Chroniques #80

• L’actualité des disques, DVD et livres traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Chris Canas

Detroit

Third Street Cigar Records (No number)
www.thirdstreetcigarrecords.com

Chris Canas, de son vrai nom Christopher Lenard Cottingham, est surnommé “The Detroit’s Prince of the Blues”. Il n’a pas encore 40 ans, mais son long passé musical, sa renommée – en particulier due à ses interprétations des chansons de Prince – l’ont « anobli ». À l’école primaire, il choisit le cornet comme instrument. Musique classique et jazz sont les bases de sa formation musicale. Sa vie connut un grand bouleversement quand il entendit Thrill Is Gone de B.B. King dans la voiture de son oncle, une Cherry Red T-Top Camaro. Il avait dix ans. Il venait d’être contaminé par un virus incurable nommé BLUES. Un jour, il découvrit dans le garage de sa grand-mère une vieille basse poussiéreuse avec seulement deux cordes rouillées. Il s’escrima à en jouer. En découvrant cette passion de l’adolescent, ses parents firent réparer la basse et le jeune Chris apprit à jouer de cet instrument. Puis, curieux et inlassable, il se mit au piano, au saxophone, à la batterie, à l’harmonica et à la guitare qui est devenue son instrument de prédilection. Il n’avait pas quinze ans quand il s’enferma pendant six mois dans sa chambre pour apprendre note à note le répertoire des trois King : B.B., Albert et Freddie. Il bidouilla un premier disque en 1999, « Shades of Blue ». Il avait à peine 18 ans quand la chanteuse Thornetta Davis le prit sous son aile et lui ouvrit les portes du monde musical de Detroit. L’année suivante, en 2003, il créa sa première formation. Remarquable guitariste, excellent chanteur et talentueux auteur-compositeur (il est l’auteur des onze chansons de ce cd), Chris Canas a heureusement enfin trouvé une firme de disques sérieuse, Third Street Cigar Records de Waterville, Ohio, donc une vraie distribution. Chris Canas a écrit cet album en hommage aux grands musiciens de blues et soul de Detroit, John Lee Hooker, Bobo Jenkins, Alberta Adams, Johnnie Bassett, Eddie Burns, Doctor Ross, Big Maceo, Aretha Franklin, le label Motown et le légendaire Joe Von Battle et sa boutique sise 3530 Hastings Street. Avec une habileté diabolique alliée à une grande culture musicale, Chris Canas nous prend dans ses filets dès les premières mesures du titre d’ouverture Detroit. On ne peut plus lâcher le disque jusqu’à la fin. On le réécoute aussitôt. Toute la palette de la musique afro-américaine est perceptible sur cet enregistrement impressionniste. Chris Canas nous enivre sans verbiage guitaristique des timbres et sons du blues, du jazz, du gospel, de la soul, du funk, du reggae, du rock et de l’électro. Les citations sont multiples. À vous, auditeurs, de les reconnaître. Un disque important. – Gilbert Guyonnet


Le catalogue du label The Sirens Records dirigé par Steven Dollins, basé à Chicago, s’étoffe pour cette fin d’année de trois superbes nouveautés. Nous l’avons déjà souligné ici à maintes reprises, tous les enregistrements précédents se doivent de figurer en bonne place dans les discothèques des amateurs de Gospel et de piano blues. Le label continue son travail d’excellence pour mettre sous les feux de la rampe la crème des artistes de la Windy City qui peuvent enfin – grâce à ces sessions – voir leurs musiques accéder au plus grand nombre et gagner une juste reconnaissance, bien au-delà des limites de la cité de l’Illinois.

Bishop Dwayne Mason & Friends

Just Can’t Make It By Myself

The Sirends Records  SR-5029 – www.thesirensrecords.com

Après les albums « Glory ! Glory ! » et « Heavenly Keys », voici la troisième collaboration du Bishop pour le label de Steven Dollins qui, une fois encore, ne décevra pas grand monde. Cette session est un authentique bijou dans son écrin, magistralement produite tout au long des onze compositions proposées. Dawyne Mason, qui en plus de la charge de son église gère aussi une entreprise de pompes funèbres, a fait venir en studio de formidables équipiers. Coup de chapeau pour commencer à la légendaire Mother Vernon Oliver Price qui, a plus de quatre-vingt-dix ans, casse littéralement la baraque sur I Just Can’t Make It By Myself, suivi de la formidable composition intitulée The Blood Will Never Lose Its Power ; malgré le poids des années, sa puissance vocale reste intacte, total respect. En studio, nous retrouvons également Eugene Ross III qui vient seconder son ami au piano et qui, vocalement, déroule toute sa classe et son savoir sur des morceaux comme Lord Help Me To Hold Out, Jesus That’s My King ou encore l’admirable He Looked Beyond My Faults. N’oublions pas au passage le Dr. Curtis Daniel et Leonard Maddox qui, autant à l’orgue qu’au chant, nous font retrouver la ferveur des chants dominicaux du côtés du South Side. Mention particulière pour l’instrumental I’m Sealed Till The Day Of Redemption dans lequel le jeu robuste et efficace du Bishop Mason au piano répond admirablement au touché sensible à l’orgue de son ami et complice Curtis, c’est admirable. Une nouvelle fois, Dwayne Mason remplit admirablement sa noble mission en nous délivrant un album qui ne quittera pas votre platine de si tôt. Une sacrée belle réussite. – Jean-Luc Vabres

Richard Gibbs

Just For Me

The Sirens Records  SR 5030 – www.thesirensrecords.com

Le multi-instrumentiste (orgue piano et guitare basse) a de qui tenir, son père fut membre des Soul Stirrers tandis que sa mère, la regrettée Inez Andrews, fut au sein de la formation The Caravans, l’une des voix prépondérante du Gospel. La carrière musicale de Richard Gibbs est élogieuse puisqu’on le retrouve au fil des collaborations aux côtés d’Albertina Walker, Rance Allen, Mavis Staples, Marvin Winans, mais aussi durant vingt années au sein de la formation d’Aretha Franklin, jouant aussi bien à la Maison Blanche ou à maintes reprises dans la célèbre émission de télévision de Oprah Winfrey. Les onze titres proposés rendent hommage aux magnifiques répertoires de sa mère ainsi qu’à celui d’Aretha dont cinq compositions (à l’image de What A Friend We Have In Jesus) se retrouvent sur le fameux album de la diva « Amazing Grace ». À noter la splendide participation de la chanteuse Denise Rutledge, une amie de la famille, qui donne le meilleur d’elle-même sur la composition Mary, Don’t You Weep, son interprétation est somptueuse. Richard Gibbs est un virtuose ; depuis ses débuts aux côtés de sa mère à l’âge de treize ans, jusqu’à ses prestigieuses collaborations avec les plus grands, il a définitivement établi sa réputation de musicien plus que doué. Saluons le choix du label de lui faire enregistrer un album qui dévoile avec tact, grâce et émotion, un formidable artiste. – Jean-Luc Vabres

Cliff Dubose

My Soul Says Yes !

The Sirens Records  SR-5031 – www.thesirensrecords.com

Cliff Dubose vient d’une famille de six enfants où le Gospel tenait une place prépondérante. Connu et respecté auprès de différentes congrégations de Chicago, il fut durant de nombreuse années l’organiste et directeur du chœur de la God’s House for All Nations Church sur la 43e rue. Figure incontournable, il a accompagné d’innombrables artistes comme Fontella Bass, Arthur Scales, Albertna Walker, le pasteur Maceo Woods and the Christian Tabernacle Concert Choir, il est également parti en tournée en Europe aux côtés des Brown Sisters. Pour cet enregistrement réussi de bout en bout, le brillant pianiste a fait appel à ses ancien amis et complices du groupe Divine, à savoir Jocelyn Buchanan, Renee Webster et le Pasteur Fred Dubose qui est l’un de ses frères. Tous les trois sont excellents sur les formidables compositions à l’image de Father I Strech My Hand To Thee, I Won’t Complain, A Child of the King ou I’m A Soldier. N’oublions pas également le pasteur Andre Paterson qui est admirable sur I’m A Soldier et My Soul Says Yes, mais aussi la formidable version du classique Amazing Grace qui est ici admirablement revisitée par un Cliff Dubose impérial aux claviers ! – Jean-Luc Vabres


Buddy Guy

The Blues Don’t Lie

RCA Records 19658-73152-2

Un accord d’orgue Hammond B3 plaqué par Reese Wynans, quelques notes de guitare funky et des cuivres, puis la reconnaissable voix de Buddy Guy qui chante : « I left Louisiana some 60 years ago / Bought a one way ticket to sweet home Chicago / When I lost my way, my fingers did the talking / I don’t say too much, I let my guitar do the talking ». Ainsi débute, avec I Let My Guitar Do The Talking, le nouveau disque de Buddy Guy, la dernière « star » du Blues. Pour cette production sur un gros label, RCA Sony, le légendaire Buddy Guy a une nouvelle fois travaillé avec son producteur de longue date, batteur et auteur-compositeur, Tom Hambridge. Comme cela devient la coutume avec les grosses productions, des stars ont donné un coup de main à la vedette. Seuls six des seize titres sont concernés, ce qui laisse de l’espace au maître pour s’exprimer : guitare brûlante parfois à l’excès (il est un des précurseurs du blues-rock) et chant tendu mais moins maniéré qu’auparavant (est-ce dû à l’âge ?). Après le titre d’ouverture du cd évoqué plus haut, le blues lent Blues Don’t Lie, interprété avec passion par Buddy aussi bien avec sa guitare qu’avec sa voix, rend hommage à ses parents, Junior Wells et Sonny Boy Williamson (Rice Miller). Après un émouvant appel à l’amour universel, The World Needs Love, chanson écrite par Buddy Guy, vous reconnaitrez immédiatement la belle voix de Mavis Staples sur le magnifique We Go Back qui nous remémore Martin Luther King et le mouvement des droits civiques des années 1960 ; la guitare de Buddy est sophistiquée et subtile. La collaboration d’Elvis Costello à Symptoms Of Love est très discrète ; il n’est que ‘background singer’. Sobre est la prestation de la vedette de l’Americana, James Taylor, sur Follow The Money. Le duo avec Bobby Rush, une vieille connaissance de Buddy, What’s Wrong With That, est plus léger : comment désirer et satisfaire une femme deux fois moins âgée ? Après ce plaisant intermède, Buddy Guy, en compagnie du chanteur et guitariste Jason Isbell, interprète, avec son grand talent, une sombre chanson, Gunsmoke Blues, qui dénonce les massacres de masse avec des armes à feu, l’impuissance ou l’absence de volonté des pouvoirs publics face à cette épidémie. « A million thoughts and prayers won’t bring back anyone », chante-t-il. Les radios américaines devraient diffuser cette chanson en boucle. House Party, avec la chanteuse de jazz Wendy Moten et Backoor Scratchin’ (deux blues rapides) et I’ve Got A Feeling au tempo moyen, sont des réussites. C’est aussi le cas de Sweet Thing, une composition de B.B. King, et de la conclusion acoustique du cd, King Bee (au lieu de I’m A King Bee) de Slim Harpo. C’est à reculons – du fait de certains précédents albums de Buddy Guy – que j’ai écouté ce cd (aussi publié en double album vinyl). Mais qu’il est bon ! Dieu que je regrette mes préjugés ! – Gilbert Guyonnet


Toni Green

Memphis Made

Surveyor SSM0222

Grâce à son alliance avec le groupe Malted Milk et l’album « Milk & Green », Toni Green a acquis une renommée européenne bien méritée. C’est donc en toute logique, toujours sous la houlette du producteur Sébastien Danchin, qu’elle se lance désormais en solo. L’absence de cuivres peut sembler déconcertante à la première écoute, mais on s’aperçoit très vite que l’accompagnement – qui pourrait être considéré comme minimaliste – est destiné à mettre en valeur la puissance et l’étendue de sa voix passe allègrement du grave à l’aigu. C’est ainsi que, soutenue par un groupe français dont un organiste omniprésent (Benoît Sourisse) qui sert de colonne vertébrale à l’ensemble, elle est tour à tour enjouée, séduisante ou cajoleuse. Il y a dans cette production, avec l’addition de quelques musiciens de Memphis (le batteur Steve Potts et le chanteur Chilly Bill Rankin), une ambiance mélangeant harmonieusement Soul classique US à des influences européennes et britanniques. La majorité des titres est le fruit de son expérience personnelle (Memphis Made, le churchy I Feel No Way Tired en hommage à sa mère disparue) et d’une écriture commune avec Sébastien Danchin. Côté reprises, on notera celle de Why Don’t We Do It On The Road des Beatles (sur le double blanc), véritable relecture qui transforme un titre rocailleux en agréable mélodie sophistiquée, ainsi que I Don’t Know, fidèle à la version qu’en fit en son temps Little Milton. Et comme s’il s’agissait d’un retour aux sources, elle réinterprète Undeniable, enregistré précédemment et publié uniquement en single, mais qui figure sur la double compilation « Re Birth » (chroniquée dans ABS n°51). La photo de couverture est la même que celle du présent album. Alors, sommes nous en présence d’une renaissance après la parenthèse Malted Milk ? – Jean-Claude Morlot


John Primer

Hard Times

Blues House Productions BHP JP2022 – www.blueshouseproductions.com

Ce nouvel album de John Primer est placé sous le signe des temps de galère, durs, super durs… Deux titres illustrent ce paradigme : Hard Times et Tough Times, et c’est présent de façon sous-jacente ailleurs. C’est un témoin du monde dans lequel nous vivons depuis la pandémie de Covid. Primerétait déterminé à surmonter cette épreuve avec le Real Deal Blues Band : Steve Bell (hca), Lenny Media (dms), Dave Forte (bass) et des invités comme Rick Kreher (gt), Johnny Iguana (p) et Allya Primer au chant dans une face. Elle fait ici sa première apparition sur disque, elle a 17 ans et fait la fierté de son père John qui lui prédit une grande et belle carrière de chanteuse ; elle est aux commandes dans Tough Times, un slow blues mélancolique où Allya développe une agréable voix juvénile au timbre prometteur. C’est du Chicago blues traditionnel de bout en bout avec Primer en grande forme à la guitare dans Chicago, un hommage à sa ville d’adoption (… « Chicago, c’est là où j’habite et où je joue le blues »…) et à la slide dans Hard Times (… « qui peut me dire quand ces temps de m… vont finir ? »…) et Blues Blues Blues avec de beaux passages d’harmonica (Bell), de piano (Iguana) et un soutien sans faille de la section rythmique. On notera aussi les préoccupations culinaires de Primer dans Hot Meal (…« J’ai faim ! Faim de black-eyed peas, de string beans, de candied yams et tutti quanti et … je les aime chauds, pas froids ! »…). Dans le même registre, on a aussi le bien enlevé Whiskey. Au total, une belle fresque de Chicago blues classique et traditionnel. – Robert Sacré


Dave Keyes

Rhythm Blues and Boogie

Blue Heart Records 037 – www.blueheartrecords.com

Nous avions vraiment été impressionnés par le soutien apporté par le pianiste Dave Keyes aussi bien à la grande Odetta qu’à la magnifique Marie Knight lors d’éditions du Cognac Blues Passions. Puis nous avions apprécié chacun de ses propres disques : « Covered In Blue » en 2001, « Roots In The Blues » en 2009, « The Healing » en 2017 et l’album dans lequel il accompagne Marie Knight, « The Gospel Truth Live », chez M.C. Records. On le retrouve également derrière pas mal d’autres artistes dont Jerry McCain, Bo Diddley, Poppa Chubby. Ce nouvel album est une consécration de ses talents : il est devenu un excellent chanteur et compositeur tout en restant un pianiste de premier ordre, efficace dans les boogies : WBGO Boogie, 7 O’ clock Somewhere et émouvant sur les morceaux lents, dont la magnifique reprise de Funny How Time Slips Away. Il est très bien entouré par d’excellents musiciens dont le grand drummer Pretty Purdie, deux cuivres, guitare, basse et background vocaux swingants, plus Doug McLeod à la guitare acoustique sur un titre (le superbe Invisible Man). Ceci donne un disque épatant, dansant et qui fait du bien par ces temps difficiles, mais n’est ce pas What’s The Blues Are For ?, comme il le chante si bien. – Marin Poumérol


