime de bout en bout. – Marcel Bénédit

Prof. Harold Boggs (and Lula Reed)

Early Recordings 1952-1964

Gospel Friend Records PN-1513 / City Hall / Bear-Family – www.gospelfriend.com

Harold Boggs est une légende du Black Gospel. Né à Port Clinton en juin 1928, il est décédé en novembre 2000, laissant derrière lui un important legs de faces enregistrées pour les compagnies King, Nashboro, Songbird, AVI, The Champs Rec. Co of Nashville et The Sound of Gospel Recording Co. Detroit. Opal Louis Nations signe les notes de pochette, excellentes comme toujours avec ce spécialiste. On y apprend tout sur la vie et les avatars de Boggs devenu aveugle très jeune suite à un glaucome, mais qui devint rapidement un chanteur de gospel réputé et un pianiste talentueux – avec Warner Buxton (orgue) son ami et partenaire de toujours – d’abord dans son église (la Gypsum Tabernacle Church de Port Clinton) puis dans ses tournées avec les Harold Boggs Gospel Singers en Ohio, dans l’Indiana et le Michigan où ils firent l’unanimité dans églises, les auditoriums et autres salles de concerts, avant d’être connus dans le reste de l’ Amérique. À noter qu’une soliste populaire dans la chorale du Gypsum Tabernacle s’appelait Lula Reed. Elle devint une des meilleures amies de Boggs et, en 1952, elle l’accompagna à Cincinnati – siège de King Records – pour une audition ; là, sa rencontre avec Sonny Thompson (piano, arrangements) fut déterminante puisque, après avoir enregistré quatre faces gospel (sans Boggs mais dont deux sont reprises dans cet album), Thompson réussit à la convaincre de passer au R&B avec lui et même avec Freddy King (1962)… avant de l’épouser ! De son côté, Harold Boggs et son groupe gravèrent huit faces pour King dont cinq figurent ici dont un excellent Inside The Beautiful Gate avec une intro en slow suivie d’une partie enlevée, une pratique renouvelée dans d’autres morceaux… Les vingt-et-une faces suivantes (1955-1964) ont toutes été enregistrées pour Nashboro Records à Nashville ; elles regorgent de fougue et de rythme (Inside The Beautiful Gate, When The Spirit Of The Lord Comes, When It Hits You, Everything Is Goin’ To Be Alright, When They Ring Them Golden Bell) et deux faces qui démarrent en slow puis s’accélèrent (After Running This Race et Will I Be Remembered). D’autres faces en medium sont des bijoux de rythme avec des mélodies obsédantes, un jeu de piano tantôt fluide et mélodieux, tantôt déchainé et fracassant comme son chant, calme et posé puis véhément et expressif dans Lord Give Me Strength et Someone’s Gone Home. D’autres faces encore sont empreintes de recueillement comme les hommages à sa mère Rosa, morte en 2000, six mois avant lui, et qui s’était dépensée sans compter pour qu’il puisse faire des études musicales malgré son handicap et se lancer dans une carrière semée d’embuches mais aussi de succès : My Mother’s Prayer et My Loving Mother Prayed For Me. Espérons que le succès – mérité – de cet album conduira vite à un volume 2 avec les autres faces Nashboro et les autres : Songbird, AVI, etc. – Robert Sacre


