Chroniques #90

• L’actualité des disques, livres et films traitant de blues, soul, gospel, r’n’b, zydeco et autres musiques afro-américaines qui nous touchent, vue par ABS Magazine Online…

Galactic and Irma Thomas 

Audience With The Queen

Tchoup – Zilla Records TZR003CD

En 2010, l’excellent orchestre néo-orléanais Galactic et la “Soul Queen of New Orleans”, Irma Thomas, avaient enregistré une chanson – Heart Of Steel – pour l’album de Galactic « Ya–Ka-May » (Anti – 87002 – 2). Cette collaboration se déroula fort bien. Ainsi, Galactic décida d’enregistrer un disque complet avec la superbe chanteuse maintenant octogénaire à la voix toujours aussi forte et belle. Pour cela, le bassiste Robert Mercurio, le saxophoniste et harmoniciste Ben Ellman, le guitariste Jeff Raines, le batteur Stanton Moore et le joueur d’orgue Hammond Richard Vogel, ont composé huit chansons où se mêlent la soul néo-orléanaise la plus classique et le funk du XXe siècle. La reprise très gospel du tube Rhythm & Blues en 1964 de la chanteuse de jazz Nancy Wilson, How Glad I Am complète ce programme. « Audience With The Queen » est le résultat d’une collaboration fructueuse. Where I Belong, propulsé par les jeux de batterie de Stanton Moore et d’orgue de Richard Vogel auxquels s’ajoutent des cuivres pêchus, nous emmène vers les sommets dont nous ne redescendrons pas. Irma Thomas est impressionnante. Elle exprime sa passion de toute une vie pour le chant : « I guess I’m right where I belong / Still Doing my thing, singing my song / I still got a love affair with the sound of music in the air » et commente avec humour sa collaboration avec des musiciens beaucoup plus jeunes qu’elle : « I was in Paris drinking champagne / When you was in diapers and crying ». Love’s Gonna Find A Way Again, avec Ben Ellman qui a troqué son saxophone pour un harmonica, nous rappelle le grand Allen Toussaint. Lady Liberty, mélange d’Allen Toussaint et Staple Singers, a un fort message social : « The whole damn world’s on fire … Another Black man shot down last night, and they keep adding up ». En outre, ce titre bénéficie d’un remarquable solo de saxophone de Ben Ellman. Irma Thomas interprète la ballade style Memphis soul Puppet On My String avec flamme et intensité. Percussions pétillantes et basse grondante sont la marque de Peace In My Heart où le chant d’Irma Tomas fait merveille. « People tell me that all in good time / The world will be a better place / But maybe people have lost their damn mind » est le message d’un optimisme modéré que transmet People qui en outre fait une allusion à l’ouragan dévastateur Katrina dont Irma Thomas fut une victime directe (elle a perdu sa maison et son club en août 2005) : « The sound of hurricane’s washing on my doors ». La mélodie de cette chanson rappelle celle de Ride Your Poney de Lee Dorsey. Over You est un blues funk qui met bien en valeur la voix profonde d’Irma Thomas. La conclusion de ce disque, Be Your Lady, analyse les difficiles relations amoureuses. La chanteuse indique à un amoureux potentiel qu’elle peut être « mean as a rattlesnake and sweeter than sugarcane ». La symbiose entre Irma Thomas et Galactic est parfaite. Ce disque est formidable. – Gilbert Guyonnet