Janice Harrington

80 Years of International Friendship

Hip & Happy Records – www.janice-harrington.com

On a ici une compilation de cinq séances d’enregistrement, deux en Norvège à Oslo (1982 et 1985), une au Danemark à Copenhague (1988), une en Autriche (1994) et en Allemagne (2021/22). En effet, Harrington, née en mars 1942 à Cleveland, Ohio, a réalisé en 1980 son rêve de gamine de visiter la Scandinavie. Par le biais d’une tournée, elle a atteri à Oslo et s’y est tellement plue qu’elle y est restée pour poursuivre sa carrière de chanteuse. Elle est ensuite passée au Danemark puis en Allemagne, ayant épousé le tromboniste Werner Gürtler en 1989. C’est lui qui surprend Janice de façon coquine en pochette de l’album. On ajoutera aussi que Janice est la mère de cinq enfants et a vingt-deux petits-enfants et treize arrière petits-enfanrts ! Belle famille. À 80 ans, elle a gardé une voix bien timbrée, fraîche et gouailleuse, rafraîchissante et 100 % blues. Elle a composé seule ou en collaboration treize des quize faces. Tout démarre avec Old Age de janvier 2021 à Bad Bevensen, un beau blues avec un quintet jazz, célébrant son anniversaire. À Oslo, elle a enregistré avec des Big Bands de jazz, mais en leur donnant tout du long un puissant cachet blues de bon aloi. Des faces d’Oslo en 1982 avec Tor Welo Band et le Welo Quartet, on retiendra The Hex (syncopé à souhait), Learn To Live Without You (un slow blues jazzy), The Blues Rocking (dynamique et entraînant), Wheeler Dealer (mi-parlé et à connotation rap). À Oslo toujours, en 1985 avec le Helger Iberg Band, on notera Listen To Me, un beau blues en medium et Rub Mud In Your Face, punchy, parlé et proche du rap lui aussi. Les quatre faces de Copenhague avec le Ken Lending Blues Band sont des blues top niveau : Work Your Magic et Making Plans en medium, Telephone Blues en slow et 7 Days A Week Man Blues slow, mi-parlé, mi-chanté. En mai 1994, Harrington fut invitée par le Rat Big Band autrichien pour fêter leur 10è anniversaire et elle a enregistré avec eux une belle version punchy du Hallalujah I Love Her So de Ray Charles et l’album se conclut avec une version slow et mélancolique de What A Wonderful World (Bob Thiele, G.D. Weiss) avec W. Gürtner (tb). Une excellente surprise à ne pas rater. – Robert Sacré


Big Jack Johnson

Stripped Down In Memphis
with Kim Wilson and Wild Child Butler

M.C. Records MC-0090 – www.mc-records.com

L’attachant Big Jack Johnson ne quitta jamais le Delta du Mississippi, sauf pour les enregistrements de disques, les concerts ou les tournées. Il vivait à Clarksdale et était connu comme “ The Oil Man” parce qu’il était chauffeur d’un camion-citerne qui délivrait de l’essence à travers le Delta. En outre, il fut un remarquable chanteur et guitariste et auteur-compositeur original, longtemps complice de Frank Frost et Sam Carr. C’était lui le guitariste du superbe album « Hey Boss Man ! » de Frank Frost and the Nighthawks, produit et enregistré aux studios SUN de Memphis, en 1962, et publié par Phillips International (label de Sam Phillips). Avec ses mêmes acolytes, il fut de l’aventure Jelly Roll Kings. À la fin des années 1980, il débuta comme leader grâce à la firme de disques de Michael Frank, Earwig Records. Jusqu’à sa mort en 2011, il enregistra d’excellents disques. Bon chanteur, il jouait, en outre, fort bien des guitares électrique et acoustique et de la mandoline. Hélas, il ne rencontra qu’un succès d’estime. M.C. Records vient d’exhumer de ses archives neuf titres anciens provenant deux séances réalisées à Memphis. L’une date du 25 octobre 1998, Big Jack Johnson est en compagnie de l’harmoniciste Wild Child Butler. L’autre est des 9 et 10 octobre 2000 avec Kim Wilson et son impressionnant jeu d’harmonica. Le tout était inédit. Mark Carpentieri, le patron du label M.C. Records, travailla avec Wild Child Butler lors de la réédition de son disque « Lickin’ Gravyen » 1998 (M.C. Records MC-0036). C’est ainsi que Big Jack Johnson et Wild Child Butler collaborèrent en studio. I Wanna Go Home apparut sur le cd « Roots Stew » (M.C. Records MC-0039). Nous découvrons ici quatre autres excellents titres de cette séance. Wild Child Butler chante sur ses deux compositions, Aching All Over et See Me Coming. Mais les cinq autres titres avec Kim Wilson sont encore supérieurs. Ils ont été enregistrés lors de la séance d’octobre 2000 et publiés en 2002 ; ce cd, « The Memphis Barbecue Sessions » (M.C. Records MC-0045) permit à Big Jack Johnson de décrocher le W.C. Handy Award du meilleur disque de blues acoustique en 2002. Ici, l’intelligence entre Kim Wilson et Big Jack Johnson est quasiment parfaite. Atmosphère austère qui vous prend aux tripes. Pas de fioritures ni de production excessive. De cette simplicité se dégage une intense beauté. Avec le titre d’ouverture, Baby What You Want Me To Do, le classique de Jimmy Reed, Big Jack Johnson s’impose comme un brillant guitariste rythmique. L’intrication guitare-harmonica est impressionnante avec la version de The Hucklebuck. Vous serez surpris de l’interprétation à la mandoline du chef-d’œuvre de la Soul Music, Part Time Love, de Clay Hammond popularisé par Little Johnny Taylor, transformé ici en downhome blues. Autre temps forts du disque, les instrumentaux Alcohol (composé par Big Jack Johnson) et The Hully Gully Twist de Bill Doggett. Ce magnifique disque sans prétention illustre parfaitement l’adage « less is more ». Simplicité. Émotion. N’est-ce pas ce que nous demandons à un disque de Blues ? – Gilbert Guyonnet


Doctor John

Guess Things Happen That Way

Rounder/Concord 008880724277433 – www.rounder.com

Au fil d’une carrière de six décennies, à la seule force de son éclectisme et de son talent, Dr John était devenu la statue du commandeur des musiques de La Nouvelle-Orléans et de Louisiane. Une silhouette familière qui suscitait la curiosité et imposait le respect. Cet album, conçu peu de temps avant sa disparition en 2019, le présente sous une facette plutôt intimiste, dans de fréquentes incursions vers le registre country, comme sur l’émouvant titre éponyme. Familier des collaborations artistiques les plus diverses, Dr John se joint ici au groupe country-rock Lukas Nelson & Promise of the Real pour revisiter son I Walk On Guilded Splinters. D’autres reprises en duo avec Willie Nelson et Aaron Neville précèdent trois bons originaux repoussés en fin d’album (Holy Water, Sleeping Dogs Best Left Alone, Give Myself A Good Talkin’to). Un testament musical simple et touchant. – Dominique Lagarde


The Texas Horns

Everybody Lets Roll

Blue Heart Records BHR031 – www.blueheartrecords.com

Le trio formé par Mark ‘Kaz’ Kazanoff (sax ténor, hca, vo), John Mills (sax baryton) et Al Gomez (tp) est la Rolls Royce du genre : 25 ans de carrière et accompagnateur d’une multitude de musiciens et de groupes, que ce soit en studio, en tournée, en concerts ou en festivals ! Qui dit mieux ? C’est le troisième album sous leur nom et ils se sont entourés de pas mal d’invités prestigieux. Ils ont composés onze des treize titres, dont cinq instrumentaux où – encore plus qu’ailleurs – ils démontrent leur maestria et leur talent. Cela commence en fanfare avec un morceau autobiographique, Everybody Let’s Roll, plein d’entrain et de rythme, chanté par Carolyn Wonderland avec Anson Funderburgh à la guitare ; c’est l’histoire du trio et de la mission que ses membres s’étaient choisie dès leurs débuts. Why It Always Gotta Be This Way est un blues en médium bien scandé pour narrer une succession de malchances et d’ennuis, avec Mike Zito au chant et Johnny Moeller à la guitare. Comme son titre le laisse deviner, Alligator Gumbo déploie ses fastes sur un beat New Orleans du plus bel effet ; c’est festif, entraînant et roboratif, avec Michael Cross (lead vocal) et Anson Funderburgh (gt). Tous les autres titres dégagent énergie et joie de vivre et on citera encore Die With My Blues, un slow blues mélancolique avec Johnny Moeller (gt) et Guy Forsyth (vo), Too Far Gone (un blues en médium où brille Jimmy Vaughan au chant et guitare), sans oublier Watcha Got To Loose frénétique avec Kazanoff (hca) et Carmen Bradford (chant), ou encore Ready For The Blues Tonight, enjoué et trépidant avec Kazanoff au chant, Marcia Ball (p) et Anson Funderburgh (gt). Parmi les cinq instrumentaux, on notera l’endiablé I Ain’t Mad With You avec Johnny Moeller (gt), Apocalypso sur un rythme de salsa, un J.B.’ Rock musclé avec Jimmy Vaughan très en forme et une curiosité, I Wwant You (She’s So Heavy) des Beatles, en version jazzy et funky. Album à écouter et ré-écouter sans modération. – Robert Sacré


Johnny Rawls

Going Back To Mississippi

Third Street Cigar Records – www.thirdstreetcigarrecords.com

L’ex directeur musical d’O.V. Wright est infatigable. Sans cesse en tournée, il n’est pas avare non plus quand il s’agit d’enregistrer. Sa production discographique au cours de ces dernières décennies est importante : 21 albums, qui mettent en valeur les grandes qualités musicales mais aussi d’écriture de l’artiste. Cette nouvelle galette a été faite en deux temps, d’abord dans un studio au Danemark avec l’incontournable famille Özdemir comprenant Kenan à la guitare, Erkan à la basse et Levent derrière les fûts, auxquels il faut ajouter, aux claviers, l’excellent transalpin Alberto Marsico, quant à la rutilante section de cuivres, elle fut enregistrée au Bigfoot Studio dans l’Ohio. Les adeptes d’un des meilleurs représentants du style soul/blues vont à nouveau se régaler car, une fois encore, il nous délivre une formidable prestation durant dix compositions originales admirables, à l’image de Midnight Train, Your Love, If You Ever Get Lonely ou encore Reap What You Sew. Une telle régularité dans l’excellence n’est pas donnée à tout le monde, manifestement l’ami d’Otis Clay continue sa route pavée d’exquises compositions en nous proposant un album très abouti qui, assurément, plaira à ses nombreux admirateurs des deux côtés de l’Atlantique. À ne pas rater. – Jean-Luc Vabres


John Németh

Maybe My Last Time

Nola Blue Records NBR020 – www.nola-blue.com

Quand, au début de cette année, un cancer de la machoire inférieure lui fut diagnostiqué, la vie de John Németh vola en éclats. Une amputation était urgente, sans garantie de survie, ni, en cas de survie, aucune certitude évidemment de pouvoir poursuivre sa carrière de musicien. L’intervetion fut programmée en mai dernier et, aux dernières nouvelles, l’auto-greffe osseuse semble bien progresser, même si c’est toujours l’incertitude quant à son pronistic vital et aux possibilités de chanter et de jouer de l’harmonica à nouveau. Avant la chirurgie, en mai, Németh décida de graver son onzième album sous son nom, « au cas où… », et aussitôt des amis de longue date comme Elvin Bishop, Kid Andersen, Bob Welsh, Alabama Mike et d’autres répondirent présents. Tout a été entrergistré dans les studios Greaseland de Kid Andersen en Californie et, selon son habitude, Andersen est très actif tout du long, à la basse et à la guitare. On comprend l’actualité et le caractère autobiographique du titre de l’album et du morceau qui lui est associé, en fait un gospel (au répertoire des Staple Singers) sur tempo rapide et enlevé, ré-arrangé par Németh, Bishop et Andersen. Németh a composé deux des onze faces, Sooner or Later,une ballade soul en médium dotée d’une belle mélodie et Elbows On The Wheel, un road song festif en médium qui exsude la bonne humeur entre copains, avec B. Welsh au piano.Némethjoue de l’harmonica partout et avec beaucoup de feeling, il chante aussi sauf Stealin’ Watermelons, un classique d’Elvin Bishop qui est lui-même au chant et à la guitare avec Bob Welsh. Welsh dont on peut saluer les performances de guitariste dans d’autres faces comme le Shake Your Hipsde Slim Harpo sur tempo vif et rapide ou le Feeling Good de J.B. Lenoir en slow et I’ll Be Glad de Bishop qui conclut l’album en beauté et ajoute une note d’optimisme bienvenue. Welsh se révèle aussi un pianiste talentueux dans Rock Bottom d’Elvin Bishop et dans Come On In This House de Melvin London (dans une version qui rappelle celle de Junior Wells). On souhaite tout le bien du monde à John Németh et on attendra son 12è album avec espoir et impatience. – Robert Sacré


Creedence Clearwater Revival

At The Royal Albert Hall April 14, 1970

Fantasy 00888072406605 – www.fantasyrecordings.com

Ce live remet les pendules à l’heure. En 1980, un album paru sous le même titre abritait en fait un concert à Oakland de janvier 1970. Une erreur rapidement reconnue à l’époque, mais dont la correction a pris quarante ans. À l’arrivée, deux excellents disques au lieu d’un ! En concert, Creedence Clearwater Revival n’allait pas se lancer dans une de ces folles improvisations dont l’époque rafolait. Les quatre boys jouaient leurs tubes planétaires sans artifice, avec parfois quelques petits problèmes de mise en place, mais surtout sans jamais se départir de la folle énergie ni de la présence animale que leur insufflait la voix de John Fogerty. Qu’il aurait été jouissif de se trouver dans le public ce soir là pour prendre de plein fouet un cinglant Fortunate Son, laisser rouler le Midnight Special, embarquer à bord du Proud Mary, goûter à des titres moins diffusés comme Tombstone Shadow, ou leur morceau de bravoure scénique à eux, Keep On Chooglin’. – Dominique Lagarde


Laura Tate

Smokey Tango

Blue Heart Records – www.blueheartrecords.com

Laura Tate est une Texane bon teint de Dallas mais, musicalement, elle a été très influencée par la musique de New Orleans et cela est explicite dans son sixième album. Mais elle a plus d’une corde à son arc : à la University of North Texas où elle étudiait le chant, elle eut l’occasion de faire une tournée avec une compagnie théâtrale et y devint actrice et chanteuse à la fois, elle prit des cours de comédie à New York et acquit une expérience qui lui permit de jouer (et chanter) dans des pièces de théatre et des comédies musicales avant de se tourner vers la télévision et d’y apparaître dans des programmes divers et des séries pour, enfin, devenir productrice et réalisatrice de documentaires (entre autres pour HBO), de vidéos musicales et de publicités commerciales. Elle vit maintenant à El Paso et est très impliquée dans le social. Cette activité débordante ne l’empêcha pas, ces neuf dernières années, de graver toute une série d’albums dont voici le dernier-né dédié à la danse, à la Soul et au R&B jazzy. On démarre avec une reprise des Neville Brothers, Yellow Moon, et on se retrouve en famille avec le festif A Certain Guyde Naomi Neville et Allen Toussaint, enlevé et entraînant, tandis que About To Get Goneest du R&B bien enlevé avec Jeff Paris à l’orgue). Le titre éponyme est bien dédié à la danse et au tango, mais sur un rythme jazzy boosté par les cuivres de Paulie Cerra (sax) et Darerell Leonard (tp, tb), la guitare de Billy Watts et le piano de J. Paris. C’est aussi un rythme de danse et de rumba qui anime I Heard A Rumouravec B. Watts et Paris. On se retrouve à Basin Street avec Champagne Melody, un slow blues typiquement Crescent City avec les souffleurs en vedette de même que le piano de Paris et il va sans sans dire que le chant de Tate est en phase parfaite avec les musiciens, ici comme dans tous les morceaux. Pour le fun, on notera le Rougaroude Terry Wilson et Teresa James, une évocation du loup-garou légendaire qui hanterait les bayous de Louisiane. On ne passera pas sous silence une bonne version, aussi originale qu’inattendue, du Smoke On The Waterde Deep Purple avec Paris à l’orgue. Quant au It Tears Me Upde Percy Sledge, c’est de la soul intense et on citera encore Lovers Game qui conclut l’album avec Teresa James au piano et B. Watts à la guitare slide (encore un morceau au rythme « second line » qui donne des démangeaisons dans les pieds et envie de reprendre le refrain en chœur. – Robert Sacré


Will Jacobs

Goldfish Blues

Ruf Records RUF 1300 – www.rufrecords.de

Will Jacobs est né à Chicago il y a 29 ans. Tout jeune guitariste, il accompagne de nombreux artistes de la ville dans le difficile circuit des clubs de la Windy City. Adolescent, il dirige sa propre formation, Dirty Deal, et participe, en 2009, au Memphis International Showcase. Puis il étudie la composition et perfectionne sa technique de guitare au célèbre Berklee College of Music de Boston. Il devient auteur-compositeur et musicien de studio. Il tourne également avec, entre autres, C.J. Chenier. En 2016 il choisit de s’installer à Berlin. Il sillonne alors l’Europe avec les meilleurs musiciens de la scène blues du Vieux Continent. En Allemagne, il rencontre Thomas Ruf. Ce dernier l’envoie dans un studio berlinois pendant une semaine de juin 2022 avec quatre remarquables accompagnateurs : Stef Rosen (g), Brian Sauls (d), Matthias Falkenau (org) et Thomas ‘Tomek’ German (b). Résultat : un cd de dix titres, neuf compositions originales de Will Jacobs et une reprise, Don’t Burn The Bridge, créée par Albert King. La musique de Will Jacobs mêle habilement blues traditionnel (Dirty Dog), ballade soul (I Wish), funk à la Johnny Guitar Watson (Goldfish Blues et Funky Woman), swing (Katie’s Blues), musique de Prince (Grooving With You) et rock. Will Jacobs est un remarquable guitariste au jeu sans esbroufe et un chanteur agréable. Ce sympathique disque mérite votre attention. – Gilbert Guyonnet