Errol Dixon

Midnight Train

Wolf Records 120 715 – www.wolfrec.com

Errol Dixon (piano et chant), paru le  8 juin 2018

Imaginez vous déambulant au début de l’automne dans une rue de Vienne (Autriche) qui peut tout évoquer sauf le Deep South. C’était il y a longtemps, 1973. Si longtemps qu’il vaut mieux ne pas convoquer la nostalgie. Elle deviendrait vite encombrante… Vous passez devant un bar ou je ne sais quelle salle de quartier. Une musique un peu étouffée qui semble sourdre du bas des portes. Ça n’a pas l’air mal du tout. Vous entrez. Sur une petite scène, juché devant un méchant piano droit, un type est là qui joue et chante, enchaînant une suite de morceaux dont beaucoup sont des plus familiers… Mais trêve de rêveries, en fait, vous vous seriez tout simplement dirigé vers un nouveau lieu, ouvert depuis quelques mois à peine, le Jazz Land dont les murs vénérables accueillent encore aujourd’hui des musiciens prestigieux. Des basses puissantes, une main droite qui percute le clavier propulsant des boogies implacables, un chant certes sans apprêt et qui accroche tout de suite (mais dont on pourrait se lasser lors d’une longue prestation). Ainsi se présente Errol Errol Dixon… En ce début des années 70,  le piano n’est déjà plus l’instrument roi du Blues. Certes, on peut encore entendre – à Chicago par exemple – Willie Mabon, Detroit Junior, Sunnyland Slim ou côté blanc des gens comme Ken Saydak. Mais la guitare est venue et a raflé la mise au point que bien des jeunes pensent que le Blues n’est rien d’autre qu’un style de guitare. C’est peut-être ce rétrécissement du champ des possibles, cette évocation du temps de son Midnight Train et de la renommée passée, qui donne aux blues lents de Dixon une réelle puissance. I’ve Got The Blues par exemple. Rassurez vous, Errol Dixon en ce septembre viennois (anregistré au Vienna Jazzland le 9 septembre 1973) ne célèbre pas un art défunt. Loin de considérer le piano comme un cénotaphe, il fait « ronfler la commode » d’une façon réjouissante et le public lui témoigne bruyamment sa gratitude. Le thèmes les plus éculés prennent une vigueur, une fraîcheur, nouvelles. Écoutez donc ce bon vieux See See Rider qu’il traite aux amphétamines ou sa version surprenante de Mojo Working. Parmi ces 23 plages, il en est certaines qui m’ont apporté un plaisir que je souhaite partager avec vous. Le robuste Foot Stompin’ Boogie – un titre qui est tout un programme – idéal pour chauffer un début de concert . Midnight Train bien sûr, swinguant à souhait. Certaines reprises s’accommodent moins, à mon sens, de la performance solo, Stagger Lee par exemple. Mais pourquoi pas… Il semble que notre homme, résidant en Europe, soit aujourd’hui octogénaire mais qu’il pratique toujours. En tout cas, en 1973, il valait le déplacement. Le livret nous propose une intéressante interview de Dixon. L’ordre réel des morceaux semble ne pas avoir été respecté ; idem pour les titres, ainsi Jump Children devient Jump for Joy. Ce n’est pas important. Un cd qui intéressera les amateurs de piano et qui pourra se révéler bien utile à celles ou ceux qui veulent apprendre les bases traditionnelles du boogie et du blues. – André Fanelli


Jody Williams

In session
Diary Of A Chicago Bluesman 1954-1962

Jasmine JASMCD 3100 – www.jasmine-records.com

« Légende » est un mot bien galvaudé, car utilisé à tort et à travers, sans discernement. Dans le cas du guitariste Jody Williams, son usage est justifié et légitime. Le CD ici chroniqué en apporte la preuve. Que ce soit en leader ou en accompagnateur, nous pouvons goûter la formidable technique et l’exceptionnelle dextérité de Jody Williams. Ayant assimilé les jeux de B.B. King et T-Bone Walker, il invente des sonorités nouvelles grâce à des changements d’accords originaux d’une grande imagination, ce qui influencera Buddy Guy et Otis Rush. Entre 1954 et 1962, année où il range sa guitare dans son étui écoeuré par le monde de la musique, il déploie une intense activité d’accompagnateur en studio. Il est présent sur un nombre considérable de disques, mais il n’enregistre qu’occasionnellement ses propres chansons. Les onze titres qu’il grave – sous les pseudonymes Little Papa Joe pour Blue Lake (1955), Little Joe Lee pour Argo (1957) et son propre nom pour Smash et Yulando (1962) – sont tous là. Entre autres You May (Argo) qui fut pillé note pour note par Buddy Guy sur son premier disque « Sit And Cry » (Artistic-1958), et Mary Lou (Argo) qui a plus que laissé des traces dans le All Your Love (I Miss Loving) d’Otis Rush (Cobra-1958). Jamais Jody Williams ne fut crédité. Jasmine avait l’embarras du choix pour compléter le programme de ce disque. La guitare de Jody Williams brille aux côtés d’Howlin’ Wolf (Evil Is Goin’On), Sonny boy Williamson (Don’t Start Me Talkin’), Jimmy Witherspoon (Ain’t Nobody’s Business), Floyd Dixon (Alarm Clock Blues), Jimmy Rogers (I Can’t Believe), Harold Burrage (Messed Up), Bobby Davis (les quatre titres Bandera). S’imposait le choix des deux complices avec lesquels Jody Williams fit ses premiers pas : Billy Boy Arnold (I Wish You Would et I Ain’t Got You) et Bo Diddley, avec qui Jody Williams enregistra l’un des plus beaux solos de l’histoire de la guitare (Who Do You Love). L’incident qui brisa toutes les illusions de Jody Williams survint avec le 45t Chess de Billy Stewart ici présent, Billy’s Blues. Jody williams et Billy Stewart en étaient les auteurs. Jody avait créé un riff de guitare si original que Mickey Baker le copia pour le tube Love Is Strange en duo avec Sylvia Robinson. Mickey et Sylvia s’en attribuèrent la paternité ; Bo Diddley leur aurait vendu la chanson ! Après de nombreuses années de délibération, la justice débouta Jody Williams. Quand le verdict tomba, las et découragé, il abandonna la musique et devint ingénieur électronicien chez Rank Xerox. Il reprit sa guitare en 2000 à la demande d’un autre géant de la guitare, Robert Lockwood Jr. Cette compilation donne une excellente vue d’ensemble de l’œuvre d’un des plus prolifiques et originaux guitaristes de la Windy City. Un CD incontournable. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