John Primer

Grown in Mississippi

Blues House Productions 2025

S’il a largement atteint l’âge de la retraite, John Primer est en pleine forme et on a même l’impression qu’il n’a jamais été aussi actif. Rendez-vous compte qu’il vient de sortir cinq cd sur les trois dernières années et qu’ils sont tous excellents ! L’ancien guitariste de Muddy Waters et de Magic Slim est devenu (à juste titre) l’une des personnalités les plus respectées dans le monde du blues, remportant de nombreuses récompenses et nominations. Récemment, il fut lauréat de deux Blues Music Awards en 2024 et encore deux en 2025. John Primer a fêté ses 80 ans lors d’un spectaculaire concert au Rosa’s Lounge à Chicago le samedi 8 mars 2025 (disponible sur YouTube en intégralité). Il est né en 1945 à Camden, Mississippi. Il y a grandi au rythme du blues avant de migrer à Chicago en 1963. Chaque chanson est un vibrant rappel à sa jeunesse. Cet album sonne alors comme un retour aux sources mais aussi comme un hommage à son État natal. Il a été enregistré, mixé et masterisé par Gary Vincent au Clarksdale Soundstage, produit par Michael Frank d’Earwig Music, coproduit par Steven Hausheer. L’enregistrement a été réalisé à différentes dates en 2023 et 2024. Il comprend 14 titres dont 7 originaux pour une durée totale de 55 minutes. John Primer n’y est pas accompagné par son groupe habituel “The Real Deal Blues Band” (même si on retrouve Steve Bell sur deux titres), mais par des musiciens estampillés « Mississippi », pour la plupart résidant à Clarksdale. Le disque commence avec John’s Blues Holler, un chant de travail d’une minute trente avec juste la voix de John et quelques percussions qui sonnent comme des chaines ; c’est un morceau magnifiquement réalisé et chargé d’émotion. Vient ensuite un titre autobiographique, Born in Mississippi, sur lequel John Primer est seul avec sa guitare électrique et son bottleneck ; ce morceau, dans le style d’Elmore James, est une grande réussite. On retrouve John seul avec sa guitare (et des percussions) sur le titre de clôture John Crawdad Song. Pour tous les autres titres de l’album, John Primer s’est entouré de personnalités marquantes du blues actuel dans le Mississippi. Nothin’ but a Chicken Wing sonne comme un hommage au Chitlin’ Circuit et à la soul food avec un Bobby Rush toujours formidable à l’harmonica malgré ses 91 ans ! On est bien dans l’ambiance du Mississippi, avec le poulet frit et la sauce piquante… Le morceau se termine de manière humoristique par cette phrase parlée de Bobby Rush : « Eh John Primer, passe-moi la sauce piquante ! ». Charlie Musselwhite vient poser son harmonica tout en finesse et en virtuosité sur deux classiques du blues : Baby, Please, Don’t go de Big Joe Williams et Shame, Shame, Shame de Jimmy Reed. On trouve aussi deux titres très signifiants, vraiment dans le thème du Mississippi blues, avec Steve “Lightnin’” Malcolm à la guitare, Lee Williams à la batterie : When I Met the Blues à la rythmique lancinante et le classique Walkin’ blues (Muddy Waters) dans lequel John Primer chante : « I feel like going back home ». Watermelon Slim vient jouer du dobro sur le dansant Down in the Bottom (Willie Dixon) dans la lignée de Rolling & Tumbling et sur le superbe blues lent Let Me Be Your Electrician » (Louisiana Red). Deak Harp joue de l’harmonica à sa manière, énergique, bien grasse et colorée sur Ain’t Kickin’ up No Dust et Blues Before Sunrise (Leroy Carr), un blues classique sur lequel John Primer est remarquable à la guitare. A Better Day est un excellent blues lent à l’accompagnement dépouillé mettant parfaitement en évidence la guitare fluide et brillante de John Primer agrémentée du piano et de l’orgue de Billy Earheart ; Steve Bell y ajoute un solo d’harmonica rempli de feeling. Enfin, sur Let My Burdens Down (Glory, glory, haleluyah), c’est la fille de John – Aliya Primer (20 ans) – qui chante de sa voix angélique ce morceau traditionnel accompagnée par Eden Brent à l’orgue et au piano. J’ajoute qu’on retrouve sur la plupart des titres précédents un musicien bien connu des habitués du King Biscuit Blues Festival : Rickey “Quicksand” Martin (à la batterie sur 7 titres) mais aussi Harvell Thomas Jr (à la basse sur 7 titres) qui accompagnait John Primer lors de son mémorable concert à Helena en 2023. Si vous aimez le blues traditionnel, n’hésitez pas une seconde, ce disque est fait pour vous, vous pouvez l’acheter les yeux fermés. – Jocelyn Richez