Doktu Rhute Muuzic (Roy Hytower) & Highway

Live in Helsinki

Backbeat Records BBCD024

Il s’agit en fait de Roy Hytower, un chanteur-guitariste né à Coffeeville, Alabama (vers 1943 ?) et guitariste des Castanets à Mobile (Ala) avant de gagner Chicago en 1962 et de s’y faire un nom dans le band d’Otis Rush puis en gravant des singles soul/blues pour Avin, Blue Rock… Il a changé son nom au début des années 90 en Doctor Roots Music modifié en Doktu Rhute Muuzic pour un tas deraisons qu’il détaille sur www.doktulatrice.com. En résumé : son père était un Root Doctor et c’est aussi le titre d’un de ses grands succès sortien 1988 sur un album Diamond Green Records (avec Roosevelt Purifoy – keyboards, David Ivory – bs et Steve Cobb – dms). Il a d’autres cordes à son arc, car il fut la vedette de plusieurs comédies musicales, incarnant Muddy Waters dans « The Hoochie Coochie Man », puis Otis Redding et Jimmy Reed, sans oublier de petits rôles dans des films comme « Poltergeist III » (1988), « The Babe » (1992),  « A Family Thing » (1996), « US Marshals » (1998), « Novocaine » (2001) et dans des séries (« Brewster Place » et « Gabriel’s Fire » en 1990, « Early Edition » en 2000) et même dans une revue de théâtre, « The Middle of Nowhere in the Middle of the Night » au Wisdom Bridge Theater de Chicago ! Chapeau l’artiste. Il n’a jamais cessé, en parallèle, de poursuivre sa carrière musicale et, en 2019, il était en tournée en Finlande où il y a gravé cet album live à Helsinki, avec le groupe finnois Highway. Comme on pouvait s’y attendre, on a droit àune excellente séance de Chicago blues traditionnel avec des pointes de Memphis blues, on est en live et les dix faces sont donc longues (de 4’38 à 8’32) et Hytower reprend cinq de ses propres compositions et succès comme No Nonsense, I’m In Your Corne, L-O-V-E.comSqueeze Me, (The Lemon Song) Love By Design. Sa voix trahit (un tout petit peu) son âge, mais il est resté un guitariste assez flamboyant avec des solos qui décoiffent, bien soutenu par le band, surtout J. Kulluvaara (gt) qui a déclaré en interview que Hytower avait un style très personnel, à nul autre pareil, jouant sans plectre. Il y a aussi des reprises dont Hoochie Cootchier Man (Willie Dixon/Muddy Waters), Rock Me Baby (B.B. King) et trois faces où G.R. Kempas prend le leadership de belle manière, au chant et harmonica : Rockinitis (Billy Boy Arnold en 1957 pour Vee Jay), Up The Line (Little Walter) et My Buddy Buddy Friends (A. Corthen). Une fort belle surprise. – Robert Sacré


Son of Dave

Call The King

Goddamn Records SODCD005

One man band, incorrigible électron libre, Son of Dave s’assied dans le fauteuil d’Emmanuelle. La comparaison s’arrête là. Pour lui, c’est un trône. Il demande désormais qu’on l’appelle roi. Dommage, la place est prise depuis quelques mois. Rien n’est perdu pour autant. « Londoner » depuis un quart de siècle, Son of Dave chante et joue le blues à la seule force de sa voix, de son harmonica et d’un beat-box. Par l’originalité et l’exubérance du personnage, la formule conserve toute sa fraîcheur au bout de vingt années et dix albums. Si vous êtes tranquillement assis dans votre living room et que vous entendez du bruit dans le cellier, pas de panique, c’est Son of Dave qui cherche de nouveaux sons en tapant sur les bouteilles avec des tournevis. – Dominique Lagarde


Mike Guldin & Rollin’ and Tumblin’

Tumblin’

Blue Heart Records – www.blueheartrecords.com

Guldin est chanteur/guitariste et il est dans le circuit depuis quarante-cinq ans, mais il n’a enregistré son premier album qu’en 2003, le second en 2005, le troisième en 2019 et celui-ci est donc le quatrième. Il se revendique d’influences multiples, il a composé seul ou en collaboration, treize des quinze titres et, à chaque occasion, il fait appel à des invités qui rehaussent l’intérêt de ses albums. Il est excellent guitariste et il est doté d’une voix bien timbrée, rauque et expressive. Les Tumblers sont Tim Hooper (keyboards), C.J. Clark (basse) et Billy Wear (dms). Il a aussi invité des musiciens renommés de Philadelphie ainsi que Kevin McKendrie (orgue, p), James Pennebaker (pedal steel gt, slide gt), etc. On démarre en fanfare avec le titre éponyme, un instrumental entre-dedans, suivi d’une majorité de blues, certains en tempo rapide comme That’s All She Wrote avec T. Hooper (p), You Just Can’t Loose (un blues enjoué, trépidant et fonceur) et One Percent (un blues enlevé et festif avec, entre autres, K. McKendree au B3 et Lewis Stephens au piano), sans oublier un superbe House Of Cards où Roger Girke est à la guitare et au chant sur un ton menaçant, avec les deux souffleurs. La majorité des faces est en tempo medium, comme Sad And Lonely avec Mikey Junior (hca), excellent, tout comme Twisted Tail (avec M. Junior – chant et hca) et aussi Raise A Ruckus, un blues intense avec McKendree (B3), J. Pennebaker (slide), Kevin Vannoy (sax ténor) et Luis Mora (tp) et encore She Caught The Katy repris à James Rachell et Taj Mahal dans une très bonne version. Il y a aussi quelques faces en slow et deux ballades aux accents C&W comme Check Yourself avec Will Hodgson (mandoline et hca) ainsi que Alabama Pines doté d’une mélodie superbe et obsédante avec K. McKendree (B3 et piano) et J. Pennebaker (pedal steel gt). Ce n’est pas tout, un des meilleurs morceaux est la deuxième reprise, Key To The Highway, un classique de Big Bill Broonzy en slow blues avec M. Junior (hca) et Tim Hooper (p, orgue). Sans conteste, un des meilleurs albums de blues qu’il m’ait été donné d’écouter cette année. – Robert Sacré


Crystal Shawanda

Midnight Blues

True North Records TND794 – www.truenorthrecords.com

Crystal Shawanda est une chanteuse de blues canadienne. Elle a sorti un premier album, country, en 2008. Elle avait déjà à l’époque une forte attirance pour le blues, notamment pour Etta James. Sa voix rauque et puissante est finalement plus adaptée au blues qu’à la country. En 2021, elle remporte le prix Juno du meilleur album blues ; ce prix canadien crée en 1970 concerne toutes les musiques, du classique au rap, en passant par le jazz et le blues. Voici donc « Midnight Blues », son septième enregistrement studio, réalisé par son mari Dewayne Strobel, qui est aussi son producteur et guitariste. Sur les dix morceaux, il y a six compositions de Crystal et quatre reprises, dont Evil de Willie Dixon et What Kind Of Mind de Buddy Guy. Voici donc un très beau disque de celle qui est considérée, à juste raison, comme la meilleure chanteuse de blues canadienne. Avec ses performances vocales, pleines de passion et d’émotion, Crystal, âgée de 39 ans aujourd’hui, a un brillant avenir devant elle. – Robert Moutet


Ben Levin

Take Your Time

Vizztone Label Group BL 005 – www.vizztone.com

Ben Levin est un jeune pianiste et chef d’orchestre de Cincinatti. Il a 22 ans et en est déjà à son cinquième CD. Entouré de son orchestre renforcé par quelques invités prestigieux : Bob Stroger à la basse et au chant sur trois titres, Little Ed à la guitare et au chant aussi sur trois titres, Little Jimmy Reed (trois titres), Johhny Burgin (g) plus quelques vétérans du blues de Cincinatti qui savent soutenir leur pianiste avec goût et classe. Douze morceaux dont quatre compositions et des reprises bien ficelées de Roy Hawkins, Brownie McGhee, Eddie Taylor et Bob Sroger, permettent au jeu de piano de Ben de se mettre en place de belle façon et de nous offrir un moment très agréable. Notes de pochette signées Bob Corritore. – Marin Poumérol


Detonics

Detonized

Naked NP068/Donor Prod. – www.donor.company/naked

Un groupe hollandais avec Kars Van Nus (vo, hca), Raymond Nijenhuis (gt), Raimond de Nijs (keys), Wilfred Pieters (bass) et Mathijs Roks (dms), fans du West Coast blues traditionnel des années 50’s avec des glissements, de ci de là, vers le Mississippi blues. Le groupe a composé les dix titres dont le bien enlevé Too Far Away qui déménage ferme, autant que It’s Gotta Be Me, rock and roll/boogie déjanté avec une belle partie de piano. Il y a aussi des slow blues de bonne facture comme Mean Machine et Why Were You Lying ?. On peut y ajouter un Memphis très prenant et slow en première partie et déchaîné en deuxième partie uptempo pour redevenir langoureux en conclusion. À noter encore Backdoor Annie, un blues en tempo rapide de style West Coast avec une partie d’harmonica mémorable et l’album se conclut avec Hard Way To Goen slow, très émotionnel, en accord avec le thème. – Robert Sacré


Mick Kolassa

They Call Me Uncle Mick !

Endless Blues Records MMK082022 – www.endlessblues.com

Mick Kolassa est un artiste prolifique qui réside à Memphis. Il publie son douzième cd depuis 2014. Celui-ci, entièrement acoustique, sort quelques semaines après « I’m Just Getting Started ! » (Endless Blues Records MMK072022). Mick Kolassa possède une voix chaude à la Dr. John. Il est un guitariste élégant au jeu fin et subtil. En outre, il compose de bonnes chansons et choisit avec goût ses reprises. Ses complices d’enregistrement ont l’air de s’amuser. Le disque débute avec l’interprétation du classique de Bo Carter My Pencil Won’t Write No More. L’harmonica de Bobby Rush est présent sur une composition de Mick Kolassa, Wasted Youth, qu’il avait créée en mode électrique sur un disque précédent. Doug McLeod, une pointure de la guitare acoustique, rejoint Mick Kolassa sur deux compositions de celui-ci, Used to Be et My Woman She’s So Mean consacrée à une femme troublée et troublante. Mick Kolassa déclare sa surprenante passion pour les fromages avec la très drôle chanson qui clôt l’album, The Cheese Song. Parmi les reprises, vous vous délecterez de Woodstock de Joni Mitchell avec l’excellente slide Brad Webb et la voix et l’harmonica de Watermelon Slim. La complainte de Hank Williams, I’m So Lonesome I Could Cry, devient ici un shuffle illuminé par le violon d’Alice Hasam. Un vibraphone, joué par John Whitemore, fait vibrer la relecture du classique Sunnyside Of The Street. Mick Kolassa est aussi un homme d’une grande générosité. Tous les bénéfices de ce disque ainsi que ceux de ses précédents seront attribués à la HART Fund qui vient en aide aux musiciens qui ont des problèmes de santé et/ou financiers et à Generation Blues, un organisme qui soutient la formation de jeunes artistes. Tout en faisant plaisir à vos oreilles, vous contribuerez à une belle action en achetant ce cd. – Gilbert Guyonnet


Big Al & The Heavyweights

Love One Another

Vizztone Label Group VT-BA01 – www.vizztone.com

Le batteur (Big) Al Lauro a de solides bases à New Orleans et, à la fin des seventies, il a rejoint le groupe de David Alan Coe (vo) avec Warren Haynes (gt) pendant six ans avant de former avec Haynes le Unknown Blues Band, puis son propre band, les Heavyweights, avec lesquels il a profduit six albums à partir de 1998. Il y tient la batterie avec Wayne Lohr (keyboards), Marcel Anton (gt) et Mark Parsons (bs). Big Al a composé quatre titres sur quatorze avec M. Anton, et ce dernier sept titres tout seul et encore un autre avec M. Parsons, un slow blues avec slide (Sweet Louise) et Parsons signe seul la ballade Alright With Me comme W. Lohr signe un très calme Hurricane malgré le titre… Beau travail d’équipe au demeurant ! À noter, d’entrée de jeu, le titre éponyme rassembleur, un blues en médium avec des invités : Luther Dickinson (gt) et Jason Ricci (hca), lequel récidive dans What Can I Say, un blues en médium bien balancé. On a aussi un Wild Tchoupitoulas trépidant, très New Orleans et rentre-dedans, Too Cold, un slow blues funky avec distorsions wah wah et un Underground fantasmagorique, ambiance Halloween garantie ! Quant à Zydeco Love, le rythme est là, mais sans accordéon et avec violon cajun (Gina Forsyth)… – Robert Sacré


Angela Strehli

Ace Of Blues

Antone’s Records/New West Records ANT2513 

La chanteuse texane originaire de Lubbock (comme Buddy Holly) réapparaît dans les bacs des disquaires. Après 17 ans de silence, elle publie un nouveau cd, « Ace of Blues », sur une firme de disques qui renaît de ses cendres, Antone’s Records, en partenariat avec New West Records. Rappelons qu’elle fonda avec le regretté Clifford Antone le célèbre club d’Austin, Antone’s, toujours en activité, qu’elle présida aux destinées du label associé au club, Antone’s Records. En outre, elle est une chanteuse émérite à la discographie peu prolixe pour une artiste qui débuta sa carrière dans les années 1970. Son premier disque, « Soul Shake », date de 1987. Antone’s Records en était le producteur. Depuis 1989, elle vit dans le nord de la Californie. Là elle dirige avec son mari Bob Brown le restaurant et club Rancho Nicasio où plusieurs disques ont été enregistrés par la Little Village Foundation. Pour son retour, Angela Strehli a choisi d’interpréter quelques-unes de ses chansons préférées. Dans le copieux livret illustré de nombreuses photographies, une notule pour chaque titre explique son choix. Cela débute par la difficile chanson Two Steps From The Blues de Bobby Bland, artiste dont elle fit la première partie le 25 septembre 1976 au Austin Coliseum. W.C. Clark était le guitariste la formation qui l’accompagnait alors, Southern Feeling. Elle se sort fort bien de cette épreuve grâce à sa voix devenue plus profonde (est-ce dû à l’âge ?) et la forte présence de la section de cuivres. Elle enchaine avec Person To Person d’Elmore James et son excellente partie de piano due à John Allair. Le funky Ace of Spades a inspiré le titre du cd « Ace of Blues ». Angela Strehli utilise les arrangements de Muddy Waters pour la chanson de Willie Dixon I Love The I Live où l’harmonica est joué par le saxophoniste Mark ‘Kaz’ Kazanoff dans un style proche de celui de Junior Wells. Amusante est la version de You Never Can Tell de Chuck Berry. Le guitariste Mike Schermer laisse éclater son talent pendant l’interprétation à la Otis Rush de Gambler’s Blues de BB King. Il était inévitable de retrouver Howlin’ For My Darlin, cette chanson d’Howlin’ Wolf pilier du répertoire scénique de la chanteuse ; Mike Schermer joue comme Hubert Sumlin. Angela Strehli est remarquable dans l’hommage à Otis Clay, Trying To Live My Life Without You, comme dans son interprétation de Take Out Some Insurance de Jimmy Reed. Elle a eu la chance de rencontrer et jouer avec le grand accompagnateur de Jimmy Reed, Eddie Taylor, un fidèle du club Antone’s. Angela Strehli n’oublie pas Little Milton, autre grand artiste avec qui elle s’est produite. Elle a choisi More And More. Les Sons of the Soul Survivor embellissent le gospel de Dorothy Love Coates I Wouldn’t Mind Dyin. Angela convainquit Steve Ray Vaughn d’interpréter Texas Flood de Larry Davis. Elle contribua ainsi à lancer la célébrité du guitariste et à faire de ce titre un classique. Le disque s’achève avec la seule composition originale de la chanteuse, SRV, hommage à son très proche ami. Cet « Ace of Blues » honore les artistes qui ont façonné les goûts et la vie de la modeste, discrète et talentueuse Angela Strehli. – Gilbert Guyonnet


Eric Demmer

So Fine

Gulf Coast Records – www.gulfcoastrecords.net

Texan bon teint, Demmer a commencé sa carrière comme roadie au début des années 80 puis comme ingénieur du son en 1989. Ensuite, il a décidé de se consacrer à son instrument de prédilection, le saxophone, ainsi qu’au chant. En 1993, il a saisi la chance de sa vie en acceptant l’offre de Clarence Gatemouth Brown de le rejoindre dans son band et il y est resté jusqu’à la mort du guitariste en 2005. Il a fait partie des accompagnteurs d’Eric Clapton sur le « From The Cradle Tour », puis il a été invité à rejoindre The Allman Brothers Band. Il a aussi été le partenaire de bon nombre d’artistes célèbres comme Johnny Copeland, B.B. King, Carlos Santana, Bonnie Raitt, Dr. John, Buddy Guy, Billy Gibbons, etc. En 2016, il a participé à quelques showsavec le Mike Zito Band avant de faire partie intégrante du groupe dès 2018. Cela lui a donné envie de graver son propre album et voici le résultat avec Mike Zito, le boss de Gulf Coast, comme producteur et au chant dans un désabusé Will It Ever Be The Same ? Autre invité, Jonn Del Toro Richardson à la guitare dans She’s So Fine et à la guitare rythmique dans I’m A Guitar Player, du R&B bien musclé en médium. Demmer déploie un jeu dynamique et extraverti tout du long d’un album placé sous le signe du funk et des rythmes latinos avec des partenaires comme Dennis Delfino (gt, bass), Hugo Rodriguez (gt), les Grooveline Horns (Carlos Sosa, Fernando Castillo, Raul Vallejo). Une mention à Start It All Again (un slow blues), à I’m Alright (du R&B en medium) et à Get Out Of Town (vibrant, fonceur et balancé). – Robert Sacré


Surprise Chefs

Education & Recreation

Big Crown Records – www.bigcrownrecords.com

Si vous ignorez ce que représente la surprise du chef version australienne, voici quelques éléments de réponse. De Melbourne, nous parvient ce nouveau cd d’un quintet instrumental, à la belle maîtrise de styles aussi divers (et complémentaires !) que le funk, le jazz, la soul, le hip hop et la musique de films, estampillée seventies. Lachlan Stuckey (guitare), Jethro Curtin (claviers), Carl Lindberg (basse), Andrew Congues (batterie) et Hudson Whitlock, couteau suisse (bien que wallaby), préposé aux samples. Comme c’est souvent le cas avec ce genre de disque, pas de titre destiné à être mis en valeur plus qu’un autre, mais une atmosphère « mood and groove » pour contourner l’hiver. – Dominique Lagarde


Ivor S.K.