Northern Soul Story
The Start Of An Era

JasmineJASCD 750/1 – www.jasmine-records.com

Surprise à l’écoute de l’essentiel des 50 titres qui composent ce double CD. Comment ces chansons de rhythm’n’blues enregistrées entre 1956 et 1962, dans un esprit plutôt pop, chaloupé, yéyé et gentil, ont-elles exercé une influence sur la scène Northern Soul britannique, d’ordinaire friande de tempo frénétique et de rythmique d’acier ? Pour comprendre, il faut se reporter aux notes du livret rédigées par le spécialiste Bob Fisher. L’histoire du mouvement Northern Soul – avec les principales discothèques diffusant alors ce style de musique – y est détaillée, de ses origines avec le courant Mod au milieu des années soixante jusqu’à son changement de cap dans les années quatre-vingt. Les aficionados de danse rapide ont alors pris de la bouteille. Moins « à cran », ils se sont tournés vers des rythmes plus cool, en particulier sous l’impulsion d’une nouvelle génération de DJ’s, en tête desquels Keb Darge. Ce sont des morceaux comme ceux repris ici qui ont alors recueilli les faveurs du public. On y entend à part égale des artistes connus, souvent en début de carrière (Joe Simon, J.J. Barnes, Jimmy Ruffin) et des obscurs. Il y a des curiosités comme le Walk To The Bottom of The Sea des Franciscans (et ses cris de mouettes, bien avant Dock of the Bay !), une belle adaptation de Ol’ Man River par Johnny Nash ; la belle et élégante voix de Gerri Granger sur Castle in the Sky, et l’on se prend à regretter que Gloria Lynne (son You Don’t Have to be a Tower of Strength est une réponse au Tower of Strength de Gene McDaniels) n’ait pas plus souvent été enregistrée dans un registre purement blues ou soul. L’intérêt musical le dispute à l’intérêt documentaire. Plusieurs titres (rares) proviennent des archives Motown. – Dominique Lagarde


Cyril Neville

Endangered Species : The essential Recordings

World Order Records

On se souviendra de ce dimanche d’avril au French Quarter Festival 2018. Le terrible orage du samedi avait fait annulé une journée entière de festival. La torpeur languissante d’après tempête et la paisible déambulation familiale de boardwalk servie avec croissant du Mississippi ne nous avait pas préparé à ce qui allait suivre. Le feu après l’eau. Sur la grand scène du festival, Cyril Neville prenait les choses en main. Fini le blues rock des Royal Southern Brotherhood. Le funk des Meters et des Neville Brothers de retour. Dru, dense et syncopé, il ne laissait aucune place à la tiédeur et à l’indifférence. L’orchestre compact et habité assurait d’infernales séquences bien mises à profit par un Cyril tout droit sorti d’un disque des Meters des années 60. Peut-être plus encore qu’avec les Neville Brothers où sa « rastafarophilie » pouvait paraître prévalente, ce concert ramenait à ce son des années 60 que le cadet des Neville avait souvent mis à l’honneur dans des disques personnels à la distribution hélas confidentielle. Que le présent CD fasse le tour de ces enregistrements parfois disponibles au Louisiana Music Factory est une nouvelle d’autant plus intéressante qu’elle épouse le virage artistique entrevu au FQF et confirmé depuis. Des morceaux comme les bien nommés More Professor Longhair ou New Orleans Cookin’ possèdent cachet local ET estampille Cyril, gage d’une originalité en totale adéquation avec la personnalité profonde du gardien du temple funky de la ville. – Stéphane Colin