Mississippi Bound

Frank Roszak Promotions 2022

Ivor S.K. est un jeune musicien de blues australien. Ivor Simpson Kennedy est son nom exact. Il a grandi à Sidney et, pendant dix ans, il a perfectionné son jeu de guitare et sa voix rugueuse en se produisant dans tous les grands festivals du pays. Il rejoint ensuite La Nouvelle-Orléans et sort « Delta Pines », son premier disque en 2016. L’année suivante, « Montserrat » est un album complet de dix chansons, toutes écrites et jouées en one man band par Ivor. Voici aujourd’hui « Mississippi Bound », un cd de quinze titres écrits pendant la pandémie. Jouer de plusieurs instruments en solo n’est pas un exercice facile, mais celui qui a débuté sa carrière comme batteur s’en sort à merveille. Tous les morceaux peuvent être rattachés au Delta blues, avec de petites digressions vers le ska et le reggae. « Mississippi Bound » enchaine les compositions en tempos variés avec un excellent jeu de guitare. Voici un disque qui permettra à beaucoup de découvrir un talentueux musicien, auteur, compositeur et multi-instrumentiste. – Robert Moutet


Patty Tuite

Hard Case Of The Blues

Tread City Productions – www.pattytuite.com

Patty Tuite est dans le circuit depuis 1999 et, sur la base du succès remporté par son album « Consider This » en 2021, elle s’est lancée dans l’aventure de ce nouvel opus produit par le guitariste Paul Nelson et dont elle a composé les onze titres. Elle est au chant, rhythm guitar et spoons et elle est entourée d’une belle brochette de musiciens et d’invité comme Ozzie Melendez au trombone dans le festif Goin’r Out Tonight qui fleure bon la fiesta et la bonne humeur, il y a aussi Bobby Rush (harmonica) dans un Nothin’ But Trouble qui démarre l’album en beauté, c’est enjoué malgré le thème, on est en pleine euphorie et le producteur Paul Nelson y démontre ses grandes qualités de guitariste, ici à la slide mais aussi à la guitare dans l’excellent Double Down, un blues enfiévré et ailleurs (I Just Wanna Play, etc). Focus aussi sur Glad I’m Through With You, un blues syncopé du « bon débarras, enfin quittes » avec de bonnes parties de trompette (Rico Amero), de piano (Brooks Milgate) et de drums (Justin Blackburn), tout comme Diggin’ Up Outta The Hole, en tempo rapide et tout aussi plaisant. On notera encore l’instrumental My Silent Love, une ballade en slow avec Patty Tuite en solo à la guitare. – Robert Sacré


The Hungry Williams

Let’s Go !

Rochelle Records 2202

Nous avions chroniqué il y a quelques mois le précédent CD des Hungry Williams, « Brand New Thing », et il nous avait beaucoup plu. Celui-ci, tout nouveau, est du même tonneau : pétant de santé et de swing. Ces gens là ont une réelle passion pour ce bon vieux r’n’b avec une coloration New Orleans, ce qui est normal lorsqu’on s’appelle Hungry Williams en hommage au grand drummer portant ce nom. La chanteuse Kelli Gonzales mène la barque avec classe. On démarre immédiatement au cœur de l’affaire avec Mardi Gras Day, un original du groupe, comme quatre autres titres complétés par des reprises bien senties de Lavern Baker, Big Maybelle, Roy Montrell ou Red Tyler et on sent constamment l’influence de Fats Domino. Le tout donne un disque dansant, optimiste et on aimerait bien les voir sur scène… À suivre ! – Marin Poumérol


Vanessa Collier

Live At Power Station

Phenix Fire Records/Vanessa Collier – www.vanessacollier.com

Dans le circuit depuis quatorze ans et diplômée en 2013 du fameux Berklee College of Music, Vanessa Collier s’est imposée comme une des musiciennes Blues et R&B les plus en vue de sa génération. Elle chante, s’éclate aux saxes ténor et alto ainsi qu’à la guitare resonator. À son actif, elle compte de nombreuses tournées tant nationales USA qu’internationales et elle a produit elle-même son cinquième album, en public (Power Station Studios, New York City, April 2022), les quatre premiers ayant été super bien accueillis tant par la critique que par le public. Elle collectionne les récompenses, ainsi, entre autres distinctions, elle a été nominée huit fois pour les Blues Music Awards et en a décroché trois ! (Instrumentalist of the Year en 2019 et 2020 ; Contemporary Female Artist of the Year 2022). Ici elle a composé sept des dix faces et elle est bien entourée avec Laura Chavez (gt), Byron Cage (dms), Andrew Crane (basse) et William Gorman (orgue et piano). Tout démarre avec deux compos personnelles de Collier, et en fanfare, avec The Run Around et Whiskey And Women bien enlevés tous deux, avec de belles combinaisons orgue, saxes et guitare, le tout boosté par la section rhytmique, il y en a sous le capot ! Suit un bel hommage à Ann Peebles (et à Don Bryant) avec une belle version longue (plus de 8 minutes) de I Can’t Stand The Rain et aussi une reprise du Love Me Like A Man de Chris Smither, sous la forme d’un long slow blues intense et enflammé (plus de quatorze minutes) avec, comme toujours, une Laura Chavez au sommet de sa forme. Une mention à Sweatin’ Like A Pig, Singin’ Like An Angel chaloupé humoristique et festif avec W. Gorman (piano) et L. Chavez (gt) bien en évidence, sans oublier Vanessa Collier qui se distingue tout du long de l’album tant au chant qu’aux saxophones. D’autres faces ont aussi un côté autobiographique comme When It Don’t Come Easy, Icarus… On conclut en beauté avec Two Parts Sugar, One Part Lime endiablé et fougueux. Au total, un album très agréable à écouter de bout en bout et on regrette ne pas avoir pu assister au concert en studio, car le côté visuel devait être vraiment bien. – Robert Sacré


Kai STRAUSS & The Electric Blues All Stars

Live In Concert

Continental Blue Heaven CBHCD 2046

 

Kai Strauss

Night Shift

Continental Blue Heaven CBHCD 2851

Quand je reçois les disques à chroniquer sélectionnés par mon rédacteur en chef, je trie les artistes inconnus et les écoute en priorité avec l’aide de la télécommande. Quand j’ai placé le premier des deux cds de Kai Strauss et The Electric Blues All Stars, enregistrés en concert, impressionné par le son, j’ai tout de suite accroché et écouté l’intégralité des deux disques. Je résume ce qu’écrit Otis Grand dans ses notes de pochettes : « La musique de ce cd sonne comme si elle venait du Theresa’s Lounge en 1967. Le répertoire et le jeu de guitare de Kai Strauss le rapprochent des maîtres anciens tel Magic Sam. Strauss est si bon qu’il en est effrayant ! »

Kai Strauss est un excellent chanteur et un superbe guitariste allemand. Il officie depuis vingt-cinq ans au sommet de la scène blues européenne. Mais j’avoue que je ne le connaissais pas. Nous avons 85 minutes de blues incendiaire, intelligent, débordant de feeling. Le leader Kai Strauss bénéficie de la complicité parfaite de son Electric Blues All Stars. Le délicat batteur allemand Alex Lex a joué avec Bob Margolin, Louisiana Red et Billy Boy Arnold. Le bassiste de Seattle, Kevin DuVernay est impeccable. Il a joué avec Johnny Copeland et Big Jay McNeely. Thomas Feldmann (harmonica et saxophone) et Nico Dreier (orgue et piano) sont eux aussi impressionnants. Le répertoire est un mélange de compositions originales de Kai Strauss et de quatre reprises : Judgement Day de Snooky Pryor, Hard Life de Guitar Shorty, Let Me Love You Baby de Willie Dixon et Got To Be Some Changes Made d’Albert King. Ce magnifique double cd est en réalité une réédition de la firme de disques hollandaise Continental Blue Heaven avec une nouvelle référence, mais nous avons choisi de vous en dire ces quelques mots compte tenu de son intérêt ; l’original avait vu le jour en avril 2019 (CBHCD 2032). Une incontestable réussite.

Cette chronique à peine terminée, mon rédacteur en chef m’expédiait le septième et nouveau cd de Kai Strauss. Celui-ci a été enregistré en studio avec le fidèle Electric Blues All Stars. Il bénéficie d’une section de cuivres arrangée par l’excellent saxophoniste américain Sax Gordon qui joue lui-même. Un des meilleurs musiciens de la nouvelle scène de Chicago, Toronzo Cannon, a été invité. Son dialogue avec Kai Strauss est de haut vol sur deux chansons, Storming in Chicago, une composition de celui-ci, et It Ain’t Where You Been de Latimore. Kai Strauss a développé un jeu personnel à partir des racines du blues électrique. L’ombre d’Albert Collins plane sur Icebound, celle d’Albert King sur You Shure Drive A Hard Bargain, celle de Buddy Guy sans les excès, en permanence. Le groove de chacun des titres est parfaitement assuré par l’orchestre. En outre, on peut admirer le jeu d’orgue créatif de l’invité anglais Paul Jobson. À écouter plusieurs fois pour saisir les nuances du jeu de Kai Strauss. Satisfaction des oreilles garantie. – Gilbert Guyonnet


Brad Guitar Wilson

Cali Bee Music

Distr. CD Baby – www.bradwilson.com

Créateur du show « The Californian », Wilson (gt, chant, compositions) présente ici son quatrième album dont il est le producteur. Il a composé six des douze faces. Les six covers sont des hommages, tous chargés d’émotion, à ses musiciens de prédilection, ainsi John Lee Hooker auquel il dédie, en ouverture, Ballad Of John Lee, à la manière du maître avec des envolées énergiques. Hommages ensuite à Muddy Waters avec Walkin’ Thru The Park, puis à B.B. King avec Rock Me Baby. Puis, Wilson enchaîne avec House Is Rockin’ de Stevie Ray Vaughan et Someday After Awhile de Freddy King, toujours avec gusto. Il remettra le couvert pour Willie Dixon avec I Can’t Quit You Baby, un slow blues très intense de plus de 8 minutes et pour Eric Clapton avec Tales Of Brave Ulysses, plus Cream que blues. Parmi les compositions de Wilson, on notera deux faces bien enlevées, You’re The One For Me, une déclaration d’amour speedée et All Kind Of A Fool, où il avoue avoir tout foiré dans une relation amoureuse. À noter aussi Avatar, un instrumental, showcase des talents de guitariste de Wilson, un véritable festival de savoir-faire, réitéré dans le final, Drivin’. – Robert Sacré


Babaux And The Pacemakers

Lucky 13

www.babauxandthepeacemakers.com

Ah, tiens, une petite question. Qui a inventé le terme « Americana » pour désigner cette fusion intarissable des musiques raciniennes US ? Pas grand-chose à gagner à l’arrivée, sinon peut-être un CD de ce quartet du Colorado, bien représentatif du style dans sa version la plus intimiste et artisanale. Un ensemble de onze titres originaux empreints de poésie rurale, dans lequel Christian Basso, alias “Babaux”, chant et dobro, Eric Martinez, guitare, Alana et Niek Velvis à la batterie et à la basse se montrent particulièrement soudés. Même si un assoupissement bien excusable vous gagne en cours de route, faute à un répertoire un peu uniforme, tenez bon. Babaux et ses compagnons ne demandent qu’à vous apporter la paix et le bonheur. – Dominique Lagarde


Jeremiah Johnson

Hi-Fi Drive By

Ruf Records Ruf 1299 – www.rufrecords.de

Johnson (gt,vo) est originaire de Saint Louis, Missouri. Pour ce nouvel album, il a souhaité revenir à ses bases, le blues et le rock and roll. Pour ce faire, il a eu recours à deux producrteurs renommés, Tom Maloney de Saint Louis lui aussi (+ gt, piano) et Paul Niehaus IV (+ basse, gt, piano), à des cuivres (tp, tb, sax tenor, sax bariton) et à des invités comme le pianiste Victor Wainwright qui booste le titre d’entrée, ‘68 Coupé de Ville, un blues rentre-dedans dédié à la superbe Cadillac du même nom (à admirer en pochette de l’album) et aussi l’harmoniciste Brandon Santini très en forme dans Young And Blind, un excellent blues en médium et bien balancé sur le manque de clairvoyance associé parfois à la jeunesse et où Johnson lui-même démontre ses grandes qualités de guitariste, ce qui se répète de plage en plage, tout du long (le nerveux Hot Diggin’ Dog, l’intense Hot Blooded Love, etc). Même ambiance dans Skippin’ School, le blues du mauvais élève où les cuivres font le job, comme dans les autres faces, ainsi dans un Ball and Chainbien scandé ou The Squeeze menaçant et dans l’urgence. L’album se conclut en fanfare avec un The Band en trois parties, la première chantée avec tout le band suivie d’une courte séquence de cuivres en folie et une fin où Johnson casse la baraque avec des parties de guitare au top. – Robert Sacré


The Hogtown Allstars

Hog Wild

Stony Plain CD 1453 – www.stonyplain.com

Ah, ici on nous parle de cochons. Il y en a un splendide en couverture de pochette et puis les « All stars de la ville cochon »,  ça vous classe tout de suite un groupe ! Mais ne nous méprenons pas, sous cette appellation se cache un excellent groupe canadien dont les musiciens sont issus de deux des plus fameux groupes de ce beau pays : le Downchild Blues band fondé à Toronto en 1969 et le Maple blues band. Ces musiciens ont donc une longue expérience et cela s’entend immédiatement. Le chanteur Chuck Jackson est efficace et bien en place et les autres musiciens sont tous de très haut niveau, à commencer par Tyler Yarema, pianiste bien mis en valeur pour notre grand plaisir. Le son d’ensemble est dynamique, plaisant et on prend un grand plaisir à écouter leur musique : à mi-chemin du blues et d’un r’n’b moderne, dans dix titres dont huit compositions du groupe avec des climats différents et on ne s’ennuie pas une seconde. À écouter absolument. – Marin Poumérol


Chris Antonik

Morning Star

Autoproduction – www.chrisantonik.com

En première mi-temps, le canadien Chris Antonik balance un heavy space blues rock cuivré, prêt à fondre sur l’auditeur terrorisé. Une fois celui-ci maîtrisé, l’interprète peut passer par les ailes et offrir quelques débordements angéliques, comme la suite en deux parties, The Greatest of the Americans. À la reprise, Chris Antonik fait tourner le ballon avec des mélodies à visée plus pop ou soul, comme Learning To Love You ou How To Be Alone. Une tactique éprouvée depuis plusieurs décennies. We’re Not Alone, un rock’n’roll des origines, nous signale qu’on entre dans le dernier quart d’heure. Arrive Grace, l’arbitre porte le sifflet à la bouche. Il n’y aura pas de temps additionnel. Faut-il s’en plaindre ? – Dominique Lagarde


Katie Knipp Band

Live at the Green Room Social Club

Label indépendant

Katie Knipp est une chanteuse de blues américaine, compositrice et multi-instrumentiste. Pour mettre en valeur sa voix exceptionnelle, elle joue du piano et de la guitare slide ; elle est également à l’aise à l’harmonica. Elle a publié son premier album en 2003 et voici son septième opus, dont les douze titres – tous écrits par Katie – ont été enregistrés live au Green Room Social Club, qui est une scène de la petite ville de Placerville en Californie. Pour ce concert, elle bénéficie d’un excellent quartet composé de Chris Martinez à la guitare, Zack Proteau à la basse, Otis Mourning aux saxophones, clarinettes et percussions et Neil Campisano à la batterie. Katie a choisi les douze chansons parmi les enregistrements qu’elle a faits depuis 2005, ce qui permet d’avoir une vue d’ensemble de la diversité de ses compositions. Souvent comparée à Memphis Minnie pour sa voix, voici un concert qui permet de se faire une excellente idée du talent de cette artiste. – Robert Moutet


Annika Chambers & Paul DesLauriers

Good Trouble

VizzTone Label Group VT-ACPD01 – www.vizztone.com

Annika Chambers est originaire de Houston, Texas. Elle grandit dans une famille où le gospel est partout présent. Il y a pire comme formation musicale ! Elle se produit sur scène pour la première fois dans l’armée américaine où elle s’est engagée à la fin de sa scolarité au lycée. Elle chante pendant les cérémonies et lors de shows pour les troupes. La sergent Chambers quitte l’armée en février 2011 et entreprend des études de chant à Houston et démarre une carrière de chanteuse professionnelle. Paul DesLauriers, canadien français d’origine, apprend, enfant, le violon. Il découvre le blues rock des années 1960s-1970, puis le blues. Il interrompt très vite ses études de guitare jazz de McGill University de Montréal, études entreprises pour faire plaisir à ses parents. Il embrasse alors le métier de guitariste de blues et de rock. Annika et Paul se rencontrent à Memphis, dans le cadre de la compétition 2018 du Blues Challenge. Coup de foudre. Ils sont devenus mari et femme en plus de jouer ensemble. Pendant l’épidémie de Covid, dans un studio de Floride où le couple réside, ils ont élaboré un disque en compagnie du guitariste J.P. Soars. D’où ce cd de onze chansons. Le chant est irréprochable. La voix d’Annika Chambers est remarquable. Mais, hélas, l’orchestration divague parfois hors du blues, avec une guitare trop agressive pénible à mes vieilles oreilles. C’est le cas des trois premiers morceaux. Quatre chansons surnagent : Heavy Load, une composition du couple, Walk A mile In my Shoes de Joe South, Need Love So Bad de Little Willie John et We Got The Blues de Cassie Taylor. Comme par hasard, la guitare s’y fait discrète. En outre, il est bien difficile d’écouter entièrement les presque 10 minutes du « spiritual » I Need More Power qui conclut le cd. Amateurs de sonorités de guitare très rock, vous serez comblés par ce disque, amateurs de downhome blues, vous resterez au mieux indifférents ou, au pire, fuirez. – Gilbert Guyonnet


Rick Berthod

Tribute To Peter Green Fleetwood Mac Years

Autoproduction – www.rickberthod.com

Après Gary Moore (et peut-être quelques autres), Rick Berthod, chanteur et guitariste américain, consacre son neuvième album à son idole, Peter Green, le premier chanteur et guitariste de Fleetwood Mac, de 1967 à 1970, toujours numéro un d’un classement très disputé dans le cœur de nombreux fans dont le plus illustre est Carlos Santana. L’élève ne s’en sort pas si mal dans un exercice millimétré et risqué : assumer l’inévitable comparaison qui sera établie avec l’original, apporter sa personnalité au répertoire et pourquoi pas être le sésame vers Peter Green pour des novices. Loin de posséder la grâce vocale du maître, Rick Berthod compense en apportant par son talent d’instrumentiste. En ajoutant sans dénaturer quelques notes aux lumineux accords de l’aîné (Jumpin’ at Shadows, Albatross). – Dominique Lagarde


Mama’s Biscuits

Love Advice

LA2103/1 – mamasbiscuits@free.fr

La chanteuse Veronique Sauriat et son septet (Jeremie Tepper – gt, dobro ; Philippe Floris – dms, percus ; Hervé Guillet et Bruno Maurin – basses électriques ; Christophe Garreau – upright bass, Bala Pradal – p, orgue, rhodes), renforcé par trois invités (Vincent Bucher – hca ; Didier Marty – sax ; Lionel Borée – orgue), forment un groupe bien soudé et compétent. Elle a composé, seule ou en collaboration, quatre des onze faces dont le titre éponyme, un blues bien enlevé, composé avec Jérémie Tepper (guitare). I Don’t Care, entraînant et enlevé lui aussi, avec Bala Pradal (orgue/rhodes), Broken Girl (composé avec Manu Guillou et inspiré par Linda Harris), un slow blues très émotionnel avec Lionbel Borée (orgue) et B. Pradal (p), tout comme J’ai Jeté l’Eponge en mode nerveux et haletant. Parmi les reprises, on notera une superbe version en slow blues du Do I Move You de Nina Simone qui ouvre l’album avec un Vincent Bucher très inspiré à l’harmonica et qui récidive dans le No One de Doc Pomus/Mort Shuman, du R&B au top avec J. Tepper au dobro. À citer encore le beau slow blues I Can’t Be All Bad repris à Margaret Lewis et Myra Smith et un musclé Run Baby (composé par Carol Fran) avec Didier Marty qui se déchaîne au saxophone, ici comme dans I Don’t Love You No More (H.B. Barnum). Pour le reste, on a une reprise enlevée de Baby Please Don’t Go, le classique de Big Joe Williams, et de la soul avec Need Your Love So Bad de Little Willie John avec un J. Tepper brillant à la guitare. Agréable à écouter de bout en bout. – Robert Sacré


Walkin’ Blues

Roots

Autoproduction

Formé en 2013, Walkin’ Blues est un groupe des Hauts de France qui a pris pour nom le titre d’un célèbre morceau de Robert Johnson… Au départ, c’est la réunion de trois musiciens : Denis Byache à la guitare et au chant, Michel Rouxel à la guitare et dobro et François Baladou à la basse et contrebasse. Ce dernier est décédé en 2019 et Pierre Snaet lui a succédé. Enfin, pour former le quartet actuel, Dominique Floch est à l’harmonica et au washboard. « Roots » est leur deuxième disque, enregistré fin 2021 au studio Son de Dunkerque. Pour cette autoproduction, ils ont fait appel à d’autres musiciens de talent du nord de la France et de Belgique. Onno Ottevanger est au piano, Florian Lemoine au banjo et Peter Steen au violon. Aucune composition, le choix du répertoire s’est orienté vers des morceaux célèbres, avec des adaptations et arrangements très personnels. Ainsi, on retrouve des titres de Mississipi Fred McDowell, Sonny Boy Williamson (le premier), J.B. Lenoir, Slim Harpo et bien sûr Robert Johnson. Ils ont également choisi des morceaux d’artistes comme Lil’ Red & The Rooster ou Rag Mama Rag. Avec ces interprétations, Walkin’ Blues nous fait passer du Blues du Mississipi des années 30 aux morceaux plus contemporains de la Windy City. À noter aussi qu’avec des instruments acoustiques et traditionnels, on retrouve une musique plutôt intimiste et sans surcharge sonore, ce qui devient rare dans les enregistrements d’aujourd’hui… En une heure d’écoute, on ouvre avec plaisir les grandes pages de l’histoire du Blues. Espérons les voir sur scène dès que possible ; les directeurs de festivals hors de leur région seraient bien inspirés de leur offrir la place qu’ils méritent dans leur toute prochaine édition.  – Robert Moutet


Pneumatic Serenaders

Slow Back Train

2022-LPS

Nous sommes en juin 2022 et une atmosphère paisible règne en cette fin d’après-midi sur Crissier et son Blues Rules Festival. Old time blues, Hokum, Jug Bands, Memphis Minnie ou Bessie Smith sont les influences majeures du groupe qui se produit sur scène, les Pneumatic Serenaders, et dont la musique vient délicieusement flatter nos oreilles. Gaëlle Houzé chante bien, très bien même, Valentin Estel est à la guitare et résonator, Francois Touvy aux guitares électrique et folk ainsi qu’au banjo, Sylvain Tichadou à la contrebasse ou au tuba et Prêle Abelanet à la batterie et aux percussions. En réalité, tous chantent, en chœur, avec beaucoup de cœur. Autre passion : La Nouvelle-Orléans, où plusieurs membres du groupe ont fait un voyage initiatique et musical en 2014 ; expérience grevée de rencontres enrichissantes avec différents musiciens (Tuba Skinny, Hokum Hight Rollers, …) et, deux ans après avoir enregistré une première démo, un premier disque : « Rollin’ on The Bayou ». Dans leur nouvel album, « Slow Back Train », les cinq musiciens ont invité des amis : Sébastien Monge aux claviers, Laurent Sales au bouzouki et au banjo, Jeanne Baradel au chant. Ce disque, tout en restant dans l’esprit des morceaux du début du XXe siècle, est un travail personnel regroupant huit belles compositions originales. Il retranscrit à merveille cette atmosphère faussement surranée qu’on ressent lorsqu’ils sont en scène, ce « plaisir à donner du plaisir », à travers un répertoire qui aurait plu à un certain Robert Crumb… C’est beau, inspiré et délicat. – Marcel Bénédit


Les Todalos

Vol 1 – Liquor & Drugs

Vol 2 – Water & Dust

No Jug Records 2021/2022

« Avec nous, c’est le retour de l’aventure hillbilly blues, la bourrasque punky folk, le grand funk des labours, l’opéra champêtre en riffs de sueurs froides et accords humides plaqués sous les aisselles… », dixit les deux protagonistes d’un « duo à quatre » qui sort son deuxième album en l’espace de quelques mois et que je soupçonne d’avoir déjà posé leurs morceaux pour l’anthologie de quatre volumes à paraître… Du Ragtime au Dixieland, de King Oliver à Jelly Roll Morton en passant visiter leurs vieux démons tel Tommy Johnson (Slidin’ Delta) jusqu’au Hill Country de Burnside (Poor Boy, Long Ways From Home), les Todalos osent. Parce que sortir un disque qui brûle les planches, la terre, des vieux cabarets/jukes noir-américains dans l’ère des auto-tunes et téléchargements anonymes, fallait le faire… Rendre hommage aux pères fondateurs dont presque plus personne n’a vraiment rien à foutre, idem. Mais n’ais pas peur, même la première fois, ça ne fait pas mal ! Parce qu’ils font ça avec amour, tendresse et générosité. Tellement qu’ils en oublient d’indiquer quelques sources comme cette belle photo qui fait la couverture du premier volume  « Liquor & Drugs », (Washington, D.C., vers 1920. « Personnages », c’est tout ce qui est écrit sur l’étiquette de ce négatif sur verre de National Photo. Annotation de la Library of Congress.), joliment spoliée. Mais qui ira chercher çà aujourd’hui ? Comme cette deuxième pochette illustrant un « Water & Dust » qui provient d’un montage dont l’origine se perd dans quelques jukes poussiéreux. Les Todalos, plus medecine-men que troubadours, ne se prennent surtout pas au sérieux, la seule chose qui le soit ici c’est bien leur musique… Leurs musiques ? Sur ce second volume, tout démarre avec une reprise d’un titre de Blind Willie Johnson (que reprendra aussi Mance Liscomb) joué en slide comme il se doit, mais qui se rapproche terriblement d’un style mis au jour par Fred McDowell. Déjà beaucoup moins connu est ce titre, You Can’t Get Enough of That Stuff, interprété à l’origine par The Hokum Boys et remis au goût du jour pas nos deux lurons (accompagnés par Manu Quinn aux harmos et Tafani aux percus) qui, sous pseudos à peine déguisés, lui redonne du coffre (j’aime beaucoup aussi la version de Blind Blake). Suit un High Water Everywhere de Charley Patton customisé rock. Et tout l’album est à l’avenant, de l’obscur Singing in the Bathtub (morceau écrit en 1929 pour le film « The Show Of Shows ») au Devil Got My Woman aujourd’hui considéré comme faisant partie du patrimoine mondial. Leurs façons de reprendre à leur compte des traditionnels fait simplement chaud au cœur et, dans cet espace temps où la médiocrité fait abondance, tomber sur une galette aussi fraîche fait un bien fou. Bah tu vois ? Je papote, je papote, mais le disque est déjà fini. Je ne me suis pas levé pour passer à autre chose et je regrette même qu’il n’y ait pas de bonus. C’est un très bon signe. Juste un truc les gars, pourquoi ne pas mettre l’origine des morceaux que vous reprenez, ça coûte pas grand chose et ça fera plaisir à Madame ? Merci à vous, j’ai passé un très agréable moment. – Patrick Derrien


Red Beans & Pepper Sauce

7

Crossroads / Socadisc

Voici le septième album du quintet de Montpellier, d’où son titre ! Le groupe est composé du guitariste et compositeur Laurent Galichon, Serge Auzier est aux claviers, Pierre Cordier à la basse, Niko Sarran à la batterie, Philippe Anicaux et Mathias Imbert aux cuivres et cordes. Ces musiciens d’expérience sont galvanisés par la voix d’exception de la chanteuse Jessyka Aké, et il y a de quoi. Leurs influences viennent en partie des répertoires de Deep Purple et de Led Zeppelin. Ils sortent leurs premiers disques en 2010 et 2012 et seront récompensés en 2013 par leur victoire au Tremplin du Cahors Blues Festival. Cette nouvelle livraison comporte deux cd. Le premier, avec huit titres, a été enregistré au Rythm Design Studio de Montpellier. Dans ces morceaux, on retrouve bien les influences des deux groupes de rock précédemment cités, et la session se termine par une superbe ballade avec la belle voix de Jessyka Aké. Pour le second cd, le groupe a fait le voyage au Pays de Galles, dans une ferme où se trouve le légendaire Rockfield Studio qui a vu passer Queen, Oasis, Coldplay ou Black Sabbath… Dans ce lieu mythique, les Red Beans ont enregistré trois morceaux live dont Rock and Roll, une version très originale du célèbre morceau de Robert Plant. Pour terminer ce voyage, Sugar, écrit par Laurent Galichon, est une superbe ballade country-rock. Ces nouveaux enregistrements confirment donc que Red Beans & Pepper Sauce est l’une des formations majeures de blues-rock de l‘Hexagone. – Robert Moutet


Blues Eaters

Thunderbolt

Autoproduction

Quatrième album studio pour ce quartet fondé en juillet 2008 à Grande Synthe près de Dunkerke avec Norman Rosaia (chant, gt, hca), Jonathan Nosalik (gt), Amédée Flament (bs) et Sébastien Courti (dms). Ils ont été lauréats du prix Cognac Blues Passions 2010. Un nouveau bassiste (Hervé Parent) ne change ni leur cohésion ni leur répertoire jump & swing blues inspiré en particulier par T. Bone Walker. On distingue aussi une influence jazz, entre autre dans les deux faces qui démarrent la séance, Thunderbolt et Flipped Out. Le groupe a composé les dix titres dont l’excellent Mixed Up Kid, bien enlevé, avec une belle partie d’harmonica de Rosaia. À noter encore No Need For A Sin qui démarre en slow puis développe un Texas shuffle du plus bel effet, sans oublier Fatal Dilemma à la slide et son cachet Chicago blues, ni Fading To Dark, un slow blues prenant. – Robert Sacré


Baby Boy Warren

Blues From Detroit 1949-1954
Plus Bonus Blues Session The Complete L.C. Green

Jasmine Records JASMCD3196 – www.jasmine-records.co.uk

Bien que né en Louisiane en août 1919 à Lake Providence, Robert Henry ‘Baby Boy’ Warren a grandi et fait son éducation musicale à Memphis où la famille nombreuse (huit enfants) s’installa en novembre 1919. Orphelin de père début 1920, il fut élevé par sa mère et sa sœur Hattie. Ses deux frères aînés, Jack et Willie, étaient de bons guitaristes qui allaient jouer dans Church’s Park dans Beale Street. Le petit Robert Henry apprit ainsi très vite à jouer de la guitare. Le guitariste nain, Little Buddy Doyle, fut une grande figure pour lui, « I got my style from him. I admired him so much », dit-il à Mike Leadbitter. Sûr de son talent, il se rendait régulièrement en train à Helena, Marianna, Hughes, trois villes de l’Arkansas. Là, il jouait, pour quelque dollar, avec Sonny Boy Williamson (Rice Miller), Howlin’ Wolf, Robert Lockwood Jr., Johnny Shines, Peck Curtis, Willie Love et Calvin Frazier q’ile retrouva à Detroit. Quel beau monde ! Curieusement, Baby Boy Warren n’alla jamais dans le Mississippi. C’est donc un bon et ambitieux chanteur-guitariste et parolier remarquable qui débarqua à Detroit en 1944. Là, il fut embauché par General Motors où il resta trente ans, tout en ayant une activité de musicien. Repéré par Idessa Malone, la patronne du label Staff, il grava pour elle huit remarquables chansons en 1949 et 1950, qui virent le jour au gré des magouilles du monde du disque sur Staff, Prize, Gotham, Federal et Swing Time, sous le pseudonyme de “Johnny Williams” pour ce dernier 78 tours. Tout aussi bon est le 78 tours Sampson 633, daté de 1952-1953, maison de disques créée par un proche d’Idessa Malone, Sam Taylor, propriétaire du Sam’s Record Shop dans Hasting Street. En 1954, Sonny Boy Williamson (Rice Miller) était de retour à Detroit en quête de concerts, de disques et d’argent. Très vite il joua avec Baby Boy Warren. En compagnie de Washboard Willie (wb/d), les deux hommes gravèrent deux superbes titres dans l’arrière-boutique de Joe Von Battle dans Hasting Street, Chicken et Baby Boy Blues (J.V.B. 59 et Drummond 3002). Cette même année 1954, Baby Boy Warren signa un contrat avec Al Benson et Parrot de Chicago. Un seul 78 tours, encore excellent, émergea avec Mattie Mae et Santa Fe, publié par la sous-marque de Parrot, Blue Lake. Son dernier disque, sur l’obscur label Drummond (Drummond 3003), toujours en 1954, résume bien la carrière de Baby Boy Warren avec Somebody Put Bad Luck On Me. Quand on le redécouvrit, au début des années 1970, il affirma avoir été escroqué et n’avoir jamais eu de chance. Les dix-huit faces de ces années 1950 de Baby Boy Warren sont disponibles sur ce cd. Mais sachez qu’elles existent sur le LP BBW901 de 1991, le coffret de quatre cds « Detroit Blues » (JSP7736), le cd Soul Jam Records 806192 ; en outre, l’indispensable coffret de trois cd « Downhome Blues – Detroit Special » (Wienerworld WNRCD 5095) doublonne avec quatorze titres. L’œuvre de Baby Boy Warren ne remplissant pas un cd de 80 minutes, Jasmine a ajouté dix chansons d’un autre artiste de la scène de Detroit, le très peu connu mais remarquable chanteur-guitariste L.C. Green. Celui-ci naquit à Minter City, Mississippi, en 1921. Il souffrait d’un cruel handicap pour devenir un grand guitariste : il avait deux doigts de chaque main soudés. Après un bref séjour à Memphis, L.C. Green rejoignit Pontiac, Michigan. Il se produisit alors dans les house parties et divers bars de cette ville et de Detroit. Un soir, une femme l’aborda dans un bar (probablement Idessa Malone). Elle l’envoya à Gallatin, Tennessee, avec l’harmoniciste Walter Mitchell. Il enregistra six excellentes chansons que la firme de disques Dot Records publia. Dans la journée il travaillait dans le bâtiment, le soir il jouait de la guitare et chantait le blues pour ses amis et voisins. En plus de ses trois disques Dot, Jasmine a ajouté quatre chansons que George Paulus avait publiées sur l’album « Blues Guitar Killers Detroit 1950’s » (Barrelhouse BH 012). En outre, sept de ces dix faces apparaissaient sur le coffret Wienerworld cité plus haut. Voici un cd d’authentique downhome blues indispensable en fonction de votre discothèque. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