Various Artists

Music City Blues and Rhythm

Ace CD Top 1510 – www.acerecords.co.uk

Vingt-huit faces produites au début des années 50 par le producteur et disquaire Ray Dobard dans la baie de San Francisco sur ses labels Music City (du nom de son magasin) et Delcro. Vingt-deux de ces faces font là leur première apparition. Il s’agit de Rhythm’n’blues très jazzy qui est le fidèle reflet des sons de cette époque et de la Côte Ouest (voir les labels de Bob Geddins). On retrouve quelques noms connus comme Jimmy T.99 Nelson, Little Willie Littlefield ou Roy Hawkins (Monsieur Thrill Is Gone). Le superbe guitariste Johnny Heartsman est aussi sans doute présent sur plusieurs titres : à cette époque il était un peu partout en Californie. Pee Wee Parham et Alvin Smith méritent également d’être cités : ce sont d’excellents vocalistes à la tête de petites formations ultra swingantes ! C’est un CD sans point faible, sans révélations majeures non plus, mais qui nous transporte sans férir sur cette Côte Ouest des fifties. – Marin Poumérol


Various Artists

Soul Don’t Worry
Black Gospel During The Civil Rights Era. 1953-1967

Narro Way PN-1602

Quarante-sept faces du top niveau (sur deux CDs) pour illustrer la longue marche des Noirs US pour que leurs droits civiques leur soient enfin reconnus. C’est Per Notini lui-même – le boss de Gospel Friend/ Narro Way – qui signe les notes de pochette très détaillées sur cette période où la non-violence des marcheurs contrastait avec la hargne meurtrière des policiers, de leurs chiens et d’une populace blanche haineuse, méprisable et stupide. C’est Notini aussi qui a produit l’album, sa sélection des morceaux est irréprochable ce qui en fait la meilleure anthologie de black gospel de ces dernières années et donc un incontournable pour les amateurs et aussi, pour ceux qui doutent encore que les différences entre gospel (« Good news », 16 mesures, AABA) et blues (« Bad news », 12 mesures, AAB) sont minimes par rapport à leurs points communs sur le plan instrumental (guitares, piano, orgue, saxes) et au points de vue rythmique, mélodique, émotionnel… Certaines faces ici sont en prise directe avec l’actualité du temps comme Vietnam des Southern Belles et, au premier degré, avec le sujet principal comme Jackie Don’t You Weep, un appel à Jackie Kennedy, I’ll Fight For The Right de J.M. Bell & Robinsons Ensemble, What Is Freedom des Friendly Four, Human Bondage des Gospel Harmonettes avec Dorothy Love Coates, Shout School Children de Brother Will Hairston, See How Far We’ve Come des Hamptonaires, God’s Going To Ring Those Freedom Bells du Reverend Reuben L. Henry, Soul Don’t Worry de Henry Hines & Revelations, When Trouble Comes, Stretch Out de l’ Institutional C.O.G.I.C. Choir, The Death Of Emmett Till des Ramparts, A Better World To Live In des Sensational Linsey Singers, The News That Shook The Nation de l’Utterbach Concert Ensemble, Victory Shall Be Mine du Victory Choral Ensemble ou Take Courage de Rosie Wallace… Beaucoup d’autres chants abordent les mêmes thèmes au second degré et sont repris par les artistes les plus connus et les plus talentueux comme les Caravans avec James Cleveland et Albertina Walker, Inez Andrews, les Davis Sisters, Reverend Clay Evans, les Five Blind Boys of Alabama, Mahalia Jackson, Marie Knight, les Mighty Clouds of Joy, les Staple Singers, Clara Ward, les Violinaires et beaucoup d’autres. D’une manière générale, les mélodies sont superbes et entraînantes… Bref, le plaisir d’écoute est au top du début à la fin et on en redemande !  – Robert Sacré