20 Classic Blues Songs from the 1920’s, vol.20

Blues Images BIM-120 – www.bluesimages.com

Voici donc le vingtième album d’une série exceptionnelle combinant le calendrier 2023 richement illustré (comme d’habitude) et un CD avec des faces restaurées de main de maître à partir des 78 tours originaux, ainsi que des alternate takes et autres faces inédites ou retrouvées alors qu’on les croyait perdues à jamais, tant des périodes pre-war que post-war (1). C’est encore le cas cette fois, mais avec une triste note interne du boss John Tefteller signalant que – vu les coûts de production et de distribution en très forte hausse, mais aussi du desintérêt croissant des gens pour les calendriers papier à accrorcher au mur et même pour les CD en général – cette 20è édition sera la dernière. C’est une très mauvaise nouvelle pour les collectionneurs, mais on peut comprendre vu la situation actuelle ! Merci Monsieur Tefteller et bravo à vous et à vos collaborateurs, cette série restera une référence dans les annales du Blues, comme la meilleure façon de se lancer dans la réédition des chefs-d’oeuvre de ce style musical. Bien sûr, le calendrier 2023 tient ses promesses avec une foule d’illustrations et de photos souvent étonnantes et rares, voire inédites. Quant au CD, il nous fait découvrir, au sens premier du terme, des faces comme Ain’t Gonne Worry My Life Any More, un inédit de Memphis Willie Borum (1934, New York), deux faces inédites d’Irene Scruggs avec Little Brother Montgomery : St. Louis Woman tk 1 & 2 (label Paramount, Grafton, 1930), deux faces d’Edith Norton pour un 78 tours Paramount disparu des radars et retrouvé par Tefteller (Beat You Doing Itet Whispering To My Man [Grafton, 1929], un Mr Charlie inédit gravé à Chicago en 1949 par Pete Franklin et quatre faces inédites de Playboy Fuller gravées à Detroit en 1953 : Gonna Play My Guitar, Freight Train In The Morning, Sugar Cane Highway et Going Back to Mobile ! Dix faces qui sont la cerise sur un gâteau qui comprend quinze autres trésors en versions épurées et splendides de classiques intemporels comme Run, Mollie, Run (Papa Charlie Jackson, Chicago 1927), Shipwreck Blues (Bessie Smith, New York 1931), Balky Mule Blues (Blind Lemon Jefferson, Chicago 1928), Big Boy Blues (Ma Rainey, Chicago 1927), Poor Me (Charley Patton, New York 1934) et encore Blind Blake, Joshua White, Ida Cox, Papa Charlie Jackson, Texas Alexander, Frank Stokes, Funny Paper Smith, Scrapper Blackwell et, pour faire bonne mesure, une autre curiosité avec Brother Fullbosom et deux faces de 1931 : A Sermon On A Silver Dollar et Moses Go Down To Pharaoland. Un régal de bout en bout. – Robert Sacré

Note (1) : le CD du volume 1 (2004) est épuisé (pas le calendrier), mais les volumes 2 à 20 sont encore disponibles via www.bluesimages.com et info@bluesimages.com – Des questions à John Tefteller ? : john@tefteller.com


Jimmy Reed

You’re Gonna Need My Help 1953-1962

Jasmine Records JASMCD 3253 – www.jasmine-records.co.uk

J’ai une grande admiration pour Jimmy Reed. Voilà un musicien qui ne savait ni lire, ni écrire et qui fut le plus souvent dans les Charts de tous les bluesmen de Chicago, et ses compositions (majoritairement avec sa femme Mama Reed) furent reprises par des centaines d’artistes à travers le monde. Il y avait un son, un style Jimmy Reed qui paraissait simple, mais bien difficile à imiter : diction imparfaite, harmonica trainant et morceaux se ressemblant, malgré le soutien efficace d’Eddie Taylor. Ce CD reprend 28 faces d’origine VJ en évitant les plus connues maintes fois rééditées. Toutes sont excellentes : You Upset My Mind, I Ain’t Got You, Sugar, Sugar, ou The Moon Is Rising, et méritent de ne pas tomber dans l’oubli. Il y a une petite erreur dans la liste des morceaux : à la place de You’n’that Sack, on trouve Goin’ to New York, ce qui n’est pas plus mal. Les passionnés ont sûrement l’intégrale VJ avec le coffret de 6 CD Charly Red Box 9, mais pour ceux qui n’ont pas ce bel objet, le présent cd est tout à fait conseillé. Je n’avais pas écouté ces titres depuis pas mal de temps et j’y ai pris un grand plaisir. – Marin Poumérol


Dakota Staton

All In My Mind
A Singles Collection 1954-1962

Jasmine Records JAZZMCD 2748 – www.jasmine-records.co.uk

Jasmine a misé sur une valeur sûre. Pas de musiciens méconnus ou oubliés. Dakota est une vraie chanteuse, douée d’une voix très agréable, aussi à l’aise dans le répertoire de Broadway que dans le Blues. Attention, ce n’est pas vraiment Memphis Minnie… Mais ce n’est pas grave tant que la musique est bonne (air connu) et tant qu’on ne s’éloigne pas trop de l’esprit du Blues. Je dis bien l’esprit et non la lettre. Dakota a connu une double carrière, chanteuse de Rhythm and Blues d’une part et d’autre part chanteuse de jazz. Elle a réussi dans les deux cas. Elle n’a que 22 ans quand elle enregistre son premier disque et c’est déjà la classe ! Tout est déjà là : le swing, la technique, le feeling, la gouaille… En 1957, elle est sollicitée par le boss de Capitol qui lui propose d’enregistrer un LP. Après avoir hésité car elle craignait de surprendre et de décevoir son public habituel amateur de R&B, elle se laisse convaincre. Capitol fait appel à un arrangeur talentueux et à des sidemen du meilleur niveau, du gabarit de Hank Jones au piano et Jonah Jones à la trompette. Il en résulte un disque très réussi qui marque un tournant majeur. Il obtient une 4ème place dans Billboard et demeurera, au fil des années, un vrai classique du chant jazz. Elle a alors 25 ans. Elle a toujours bénéficié d’un accompagnement d’orchestres très professionnels. Les cordes ne sont, en définitive, pas omniprésentes. Round Midnight par exemple est superbe. Confessin’ the Blues ou My Babe particulièrement dynamiques sont dans le sillage de Dinah Washington. In The Dark est une petite merveille qui soutient la comparaison avec la version originale de Lil Green. J’ai aimé ce CD parce qu’il offre un panorama de la musique africaine américaine. Certes aujourd’hui on ne trouve pas beaucoup de « grandes voix » et pour certains la musique de Dakota appartient à une époque révolue. Bien sûr on ne rencontre pas de jazz women de la taille des Bessie, Ella ou Billie. Mais les chanteuses de qualité, capables de s’approprier ce swing si particulier souvent marqué par des ballades « historiques » sont bien là. Aujourd’hui nombre de chanteuses, dans des petits bars à musique, des cabarets, ou des grands festivals, offrent une musique bien vivante qui nous charmera, je l’espère, longtemps. Je voudrais conclure cette brève chronique en donnant la parole à Dakota ; lors d’une interview pour le Boston Globe, elle déclarait : « Il n’y a rien dans ce que je chante qu’il n’y ait pas le blues quelque part ». Tout est dit. – André Fanelli


Ray Charles

The ABC Paramount Years 1959-1962 (4 CDs, livret 20 pages)

Frémeaux & Associés FA 5829 – www.fremeaux.com

En 1959, Ray Charles est une grande vedette dans son pays (et en Europe) grâce à Atlantic Records, avec son R&B boosté au gospel, ce qui lui a valu nombre de critiques des congrégations religieuses. Il les a balayées d’un revers de main et ne s’en est pas plus mal porté. Maintenant il vise un public encore plus large, les gens plus âgés et en particulier un public blanc, c’est pourquoi il accepte de rejoindre ABC Paramount Records pour interpréter des standards de la musique populaire de l’époque, souvent issus des comédies musicales de Broadway. Nouvelle levée de bouclier de ses fans de R&B cette fois qui crient à la trahison, mais nouveau revers de la main du Genius qui ne veut pas se cantonner à un seul style musical. Il perd des fans (qui reviendront) mais il en gagne des dizaines de milliers d’autres, voire plus. Cette anthologie permet de faire le point et de constater que non seulement Ray Charles a continué à graver du R&B en parallèle de la production de standards où, en sus, il y a quand même des perles et des joyaux non négligeables. Voyons ce qu’il en est. Pour suivre l’ordre strictement chronologique, le CD1 commence avec trois titres de l’album « Ray Charles Greatest Hits » – ABC(S)415 gravé à Hollywood le 29.12.1959 avec les fidèles (Hank Crawford, David Fathead Newman…) dont deux avec les Raelets, Who You Gonna Loveet surtout My Baby (I Love Her, Yes I Do) où la géniale Margie Hendrix y va d’un solo d’enfer ! Puis on passe à l’album « The Genius Hit The Road » (ABC335, New York, 1960) avec un tube absolu, Georgia On My Mind, suivi de trois faces sirupeuses avec cordes qui ont mal vieilli, avant que Charles en revienne à ses accompagnateurs jazz pour onze faces superbes, sans cordes, comme Chattanooga Choo Choo, Basin Street, Mississippi Mud ou Carry Me Back to Old Virginy(avec les Raelets) et trois faces d’ABC 415 (« Greatest Hits »), des blues comme I Wonder de Cecil Gant et Sticks And Stones (Titus Turner) avec les Raelets et Margie Hendrix en pleine forme avec, en prime, le Worried Life Bluesde Big Maceo dans une version de toute beauté. Le CD 1 se termine avec six faces sans âmes, avec cordes, d’août 1960 (album « Dedicated To You », ABC355). Le CD2 commence avec les six autres faces de ABC355 mais, miracle, Ray Charles a refait appel à ses jazzmen (Crawford, Phil Guilbeau, Shelly Manne…) et cela swingue ferme à nouveau avec l’hommage à Margie (Charles et Hendrix sont en couple à l’époque), Sweet Georgia Brown, Rosetta, Josephine… Puis ce sera « rien que du bonheur » avec l’album « Genius+Soul=Jazz » (Impulse A2, décembre1960), un chef-d’œuvre absolu, un fleuron de toute sa discographie. Ray Charles y est à l’orgue Hammond avec un All Stars de jazz (Al Grey, P. Guilbeau, Clark Terry, Joe Newman, Freddie Greene, Sonny Payne…). On vibre tout au long des sept instrumentaux (Moanin, Mister C, Let’s Go, One Mint Julet avec un court vocal, The Birth Of The Blues) et des faces chantées avec gusto, deux blues, I’ve Got News For You et I’m Gonna Move To The Outskirts of Town. Le CD2 se termine avec cinq faces décevantes de l’album « Ray Charles & Betty Carter » (ABC385, Hollywood, juin 1961) sans cordes mais avec une chorale blanche, insipide et dépourvue de swing, c’est mièvre et sirupeux. Heureusement, les sept autres faces du même album qui démarrent le CD3 ont été enregistrées le lendemain avec l’orchestre de jazz et sont plus musclées, entre autres un Side By Side uptempo mais, globalement, la voix de Carter ne fait pas le poids. On se console avec d’autres titres de ABC 415 (« Greatest Hits ») les intemporels Unchain My Heart, Hit The Road Jack, The Danger Zone et But On The Other Hand Baby. Et on passe aux albums les plus controversés : « Modern Sounds in Country & Western Music » 1 (ABC410) et 2 (ABC435), de 1962. Les critiques des amateurs de R&B ont été virulentes, mais le temps a passé, c’était beaucoup de bruit pour rien. Il faut reconnaitre que c’était de la belle ouvrage, professionnelle, que le timbre de voix unique de Ray Charles n’est pas du tout C&W ni son jeu de piano (et d’orgue) toujours envoûtant et aussi qu’il y a quelques perles dans ces albums. Le CD3 se conclut sur huit faces de février 1962 dont une seule avec les Raelets, Bye Bye Love. Il y a aussi Careless LoveHide Nor Hair et cela swingue ferme, car c’est l’orchestre de jazz qui est présent. Par contre, le CD4 commence avec six faces de ABC 410 avec cordes et chorale blanche, mais dont ressortent les superbes I Can’t Stop Loving You et Born To Lose qui eurent un retentissement mondial. Suivent douze faces de ABC435 (septembre 1962) sans cordes, dont You Are My Sunshine de Jimmie Davis en version endiablée avec les Raelets et M. Hendrix dans un solo d’anthologie et Your Cheating Heart. Pour clôturer l’ensemble, on a ajouté des alternate takes de deux blues avec les Raelets : I Wonder (slow blues) et Unchain My Heart (en medium), ainsi qu’un titre paraissant pour la toute première fois en CD, Going To The River (Los Angeles, mai 1951), un alternate take de Misery In My Heart avec un all star de jazz (Eddie Lang, Stanley Turrentine…). La saga est loin d’être terminée… – Robert Sacré