Lonnie Johnson

Blues Stay Away From Me
Selected singles As & Bs / 1947-1953

Jasmine Records JasmCD 3099 – www.jasmine-records.com

Lonnie Johnson a joué un rôle musical considérable dans la première partie de sa carrière, gravant quelques véritables chefs-d’œuvre comme le superbe Got the blues for the West End en 1938. Innovateur exceptionnel, on le retrouve dans des contextes très différents, du blues rugueux de Texas Alexander au jazz sophistiqué des Chocolate Dandies, sans oublier sa présence auprès de Louis Armstrong ou ses duos avec Eddie Lang. Les deux CDs qui nous sont présentés touchent à une toute autre période du parcours de Lonnie. Il y pratique un style qui, durant un temps, a rencontré les faveurs du grand public noir, mais qui a sans doute décontenancé de nombreux amateurs. Il est vrai qu’un certain malentendu a marqué Johnson. Se considérant lui-même comme un guitariste de jazz, il s’est retrouvé, à ses débuts, étiqueté « blues », comme il le disait lui-même, dès lors il était catalogué à vie… La sélection qui nous est proposée ici est clairement destinée au collectionneur, au fan de l’artiste que la similitude de nombreux morceaux ne rebute pas. En effet, Johnson, après le succès aussi phénoménal qu’inattendu de sa version de Tomorrow Night, a notamment usé et abusé sans état d’âme de certaines parties de guitare dont une introduction devenue une marque de fabrique. Ces deux CDs contiennent néanmoins de bien beaux passages. J’ai particulièrement aimé la décontraction de What a Woman où l’on retrouve la diction impeccable de Lonnie qui a fait mentir Big Bill lorsque ce dernier disait que pour être un bon chanteur de blues il fallait avoir un défaut de prononciation… Falling Rain, véhément, agrémenté – en arrière plan – d’une jolie partie de piano, Blues Stay Away où la guitare est particulièrement en valeur. Johnson ne dédaignait pas la tradition égrillarde du double entendre comme en témoigne Jelly Roll Baker. Le second CD offre également quelques perles comme Nothin’ Clickin’ Chicken avec un solo plein de saveur et des fragrances « wallerienes » du pianiste ou encore Nothing but Trouble où Lonnie fait véritablement parler sa guitare. Une mention pour Nobody’s Lovin Me dont les paroles pourraient résumer toutes les thématiques du blues classique (mais il ne s’agit là que de préférences personnelles). Johnson, dès le début des années 20, avait établi les bases de son phrasé et balisé un territoire musical qui ne se limitait pas au champ de la guitare. Son Falling Rain Blues (St Louis, 1926) où il tient le violon avec les Charlton Creath’s Jazz O Maniacs, en est la démonstration. Au plan vocal, le style de Lonnie fait appel à un vibrato prononcé que l’on retrouve chez des artistes aussi différents que Big Joe Turner ou Johnny Shines. Au fil des écoutes, on se prend à apprécier sa nonchalance qui ne répudie jamais (ou presque) le swing. En conclusion, ce double album ne peut être une porte d’entrée dans l’univers musical créé par Lonnie Johnson car il ne couvre pas sa période la plus innovante, la plus créatrice. Mais il peut nous amener à méditer sur un certain décalage entre les goûts des amateurs blancs, amoureux intransigeants, gardiens du mètre étalon du Blues, et ceux du public africain-américain qui s’est souvent reconnu et continue à se reconnaître dans des productions bien différentes… Tomorrow Night fut ainsi vendu – aux dires des spécialistes – à près de trois millions d’exemplaires. Ce titre fut d’ailleurs repris par des gens aussi différents que Presley, Jerry Lee Lewis ou Dylan ! Mais cette notoriété « commerciale » le propulsa pour longtemps sous les radars de la critique qui, avec un bel ensemble, l’ignorèrent bien des années. Ceux qui ont envie d’en savoir plus et surtout d’en entendre plus, peuvent se tourner vers le coffret « A Life In Music » (JSP77117). – André Fanelli


Various Artists

Westbound Disco

CDSEWD 162 – www.acerecords.co.uk

Si le disco vous a horripilé format maxi, voici l’occasion de faire amende honorable… ou de rester sur vos positions ! La marque Westbound, créée en 1968 par un certain Armel Boladian, s’est taillé un joli succès en enregistrant Denise LaSalle, Detroit Emeralds et les premiers albums de Funkadelic. En 1975, Westbound sent le vent tourner. Le guitariste Dennis Coffey et le Mike Theodore Orchestra viennent apporter un son nouveau. Un juteux contrat de distribution s’en suit avec Atlantic. Des tubes comme Devil’s Gun de CJ and Co, ou Manhattan Love Song de King Errisson vont résonner dans les discothèques du monde entier de 1977 à 1979. Le Freaky People des Crowd Pleasers et les voix des Fantastic Four, Detroit Emeralds, Clark Sisters renvoient à une soul plus traditionnelle, voir au Gospel, mais l’ensemble ne fera effet que si vous vous sentez d’attaque pour fêter les quarante ans (et plus) de la fièvre du samedi soir. Une réédition par ailleurs fort bien documentée. – Dominique Lagarde


Various Artists

The Tough Blues of John Brim 1950-1956

Jasmine JASMCD 3118 – www.jasmine-records.com

Quelques-unes des meilleures chansons du Chicago blues des années 50 ont été écrites et enregistrées par le chanteur-guitariste John Brim. Malheureusement, cela n’apporta pas pour autant une renommée immédiate à leur auteur. Celle-ci arriva en 1978, quand le groupe de rock Van Halen enregistra Ice Cream Man en 1978 sur son premier album qui se vendit à plus de 10 millions d’exemplaires. John Brim, seul auteur de ce titre, toucha le pactole. Il avait gravé cette chanson pour Chess en 1953 et elle était restée inédite jusqu’en 1969. Originaire du Kentucky, John Brim subit l’influence des disques de Big Bill Broonzy et Tampa Red. En 1941, il a 19 ans, il gagne Indianapolis, puis Chicago. À Gary, Indiana, il rencontre et épouse Grace Millard. Cette jeune femme joue de la batterie, de l’harmonica et chante. Le couple forme un orchestre. Jimmy Reed en est quelques temps l’harmoniciste, Albert King le batteur. Jasmine propose la collection complète des enregistrements de John Brim, jusqu’ici disséminée sur diverses compilations – entre 1950 et 1956 – année où il disparaît de la scène blues, qu’il ne retrouvera qu’en 1989. C’est à Detroit, pour le label Fortune, que tout débute en 1950, grâce à Big Maceo, ami du couple Brim. Le meilleur titre, Bus Driver, resta inédit plusieurs décennies ! En 1951, John Brim se rend à Saint Louis avec Roosevelt Sykes ; des quatre chansons gravées pour Random, Going Down the Line est la plus réussie. De retour à Chicago, chez JOB, avec la participation de Sunnyland Slim, la production de John Brim est excellente ; bien que longtemps resté inédit, Hard Pill To Swallow est remarquable. Les frères Chess engagent en 1953 John Brim. Le formidable premier disque, Rattlesnake, est très vite retiré de la vente. Trop proche de Hound Dog de Big Mama Thornton, Don Robey menace Chess de poursuites pour plagiat. Albert King présente John Brim au DJ Al Benson ; celui-ci possède son propre label, Parrot, qui publie en 1954 Tough Times, chanson considérée à juste titre comme la plus réussie sur les très dures conditions de vie des afro-américains en cette année-là. Guitariste moyen et chanteur limité, John Brim, grâce à ses talents d’auteur-compositeur et la classe de ses accompagnateurs (Little Walter, Eddie Taylor, Willie Dixon…) laisse une œuvre très importante que l’on retrouve sur cet indispensable CD. – Gilbert Guyonnet