Blind Willie McTell

The Syncopated Country Blues Of

Jasmine Records JASMCD – www.jasmine-records.co.uk

Si on veut se pencher sur la discographie de Blind Willie McTell, le nombre de compilations dédiées à cet artiste sont pléthore et il n’est pas toujours facile d’y voir clair, car souvent ces dernières ont paru en dépit du bon sens. Plus difficile est de retracer un bout de sa vie. Son enfance, il ne la regarde que d’un oeil avant de perdre définitivement la vue quelques années après sa naissance que l’on situe entre 1898 et 1903. McTell est né un 5 mai à Thomson, l’année exacte reste à définir, tout comme ses véritables nom et prénom. Si d’aucun le nomment Samuel, Eddie ou Willie, ses patronymes lors de ses enregistrements jettent eux aussi le trouble, même si au bout du compte sa renommée se fera sous le nom de Blind Willie McTell. Aveugle comme son nom l’indique, c’est sa mère qui lui donne ses premiers accords de guitare, aidé par quelques voisins de Statesboro (Georgie) où sa famille avait fini par s’installer. L’homme ne désarme pas pour autant et se met à fréquenter des écoles pour aveugles dans lesquelles il apprend le braille, ce qui, dans le circuit du blues dévolu
presque uniquement à des personnes analphabètes, fait office d’exception. Blind Willie McTell était un battant confronté à un handicap physique auquel se rajoutaient les inégalités sociales, lui donnant cette confiance en lui pour faire face à un quotidien très difficile. Né du côté de Thompson, à cheval sur un XIXe siècle qui se finissait et un Axe qui débutait, de son enfance on ne sait presque rien (voir les travaux de recherche de David Evans). À la mort de sa mère, il prend sa destinée en main, décide de devenir professionnel et itinérant, jouant dans des cabarets, fêtes de fraternités universitaires, halls d’hôtels, théâtres de vaudeville, églises et tous lieux qui pouvaient lui rapporter quelques pièces pour remplir sa gamelle. Entre les années 20 et 30, il a déjà parcouru un long chemin qui l’a mené d’Atlanta à Mâcon en passant par Savannah, Augusta et d’autres villes de Georgie ou son style musical prendra naissance et cultivera ses racines, troquant dans cette période sa six cordes contre une douze cordes qui donnait beaucoup plus d’amplitude et de volume au musicien quand
il devait jouer dans la rue. À cette époque, les labels commençaient à lorgner sérieusement vers ces hommes qui jouaient seuls le folk blues ; Blind Lemon Jefferson (Texas), Tommy Johnson ou Charley Patton (Mississippi), Peg Leg Howell (Georgie), Sam Collins (Louisiane), Blind Blake (Floride) étaient déjà passé à la presse, et c’est donc en toute logique que Blind Willie McTell entre en studio pour Victor en 1927 et y grave Stole Rider Blues et Mr. McTell Got The Blues (sur une six cordes), avant une seconde session toujours sur une six cordes. Puis il enregistrera l’un de ses plus beaux succès, Statesboro Blues (dont une partie de la mélodie
et des paroles fut « empruntée » à Up The Country Blues (1923) de Sippie Wallace, en 1928 sur une douze cordes et toujours pour Victor. L’époque se veut roublarde aussi et, pour contrecarrer certains accords contractuels avec son label, McTell s’invente des noms : Blind Willie pour Vocalion, Georgia Bill pour OKeh, Red Hot Willie Glaze pour Bluebird, Blind Sammie pour Columbia, Barrel House Sammy pour Atlantic, Pig ‘n’ Whistle Red pour Regal Records (ce dernier nom provenant d’un restaurant de barbecue populaire d’Atlanta où il jouait pour des pourboires…). Toute la musique de McTell fait preuve d’une puissance extraordinaire, tel morceau étant un ragtime délicieusement rauque, tel autre évoquant les côtés plus sombres et solitaires du blues, mais tous présentant un travail de guitare d’une richesse harmonique étonnante. McTell était également un adepte de la guitare slide, ce qui est inhabituel chez les bluesmen de ragtime, qu’il accompagnait par la douceur de sa voix qui pouvait aussi prendre des intonations beaucoup plus rudes, se rapprochant alors des bluesmen du Delta. En 1940, il a été enregistré par le folkloriste John A. Lomax et Ruby Terrill Lomax pour les archives de chansons populaires de la Bibliothèque du Congrès. Lorsque les Lomax, John et sa femme Ruby ont découvert McTell en 1940, il jouait dans un bar à côtes d’Atlanta, le Pig ‘n Whistle. Il semble qu’il s’agissait d’un lieu de passage fréquent pour McTell. Ils ont pris rendez-vous pour enregistrer McTell le lendemain. Willie a respecté le rendez-vous, parlant et chantant sans relâche pendant deux heures. Les sessions de 1940 sont restées inédites pendant de nombreuses années. Le seul indice permettant de comprendre pourquoi est fourni par Jim Powers dans le magazine Contemporary Musicians. Il dit que Lomax n’aimait pas le style de McTell (sic). Actif dans les années 1940 et 1950, il jouait dans les rues d’Atlanta, souvent avec son associé de longue date, Curley Weaver (1906-1962), né à Covington en Georgie, Il s’installe à Atlanta en 1925 où il travaille comme ouvrier et musicien de rue avant d’enregistrer en 1928 pour Columbia et d’autres labels les années suivantes. Il accompagne McTell ainsi que Buddy Moss, Fred McMullen ou Barbecue Bob. Ahmet Ertegun s’est rendu à Atlanta en 1949 à la recherche d’artistes de blues pour ce nouveau label Atlantic Records et après avoir trouvé McTell jouant dans la rue, il a organisé une séance d’enregistrement : « Je me promenais dans les rues du quartier noir d’Atlanta et il y avait cet aveugle, vous savez, avec une guitare qui
chantait au coin de la rue avec une tasse, vous savez, et qui chantait une sorte de gospel. Et je me suis arrêté pour l’écouter. Et il ressemblait un peu à ce que je me rappelais être le son de McTell. Mais je n’étais pas sûr. Alors j’ai dit “Avez-vous déjà entendu parler de Blind Willie McTell ?” à l’homme. Et il a dit, “Aw’, Je suis Blind Willie McTell » ». Certaines des chansons ont été publiées sur 78 tours, mais se sont mal vendues. La session complète a été publiée en 1972 sous le titre « Atlanta Twelve-String ». McTell a enregistré pour Regal Records en 1949 aussi, mais ces enregistrements ont également rencontré moins de succès commercial que ses travaux précédents. Il continue à se produire dans les environs d’Atlanta mais sa carrière est écourtée par une mauvaise santé, principalement due au diabète et à l’alcoolisme. En 1956, le gérant d’un magasin de disques d’Atlanta, Edward Rhodes, découvrant que McTell joue dans la rue pour des pièces de monnaie, l’attire dans son magasin avec une bouteille d’alcool de maïs et enregistre quelques dernières prestations sur un magnétophone. Ces enregistrements ont été publiés à titre posthume par Prestige/Bluesville Records sous le titre « Last Session ». À partir de 1957, McTell deviendra prédicateur à l’église baptiste Mt. Zion à Atlanta jusqu’à sa mort survenue en 1959. Le disque qui nous préoccupe ici regroupe les sessions d’Atlantic et de Regal réalisés en 1949, bien que bon nombre de ces faces ne soient pas sorties avant le renouveau du blues de la fin des années 60 et du début des années 70, soit une vingtaine d’années plus tard. Le titre qui donne son nom à cette compilation fait référence au Piedmont blues, un registre musical qui connut son heure de gloire dans les années 30 avec notamment les enregistrements de Josh White et de Blind Boy Fuller. De ces 26 pistes offertes, Neil Slaven incorpore en ouverture Broke-Down Engine Blues, un titre signé par un certain Barrelhouse Sammy et déjà toute la dextérité et toute l’expression poignante et expressive du futur Blind Willie McTell qui – sur sa douze cordes, savait méler Rag, Piedmont et Deep blues (que reprendront John Hammond et Bob DYLAN dans l’album « World Gone Wrong ») – sont présentes. La voix douce et parfois rugueuse qu’il pose
sur Dying Crapshooter’s Blues enchante immédiatement et donne le ton d’un disque imprégné d’influences diverses que lui seul est capable de mêler. Son jeu de guitare révèle parfois l’influence hawaïenne de Savannah Shepard quand il s’exprime en slide comme sur River Jordan, titre a mi parcours entre Spiritual et
Holly blues. Apprécions aussi sa raillerie et son jeu de guitare sur Pinetop’s Boogie Woogie qui nous montre que Blind Willie McTell ne savait pas se tenir à un seul style. Pal Of Mine, enregistré en mai 1950 s’inspire davantage d’un son des Appalaches dans lequel une ballade Hillbilly se serait incrustée. 26 pistes
donc qui se divisent en sept titres chez Atlantic, six qui découlent de trois singles Regal et d’une douzaine d’autres provenant d’une compilation éditée par Biograph (principalement des faces prises chez Regal).
C’est une musique terriblement moderne et haute en couleur que nous donne à écouter le label Jasmine, permettant aux curieux, néophytes et amateurs d’apprécier  un artiste qui n’aura pas profité du revival blues, mais aura marqué de son empreinte avant-gardiste les générations futures de musiciens folk et
rock qui, de Bob Dylan à Mick Taylor, de Southside Johnny & Little Steven au Dream Syndicate, en passant par The Allman Brothers Band, se sont tous un jour pris au jeu délicat de celui qu’on ne finit pas de re-découvrir aux fils des parutions. Superbe ! – Patrick Derrien

Sources :
• Pour tout amateur, je conseille fortement le documentaire « Georgia Blues : Blind Willie McTell »
qui va bien au-delà du simple chanteur en donnant à voir un exemple de ce que fut à un moment donné le développement de la musique noire, mais aussi de sa culture : web.archive.org
• David Evans : « Kate McTell – part 1 » – Blues Unlimited n°125 (juillet/août 1977).
• David Evans & Lawrence Cohn : « The Definitive Blind Willie McTell » – USA / Columbia CD 1994.
• David Evans : « Blind Willie McTell & Curley Weaver – Don’t Forget It – The Post War Years 1949 » – Document Records 2003.
• Robert M.W Dixon & John Godrich : « Blues & Gospel Records 1902-1943 » (1982).
• Michael Gray : « Hand Me My Travelin’ Shoes – In search Of Blind Willie McTell »
Chicago Review Press US (2009).
• Blind Willie McTell : « The Early Years (1927/1933) » – Yazoo 1989 – Liner notes by David Evans


Various Artists

Second Line Stomp New Orleans R’n’B Instrumentals 1947-1960

Jasmine Records JASMCD 3238 – www.jasmine-records.co.uk

Bonne idée de la part de Jasmine de réunir 31 instrumentaux de r’n’b gravés entre 1947 et 1960 sur divers labels ayant accueilli des valeureux musiciens de la Crescent City. Tous sont bien connus des amateurs à commencer par Dave Bartholomew (trois titres) qui ne fait qu’un avec l’orchestre de Fats Domino (deux titres) et ses glorieux solistes bien mis en vedette ici : le légendaire saxophoniste Lee Allen (six titres) et le non moins excellent Red Tyler (quatre titres). Autre leader moins connu mais tout aussi important, le pianiste Paul Gayten, assez mal réédité aujourd’hui, bénéficie de trois titres dont le superbe Nervous Boogie. Professor Longhair est présent avec trois titres de sa première période, mais que l’on peut trouver sur d’autres anthologies : Longhair Stomp, Professor Longhair Boogie et Longhair Blues Rhumba » (attention aux doublons !). D’autres pointures viennent compléter ce tableau, comme le bassiste Lloyd Lambert qui fut le boss de l’orchestre de Guitar Slim, et le guitariste Edgard Blanchard qui travailla avec Little Richard, Ray Charles et beaucoup d’autres ; le guitariste Roy Montrell est aussi présent avec un titre et aussi ce bon vieux Doctor John sous son vrai nom de Mack Rebennack dans un de ses premiers enregistrements. Tous ces grands musiciens nous concoctent une musique dynamique et swingante et typique de cette ville que nous aimons tant. Allez, suivez le cortège et formez cette second line ! – Marin Poumérol


Various Artists

Cajun Volume 2 – The Post War Years
Louisiane 1946-1962

Frémeaux et Associés FA5834 – www.fremeaux.com

Cela faisait longtemps que l’on attendait cette suite au volume 1 : « Cajun Louisiane 1928-1939 » (Frémeaux et Associés FA019) sorti en 1994 ! Mais tout vient à point à qui sait attendre. Prêts pour un voyage festif et haut en couleurs dans le sud-ouest de la Louisiane au pays des Cajuns ? Ce coffret de 2 cd avec un livret de 20 pages bien documenté dû à Jean Buzelin, vous y emmène et propose 52 faces des meilleurs représentants de la musique cajun et du swamp pop de cette période. La 2è Guerre Mondiale et l’arrêt des enregistrements (Petrillo Ban) avaient lourdement impacté l’industrie du disque en pays cajun. Columbia Records et RCA Records, qui étaient omniprésents sur ce marché, se désintéressèrent des musiques ethniques et laissèrent la place à toute une série de petites compagnies indépendantes qui reprirent le flambeau comme Folk Lyric et Goldband Records à Lake Charlers avec Eddie Shuler, Khoury’s et Lyric avec George Khoury et quelques autres. Le style cajun country des années 30 (influencé par le Western Swing venu du Texas), avec des violonistes virtuoses, fut relancé avec, en vedette, Harry Choates, le créateur de l’inoubliable Jolie Blonde(1947), une valse cajun qui deviendra l’hymne cajun par excellence (repris dans ce coffret avec 2 autres titres de Choates). D’autres violonistes eurent la faveur du public comme Chuck Guillory, Dewey Balfa, Vin Bruce, etc. (repris dans le CD1 :1946-1954). Puis ce fut au tour de l’accordéon de faire un retour en force grâce à Iry LeJeune (ici avec Love Bridge Waltz de1948, son plus grand succès et Teche Special en 1949, ouvrant la porte à une foule d’accordéonistes talentueux et populaires comme Amédée Bréaux, Lawrence Walker, Austin Pitre, Lee Sonnier, Nathan Abshire, Aldus Roger, Shuk Richard, Amar Devillier, Pee Wee Broussard et beaucoup d’autres, tous représentés dans le CD1 du coffret. En 1956, deux nouvelles compagnies se créèrent : Swallow Records à La Ville Platte (avec Floyd Soileau) et La Lousianne Records à Lafayette avec Carol J. Rachou qui, à elles deux, regroupèrent les musiciens confirmés mais aussi de nouveaux talents. Ainsi on retrouve sur le CD2 (1955-1962) le vétéran Nathan Abshire (acc.) et Little Yvonne Leblanc (vo) avec Mama Rosin (1957) très R&B (comme le Pine Grove Blues d’Abshire de 1949 en CD1), ainsi qu’Austin Pitre avec La Valse d’Opelousas, Aldus Roger avec Crowley Two-Step, Lawrence Walker et d’autres, sans oublier les nouveaux venus comme le guitariste Jimmy C. Newman avec l’extraordianire Rufus Thibodeaux (violon) dans Blue Darlin’ (1955), Bille Matte dans Parlez-vous l’Français ? (1961), Shirley et Alphee Bergeron dans J’ai Fait Mon Idee (1960) et, cerise sur le gâteau, Cleveland Crochet (violon), Jay Stutes (steel gt, vo), Shorty LeBlanc (acc.) dans le superbe Sugae Bee (1960) épicé au rock and roll et au zydeco ! Beaucoup d’autres personnalités apparaîtront encore dans les années suivantes, des accordéonistes comme Jo-El Sonnier, Robert Bertrand, Adam Hébert, Belton Richard, Joe Bonsall, Blackie Forestier, Camey Doucet, Wayne Toups, Zachary Richard et bien d’autres encore, sans oublier le guitariste D.L. Ménard, des violonistes comme Michael Doucet et son groupe Beausoleil, Marc Savoy et son épouse Ann (gt), etc.. Mais c’est une autre histoire, idéale pour le volume 3 de cette série ? On l’attendra patiemment. – Robert Sacré


Calvin Boze

If You Ever Had The Blues 1945-1952

Jasmine Records JASMCD 3239 – www.jasmine-records.co.uk

Jasmine nous invite à parcourir l’intégrale des éditions des productions du trompettiste et chanteur Calvin Boze qui officiait à l’ère du Jump Blues. Les disques de l’époque ne comportaient que deux faces… et deux morceaux. Aussitôt lus, aussitôt promis à la poubelle… Les 45 tours étaient des objets éphémères. Peu coûteux il vivaient un changement perpétuel. Des changements qui n’étaient que rarement significatifs. Comme certains auteurs de romans policiers des années 50, qu’ils soient américains ou français, bon nombre de musiciens et chanteurs n’hésitaient pas à emprunter sans complexe les œuvres de leurs confrères voire de conserver les musiques ou de ne modifier que les textes… Il faut dire qu’ils aspiraient souvent à des carrières locales fondées sur des productions solides mais aux ambitions limitées. Le 45 tours collait donc à cet univers musical. Son prix le rendait accessible au plus grand nombre. Prolifération d’artistes, pullulement des labels, reprises des hits pour en tirer le maximum, telle était la conséquence de cette époque très animée. Je me souviens de mon premier séjour à Chicago, il y a 50 ans… Maxwell Street vivait ses dernières années. Et çà et là, au long de cet immense marché aux puces, des paniers et des cartons de 45 tours, en vrac, la plupart sans pochette en attente d’un improbable achat, en prélude à la poubelle finale. Ce qui est devenu pièce de collection est désormais une des innombrables composantes des rebuts américains. Bon. Revenons un peu à ce CD surtout tourné vers les collectionneurs. La majorité des morceaux qui nous sont proposés est destinée à la danse ou aux juke-boxes. Proposé à un public communautaire, ce répertoire peut quelquefois dépasser cet usage et figurer dans les charts. Qu’en est-il de la compilation qui nous est soumise ? Elle propose le meilleur et le pire. Un simple exemple pour faire un sort au pire pour ne pas risquer d’être déprimé. Forever… Ah ! Forever… Un tel thème, un chant pareil… Cela m’évoque plus la triste mélopée du mammouth englué dans la tourbe que la piste de danse d’un club de la West Coast. Un contre-poison efficace vient heureusement nous requinquer. Le bon vieux blues par exemple. Old Man Blues, pourquoi pas ? Avec une jolie partie de guitare de Jesse Erving. Une réflexion au passage. Question son, le ténor se place certainement dans la lignée d’Illinois Jacquet et peut-être des émules d’Albert Ayler ou Archie Shep ! Tendez l’oreille vers le chorus de ténor dans Call Me. Cet inconnu se plait à malaxer les sons. Il nous rappelle que le Hard Bop ou le Free sont en majeure partie issus de l’exaspération des artistes afro-américains face à la prépondérance d’un jazz cool fleurant davantage la camomille que le bourbon ou d’une musique volontairement difficile à assimiler. Que dire de plus ? Ceux qui apprécient Louis Jordan seront particulièrement à l’aise. Cette musique semble concoctée pour eux. Calvin n’obtint qu’une seule distinction de Billboard en juin 1950. Une simple neuvième place dans les Charts. Mais il faut croire que ce n’était pas si mal puisque ce morceau sans doute porteur a été réédité en 1962. Quoi qu’on puisse penser, le jazz, sous ses formes marquées par le blues a connu des moments privilégiés. Cette musique répondait aux attentes de consommateurs désireux d’oublier les difficultés passées. N’oublions pas qu’il fut la musique de variétés durant des décennies. Il accompagnait mariages, remises de diplômes etc, etc. Calvin Boze répondait à cette aspiration. Ne regrettons pas que l’enthousiasme du grand public se soit porté surtout sur des formations commerciales. Des groupes blancs souvent de qualité musicale indéniable. Mais le déséquilibre démographique entre les communautés confinait les Noirs dans un marché étriqué. Imaginez un instant l’amertume des artistes créateurs africains-américains en voyant une de leurs compositions ou un élément de jeu faire un tabac sur le marché des covers… On se souvient bien sûr de la reprise du Ain’t That A Shame de Fats Domino par Pat Boone ou du Shake Rattle And Roll, chef-d’œuvre de Big Joe Turner, « exécuté » par Bill Haley, sans parler d’Elvis et ses innombrables disciples. Ne succombons pas à la mauvaise humeur et prenez ces morceaux pour ce qu’ils sont : une musique roborative et sympathique, mais parfois trop saccharinée. Comme on dit : « à vous de voir ». – André Fanelli