Kamasi Washington

Heaven and Earth

Young Turks Recordings YT176LP

Trois ans après son somptueux triple album intitulé « The Epic », le saxophoniste californien nous gratifie d’une nouvelle œuvre baptisée « Heaven and Earth ». Kamasi Washington, sur son compte Twitter, nous dévoile sa vision de cette nouvelle session : « Le versant Terre de cet album représente le monde comme je le vois de l’extérieur, le monde dont je fais partie. Le versant Paradis de cet album représente le monde comme je le vois intérieurement, le monde qui est une partie de moi ». L’impressionnant quadruple LP (2 heures 30 minutes de musique), nous démontre une nouvelle fois le génie du multi-instrumentiste qui mélange savamment avec bonheur, Jazz, culture hip hop et groove. Avec ce nouveau pavé et entouré de son admirable groupe The Next Step, celui qui a travaillé avec le rappeur Kendrick Lamar nous propose un excitant voyage spirituel mais qui n’omet pas des immersions dans sa vie au quotidien. Figure de proue d’une nouvelle génération de jazzmen, Kamasi Whasington a déjà travaillé avec les plus grands comme Herbie Hancock et Wayne Shorter. Il signe ici des compositions qui vont marquer les esprits, à l’image du morceau d’ouverture Fists Of Fury. Clin d’œil au générique du film avec Bruce Lee, « La fureur De Vaincre » dans sa version française, Kamasi n’oublie pas d’emblée d’ancrer sa musique dans la dure réalité et dans la lutte contre l’injustice, à l’image du mouvement civique Black Lives Matter. La voix puissante du chanteur Patrick Quinn va résonner longtemps dans nos mémoires lorsque ce dernier déclame : « Our time as victims is over. We will no longer ask for justice. Instead we will take our retribution ». Il va de soi que ce monumental coffret va tenir une place de choix au sein de votre discothèque tant sa musique est belle, forte et émouvante. Tout simplement indispensable à mes yeux. Ceux qui souhaitent acquérir la version CD ou vinyle doivent s’attendre à une petite facétie concoctée par le génial musicien de Los Angeles, une troisième galette ou un cinquième LP – tous les deux non répertoriés – sont habilement cachés dans le packaging, à vous de les trouver ! – Jean-Luc Vabres


 Youri Defrance

Ongod

Autoproduction Wild House Blues – disponible en version cd, vinyle ou numérique – infos : https://youridefrance.bandcamp.com/ https://youridefrance.wordpress.com/

Insatiable globe-trotteur natif de Troyes et parti en Bretagne (sa terre d’adoption), Youri Defrance (ex Youri Blow) est un musicien du monde qui a sillonné, entre autres, les steppes mongoles, les réserves indiennes américaines, les terres aborigènes et les cités incas. Ongod est la synthèse de cette démarche intérieure avec les esprits de la nature, sorte de parcours initiatique mystique et spirituel à la fois, qui interpelle et donne immédiatement envie d’en savoir plus. La Mongolie lui sert de « catharsis » avec l’appel irrésistible d’une chamane qui l’a littéralement attiré et scotché dans la steppe mongole afin de l’initier au chamanisme. De là à parler de « blues chamanique », il n’y a qu’un pas que Youri Defrane n’hésite pas à franchir. Entre les ours et les loups sur place, la rigueur des éléments naturels, Youri Defrance poursuit son apprentissage initiatique et semble manifestement avoir trouvé une maturité, une sagesse et une paix intérieure qu’il entretient par des voyages réguliers dans la steppe. Sa musique s’en ressent forcément. Or, dans la musique mongole, il y a du blues (sic) précise Youri Defrance. Le blues est donc universel ! (rires). La musique de Youri Defrance flirte en permanence avec les esprits. Il est inspiré par ses voyages et sa quête chamanique. Sa voix gutturale est en osmose avec les chants diphoniques Tantra Khargiaaa, Khevlin Khoomi… Les vibrations intérieures génèrent des émotions musicales. Il est question de fusion entre esprits de la nature et musiques du monde qu’il a intégrées dans son univers. Oser l’entrouvrir mènera à coup sûr le curieux à tomber sous le charme des sonorités chamaniques de la Taïga qui côtoient en mode mineur les versets flottants du Delta et d’ailleurs grâce à la guimbarde, la vielle mongole à tête de cheval, le Morin Khuur, lesquelles incitent par leurs vibrations à une méditation intérieure. Séquence introspection. Les quatorze titres de cet album, d’égale valeur, incitent à tendre des ponts entre les mondes, à faire abstraction du quotidien et à élever l’âme. À méditer sans hésitation ! – Philippe Prétet

Charley Patton
Voice of the Mississippi Delta

Collectif édité par Robert Sacré, avant-propos de William Ferris

University Press of Mississippi

Cette nouvelle édition de Charley Patton, Voice of The Mississippi Delta est en fait la traduction en anglais, réactualisée, d’un ouvrage collectif édité par Robert Sacré et paru en français en 1987 aux Presses Universitaires de Liège, sur la base d’un colloque organisé par cette institution en 1984, à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Patton (1934). Le 80e anniversaire du décès de cette figure majeure du Delta Blues aura été le prétexte à revisiter les travaux de l’époque Les aléas de l’édition expliquent que le volume ne paraisse qu’en 2018. L’ouvrage collectif se distribue en deux parties.