Rufus Beacham

My Baby And Me

Jasmine Records JASMCD 3250 – www.jasmine-records.co.uk

J’avoue n’avoir jamais entendu ce Rufus Beacham ni avoir vu son nom jusqu’à l’arrivée de ce CD ! Il s’agit d’un chanteur et pianiste très populaire en Floride au début des années 50. Il enregistra pour Sittin’in et Jax puis King Records et le label de Henry Stone Chart. Né en 1930, il enregistre pour la première fois en 1951 (Sittin’in 624) dans le style très en vogue de Charles Brown. Trois faces sont créditées à Ray Charles : Baby Let Me Hear You Call My Name, I Can’t Do It No More et Guitar Blues de 1952, et Rufus Beacham serait au piano : difficile à dire car Ray Charles serait lui aussi au piano (Sittin’ in 651). Par la suite, on retrouve Beacham dans des titres plus r’n’b accompagné par son propre orchestre ou par celui de Henry Glover chez King. Rufus Beacham reste néanmoins un « second couteau » qu’il est toutefois bon de ne pas oublier, comme le fait le label britannique. – Marin Poumérol


Various Artists

The Birth Of British Rock 1948-1962

Frémeaux et Associés FA 5832 (coffret 3 cd) – www.fremeaux.com

En l’abscence de la barrière des langues, il est logique que l’Angleterre ait résonné la première aux accents du Rock, d’abord avec des orchestres s’inspirant de Louis Jordan comme Ray Ellington et son jive en 1948 avec des faces déjantées, uptempo et hystértiques (5 Guys Named Moe, …), imité par d’autres (Ted Heath en 1952, Diana Decker en 1956…), en concurrence avec le Rockabilly de Tommy Steele, Shorty Mitchell ou Wee Willie Harris (dont le Rockin’ At The 2 I’s de 1957 flirte plaisamment avec le blues) et avec des skiffle groups comme celui de Ken Colyer ou Lonnie Donegan avec Chris Barber dont un Rock Island Line (1955) mi parlé-mi chanté survolté. Il y a des émules comme un débutant, Alexis Korner et son skiffle group qui, en 1957, sort un County Jail qui n’est pas skiffle mais bien déjà un country blues de belle facture. Alma Cogan donne une bonne version du I’m In Love Again (1956) de Fats Domino et Winifred Atwell se défonce dans un Jimmy Dorsey Boogie(1957) déjanté et d’anthologie. Quant aux Tunettes, en 1957, elle reprennent avec brio Whole Lotta Shakin’ Goin’ On à Big Maybelle. Le reste du CD 1 se partage entre du Rockabilly et du Rock à la Bill Haley avec Art Baxter & His Rock And Roll Sinners, Marty Wilde (le père de Kim Wilde) ou Terry Dane, un imitateur d’Elvis Presley, avec Start Movin’. Le CD2 donne la part belle à Cliff Richard, le “Elvis Anglais” : six faces avec les Drifters (1958, dont Move It, son premier grand succès, et 1959) et une face de 1960 où les Drifters ont pris leur nom définitif The Shadows, lesquels figurent sur le CD3 avec leur tube planétaire Apache. Vince Taylor est présent lui aussi avec trois faces (1958 et 1959) et sera repris dans le CD3 avec Big Blond Baby (France, Barclay, 1962). On notera encore Dickie Pride avec sa bonne version du Slippin’ And Slidin’ de Little Richard en 1959 et Lonnie Donegan avec son très connu Battle of New Orleans (1959). Outre les faces déjà citées, le CD3 donne la part du lion à un des meilleurs rockers Anglais, Billy Fury, avecdixfaces de 1960 et une de 1961. Mention à Screaming Lord Sutch et à sa version du Good Golly Miss Molly de Little Richard en 1961. Les Tornadoes sont là aussi avec un autre tube planétaire, Telstar (1962), et les deux derniers morceaux de ce volume sont à la gloire des Beatles à l’aube d’une carrière mondiale prestigieuse avec Love Me Do et P.S.I Love You (1962). Nostalgie… Nostalgie ! – Robert Sacré


Louis Armstrong

The Uncollected Singles 1955-1961

Jasmine Records JASMCD 2753 – www.jasmine-records.co.uk

De par son influence et son talent, Louis Armstrong est sans doute le plus connu et le plus important de tous les musiciens afro-américains. Ses enregistrements avec ses Hot Five ou Hot Seven de 1924 à 1928 doivent se trouver dans toute collection jazz et blues, mais ici c’est une autre histoire : ces morceaux issus de comédies musicales ou de film destinés au grand public sont plus proches de la « variété » gentillette et pas désagréable, mais ont assez mal vieilli. On peux même entendre Louis chanter en allemand, mais il est difficile d’écouter ces 25 titres sans bailler et je ne pense pas que des amateurs de blues puisse prendre leur pied en écoutant cette musique, mais on peut essayer, c’est quand même la trompette du grand Louis ! – Marin Poumérol


New Orleans, 100 Ans de Musiques

Eric Doidy et Lola Reynaerts

Le Mot et le Reste (2022), 264 pages, ISBN 978-2-38431-077-7

Dans une longue et intéressante introduction, Eric Doidy développe l’importance de La Nouvelle-Orléans dans l’histoire des musiques Africaines-Américaines et par extension celle de toutes les musiques populaires. Cette ville fut – et reste – un carrefour incontournable des cultures et un creuset de tous les styles musicaux, de la fin du XIXe siècle à nos jours, située idéalement sur le plan géographique : un port de mer sur le Golfe du Mexique ouvert au reste du monde, près du Deep South (Mississippi, Texas, …), près des Iles (Cuba, Caraïbes, Antilles, …), de l’ Amérique centrale et du sud, etc. Il y eut là-bas un brassage de talents, de musiciens et de créateurs à nul autre pareil. Les instrumentistes et vocalistes de NOLA et leurs hôtes ont été de tous les combats, ils ont participé à la naissance et au développement de tous les styles, le jazz, le blues, le R&B, le rock, la soul, le gospel, le zydeco, la musique cajun, le rap et le bounce (rap spécifique de NOLA), les chants hybrides des Mardi Gras Indians, le funk et toutes leurs variantes comme leurs satellites. Qui dit mieux ? Eric Doidy et Lola Reynaerts se sont réparti le travail, cette dernière assurant en sus les photographies en noir et blanc de l’introduction. Eric Doidy prévient que le foisonnement d’interprètes et d’enregistrements réalisés là-bas est tel que le choix et le traitement par les deux auteurs de 100 musicien(ne)s ou groupes avec, pour chacun(e), leur album emblématique, ne peut être que subjectif mais basé sur des critères objectifs tels que le retentissement médiatique et les échos flatteurs d’une critique unanime… C’est aussi une invitation aux découvertes. Ajoutons que les albums présentés ont tous un point commun : ils ne peuvent venir que de NOLA, ils en ont le cachet inimitable et n’auraient pu être réalisés ailleurs. La sélection suit l’ordre chronologique de parution des albums retenus, de 1955 (Papa Celestin : « Papa Celestin’s Golden Wedding » -Southland Records) à 2021 (Cha Wa : « My People » – Single Lock Records) en passant par toutes les icônes musicales de la Crecent City. Une fiche biographique succincte mais complète est suivie d’une analyse du disque choisi et son impact sur le show business. On ne peut citer tout le monde, mais on y retrouve évidemment des grands nom des marching bands et du jazz comme le Dejean’s Original Olympia Brass Band, Jelly Roll Morton, King Oliver, Louis Armstrong, Sidney Bechet, Kid Ory, Wynton et Ellis Marsalis, le Dirty Dozen Jazz Band, le Rebirth Jazz Band, Kid Thomas, Billie et DeeDee Pierce, etc. Blues et R&B/Soul sont bien présents avec, entre autres, Lonnie Johnson, Champion Jack Dupree, Snooks Eaglin, Professor Longhair, Guitar Slim, Cousin Joe, James Booker, Fats Domino, Little Richard, Aron Neville et les Neville Brothers, Dr. John, Irma Thomas, The Meters, Allen Toussaint, etc. Le Gospel est plus pauvrement à l’honneur, avec seulement Mahalia Jackson, Rev. Utah Smith, Rev. Charlie Jackson et Sister Gertrude Morgan, comme la musique cajun avec Bruce Daigrepont et Zachazy Richard ou le zydeco avec Clifton Chenier, Lynn August, Beau Jocque et Dwayne Dopsee. Les Mardi Gras Indians sont rondement menés par les Wild Tchoupitoulas, les Wild Magnolias, les Golden Eagles. Les auteurs mettent aussi en avant la génération montante, des artistes comme Trombone Shorty et Leyla McCalla, mais aussi Mia X, Big Freedia, Cha Wa, Coolbone, Crowbar ou Juvenile et Jon Batiste. Ce livre fera date par sa pertinence, son éclectisme dans le choix des artistes ainsi que dans le rôle essentiel joué par NOLA dans le développement de la musique populaire, toutes générations confondues. NOLA le valait bien ! – Robert Sacré


Ma Rainey, La Mère du Blues

Steven Jezo-Vannier

Le Mot et le Reste, 2022 ; 276 pages ; ISBN 978-2-38431n

Enfin une biographie en Français de la chanteuse Gertrude “Ma” Rainey, une icône du Blues Classique des années 20 et 30 avec Bessie Smith et beaucoup d’autres. La bibliographie compilée par l’auteur montre qu’elle fut le sujet d’articles dans la presse et magazines, mais aussi de portraits dans nombre de livres plus généralistes et qu’en Anglais ; Sandra Lieb est la seule auteure à lui avoir consacré un volume entier en 1981. On regrettera que ce livre-ci de 2022 ne mentionne pas « Ma Rainey’s Black Bottom », un film de George C. Wolfe sorti en 2020 et qui met en scène une très dynamique Viola Davis dans le rôle de Rainey, exigeante, directive et très déterminée lors d’une séance d’enregistrement dans les studios Paramount de Chicago en 1927. Ce film est basé lui-même sur un spectacle écrit par August Wilson en 1982. La vie et la carrière de Rainey sont décrites avec un luxe de détails assez impressionant, fruit d’une longue recherche dans tous les documents disponibles, mais il est dommage que l’auteur parte d’un postulat erroné : d’après lui, le Blues ne serait pas une affaire d’hommes et Gertrude Pridgett (“Ma” Rainey) aurait été la première à incarner cette musique et à en être La Mère, après 1906, avant les bluesmen du Mississippi. C’est faire l’impasse sur le fait que le blues rural était apparu dans le Sud des États-Unis dans les années 1880-1890 avec des bluesmen masculins très populaires dans leurs communautés rurales et ils y ont incarné le blues avant Ma Rainey. Toutefois, il est vrai que cette dernière a popularisé SON style urbain de blues dans les villes où elle s’est produite au long de sa carrière, y compris dans le Nord. Au début du XXe siècle, des caravanes de théâtres et cirques ambulants avec ménestrels, chanteuses noires et blanches issues du vaudeville et/ou des comédies musicales de Broadway et avec artistes de cirque, commencèrent à faire des tournées dans tout le Sud et là, Ma Rainey, Bessie Smith, Alberta Hunter et les autres chanteuses de ce qui deviendra le premier style urbain de blues – le Blues Classique – découvrirent le blues rural et décidèrent de l’adopter pour leur propre compte. Ces chanteuses se faisaient accompagner par un pianiste de jazz ou carrément par un orchestre de jazz ! L’auteur se contredit lui-même : ainsi page 34, « Gertrude découvre le blues », tiens donc ! Il était bel et bien incarné et inventé déjà par des bluesmen ruraux. Cela dit, la saga de Gertrude Pridgett est traitée correctement, de manière exhaustive. Tout y est, en détails, avec, d’abord, le chapitre En Scène (1888-1923) : sa naissance à Columbus en Georgie à une date controversée, entre 1882 et 1886, ses origines, sa famille, son enfance, son adolescence et son mariage avec William M. Rainey en 1904, sa passion naissante puis dévorante pour la musique et la danse, son entrée dans le show-business, au sein des célèbres Rabbit’s Foot Minstrels de Patrick Henry Chapelle en 1906, son parcours mouvementé, son combat féministe, son indépendance toute relative car elle vivait dans une société dominée par un racisme et une ségrégation féroces et, en tant que Noire, elle eut à subir ses lois, qu’elle le veuille ou non. On vit sa rencontre avec Bessie Smith qu’elle prit sous son aile puis la pupille qui égala – voire dépassa – son modèle. Bisexuelles toutes deux, elles eurent une relation amoureuse car Ma Rainey, malgré un physique que tous s’accordent à dire qu’il était plus qu’ingrat, remporta un succès fou tant auprès des femmes que des hommes et il en alla de même pour Bessie Smith (bien plus avenante) et bien d’autres. À noter qu’elles restèrent amies et très proches, sans jalousie réciproque, jusqu’à la mort accidentelle de Smith en septembre 1937 à Clarksdale, Mississippi. Le chapitre suivant – En Studio ; 1923-1928 – retrace la collaboration de Rainey avec Paramount Records et les enregistrements réalisés dans les strudios de Chicago, d’abord avec la pianiste Lovie Austin et ses Blue Serenaders (Freddy Keppard, …) en décembre 1923, puis au fil du temps The Pruitt Twins, Fletcher Henderson, Louis Armstrong (1924), Coleman Hawkins (1925), Kid Ory (1927) et des bluesmen comme Blind Blake (1926), Tampa Red/Thomas Dorsey (1928), Papa Charlie Jackson (1928). Curieusement, la collaboration de Dorsey avec Rainey commença en 1924 ; il était son pianiste (en concert), son chef d’orchestre, son compositeur et conseiller musical très écouté, mais il n’ira en studio avec la chanteuse qu’en 1928 la dernière année de Rainey avec Paramount, en ce compris neuf faces avec Tampa Red (gt) – avec lequel Dorsey enregistrera du Hokum Blues de la fin des années 20 au milieu des années 30 – quand, suite à la mort de son épouse en 1935 et de l’enfant qu’elle portait, Dorsey abandonna toute activité dans le Blues pour se consacrer au gospel traditionnel, dont il est le Père. Le dernier chapitre, De Retour Chez Soi (1928-1939), conclut la saga sous le signe de la Grande Dépression de 1929. Rainey travailla encore avec le cirque Wortham puis la Sugar Foot Green Company et autres groupes avant de se réinstaller dans sa ville natale en Georgie et y décéder en décembre 1939. Il était temps de rappeler sa prestigieuse carrière et ses exploits. – Robert Sacré


Jimi Hendrix en BD

Yazid Manou

Editions Petit à Petit (28/09/2022)

 

 

 

Kiss The Sky
Volume 1 : Jimi Hendrix 1942-1970

Jean-Michel Dupont (avec la contribution de), Mezzo (dessins, inker), Nick Kent (préface)

Centre National du Livre – Relié, illustré (19 octobre 2022)
ISBN 978-2-344-03023-3 – www.glenat.com

Parfois on pense tout connaître d’un artiste tellement son nom et sa musique font partie du décor musical. On ne fait plus vraiment attention et on lit, écoute toutes nouvelles sources comme un acquis. L’occasion fait le larron. Jimi Hendrix fait l’actualité de cet avant Noël avec sa vie en BD. Bien, si ce n’est certes pas la première fois que l’icône psyché-rock sert de fil conducteur à des docs plus ou moins bien rédigés, c’est la première fois qu’un collectif de dessinateurs – sous la houlette de Yazid Manou, celui que l’on considère comme l’un des experts de l’excentrique – se retrouve pour une aventure constituée de 27 chapitres (c’est le nombre de dessinateurs présents dans ce recueil), comme 27 années d’une vie trop courte mais intense. Jimi Hendrix restera pour tous celui qui marquera au fer rouge l’histoire de la musique rock (en trois albums) sur une durée de quatre ans à la fin des années soixante. Reprenant à son compte les mimiques scéniques d’un Charley Patton (punky avant l’heure) ou d’un T. Bone Walker, Jimi vivait sa musique comme si sa dernière heure était venue, comme un exorcisme d’une enfance laminée à la Dickens et sa soif désespérée de reconnaissance qui le feront passer par de multiples « mains » (Wilson Pickett, Ike Turner, Curtis Mayfield, Sam Cooke…) avant de marcher seul (bon, faudrait pas oublier l’apport de Mitch Mitchell et Noël Redding quand même !). Pas de demi-mesure, l’intensité était de prime, comme dans cette enfance chaotique faite de déménagements multiples au sein d’un couple dont l’alcool était un ciment et aussi à l’origine de disputes qui ne portaient pas à la quiétude que demande l’éducation d’un enfant. Évidemment, sa vie s’en ressentira, on ne vient pas de nulle part… De sa naissance jusqu’à sa disparition prématurée le 18 septembre 1970, Yazid Manou et ses acolytes nous narrent l’histoire d’un musicien incontournable dans le paysage rock et fait écho à une autre remarquable parution, « Kiss The Sky – Volume 1 : Jimi Hendrix 1942-1970 », par Jean Michel Dupont et illustré par Mezzo (auteurs du remarqué « Love in Vain » sur le musicien Robert Johnson). Au moment ou on fête les improbables 80 ans du chanteur (novembre), soyons sûrs qu’il aurait grandement apprécié de voir sa vie croquée sur planches, lui, l’amateur de cases dessinées, dont certaines des siennes sont exposées au Museum Of Pop Culture à Seattle. – Patrick Derrien