La première est organisée autour de l’étude de David Evans qui, avec ces quelque 115 pages, augmentées d’une préface faisant le point sur les recherches depuis les années 80, constitue le plat de résistance de l’ouvrage. L’étude de David Evans est introduite par une étude générale sur les circonstances qui ont permis à la musique afro-américaine d’éclore : « Black Music from African to African American Music », signée Robert Sacré. Le texte rappelle quelques vérités fondamentales en la matière. Puis, Arnold Shaw, avec « The Mississippi Blues Tradition and The Origine of the Blues », nous explique l’importance et la spécificité de la tradition du Delta dans l’idiome des blues, histoire de mettre le lecteur en condition. L’analyse musicologique très fouillée des enregistrements de Patton par Daniel Droixhe qui conclut la première partie réjouira les spécialistes, mais elle permet également au néophyte (que je suis) de comprendre à la fois toute la subtilité de l’art de Patton et de saisir sa grande liberté mélodico-harmonique. On parle souvent de « stéréotypes » à propos du blues, l’étude de Droixhe met clairement en évidence comment le jeu de Patton savait solliciter les cadres établis pour mieux s’en démarquer.

La seconde partie traite des influences des blues du Delta en général et ceux de Charley Patton en particulier sur la tradition de Chicago, après la guerre (Mike Row) et des années 80 à nos jours (Jim O’Neal). Jusque dans les années 70, les relations entre le Delta et la Windy City se caractérisent par des allers et retours. En effet, les musiciens du Delta importent tout un bagage esthétique à Chicago, dont les éléments se disséminent chez Muddy Waters, Little Walter ou Otis Rush, etc. (comme le montre avec précision l’article de Mike Row). Mais, de retour dans leur terre natale, les artistes du Delta ramènent des traits empruntés au Nord qui, à leur tour, vont influer sur l’esthétique locale. À partir des années 80 – nous dit Jim O’ Neal – le style de Chicago va quelque peu oublier le Delta, mais l’héritage y restera diffus, venant sourdre au détour d’une strophe ou d’une formule. Pour compléter cette seconde partie, Dick Shurman nous livre ses souvenirs à propos du légendaire Howlin’ Wolf qu’il a côtoyé un certain temps. Quant à Luther Allison avec son récit : « I was Born in Arkansas and Raised up in Chicago », il nous propose une autobiographie éclair, tout à fait savoureuse. Le guitariste évoque son parcours, il nous parle de ses rencontre et de ses influences et, très pragmatique, il nous confie son peu de goût pour la théorie musicale.

Il faut revenir sur David Evans et son « Charley Patton the Conscience of the Delta ». Les quelque 115 pages de ce texte fondamental, augmentées de sa préface de 2015, forment en effet le plat de résistance de l’ouvrage. Le texte mériterait une longue étude détaillée difficile à entreprendre dans le cadre de cette chronique. Avec la rigueur et l’obstination qu’on lui connaît, l’auteur de Big Road Blues nous propose une étude magistrale qui éclaire bien des aspects de l’art de Patton. David Evans montre notamment avec brio comment, par delà les manifestations d’un « je » subjectif, c’est toute la conscience du Delta qui se manifeste par le truchement du narrateur dans les blues de Patton. Une preuve – s’il en était besoin – que par delà le prisme réducteur de l’expérience vécue de manière immédiate, c’est l’expérience acquise et réfléchie de toute une communauté qui parle et chante dans les blues, et tout particulièrement ceux de Charley Patton.

Pour toutes ces raisons, « Charley Patton, Voice of the Mississippi Delta » devrait non seulement figurer dans la bibliothèque de tout lecteur d’ABS Mag, mais également – osons le dire – sur les rayonnages de tout honnête homme du XXIe siècle. – Christian Béthune