D.K. Harrell

Talkin’ Heavy

Alligator Records – www.alligator.com

Quel début de carrière tonitruant ! En seulement deux ans, D.K. Harrell a déjà conquis les plus grands festivals des deux côtés de l’Atlantique. Loin d’être un simple « effet de mode », il poursuit son ascension fulgurante, enchaînant les concerts et récoltant au passage, à chaque fois, une pluie de louanges amplement méritées. Après un excellent premier CD, « The Right Man », paru chez Little Village Foundation, voici que le jeune natif de Ruston, en Louisiane, rejoint le prestigieux label de blues Alligator Records. Pour la petite histoire, D.K., alors adolescent, avait envoyé à Bruce Iglauer – le patron du label – des vidéos de ses premières prestations… Ce dernier lui avait répondu qu’il était sur la bonne voie et qu’il devait continuer. Le conseil fut suivi à la lettre : D.K. poursuivit intensément son éducation musicale, tout en regardant sur YouTube les vidéos de ses idoles. À l’image de son opus précédent, la nouvelle session fut enregistrée dans le désormais renommé studio de Greaseland basé à San José, en Californie. Celui qui, lors de ses premiers enregistrements en 2023, avait déjà plus de 300 chansons sur son ordinateur portable, nous propose aujourd’hui douze compositions originales tout simplement formidables. Accompagné de Jim Pugh aux claviers, Kid Andersen à la guitare, Andrew Moss à la basse, ainsi que June Core et Derrick “D’Mar” Martin à la batterie, le tout soutenu par une section de cuivres efficace, D.K. Harrell nous offre une session mémorable. Comment résister au titre Funky A Little Taste, ou ne pas se laisser captiver à l’écoute de Life’s Lesson ou ne pas s’émouvoir avec le somptueux et introspectif No Thanks To You ? Comme il me l’a confié lors de notre entretien à Austin en 2023 (cf. ABS Magazine n°84), sa carrière ne doit rien au hasard. Il a dû surmonter de nombreux obstacles au fil de toutes ces années, sa résilience prend tout son sens à la lumière de son parcours. Le titre éponyme de l’album, ainsi que Grown Now et PLTD démontrent, pour ceux qui en doutaient encore, que celui qui a remporté le B.B. King Of The Blues Award en 2022 est en train de marquer définitivement son époque. Praise These Blues est un vibrant hommage au Gospel, comme le souligne D.K. en préambule : « Si vous écoutez le Blues, n’ayez pas honte ! Car le Blues et le Gospel ne font qu’un ! ». Guitariste hors-pair et excellent chanteur, doté d’un remarquable répertoire, D.K. Harrell signe ici une œuvre enthousiasmante. À mon humble avis, il est l’un des meilleurs représentants de sa génération. Cet album est, sans conteste, indispensable. – Jean-Luc Vabres


Taj Mahal
Keb’ Mo’

Room On The Porch

Concord Records www.concord.com

Deux géants pour un album magistral : Taj Mahal et Keb’ Mo’ réinventent l’héritage américain avec « Room on the Porch ». Lorsque deux monuments de la musique comme Taj Mahal et Keb’ Mo’ décident de croiser leurs chemins, le résultat peut être prodigieux. Leur premier album commun, « TajMo », sorti en 2017, avait déjà créé la surprise, comme une comète imprévisible illuminant le ciel du blues contemporain. Puis, plus rien. Pendant sept longues années, leurs admirateurs ont espéré sans certitude. Et voilà que « Room on the Porch » surgit, enregistré à Nashville, co-produit par les deux artistes, prouve que la magie n’était pas un hasard : elle est bel et bien intacte. « Ce premier album était tellement génial qu’une partie de moi s’est demandée si nous n’avions pas simplement eu de la chance », raconte Keb’ Mo’ en souriant. « J’ai toujours cru que c’était un événement unique. Mais dès que nous sommes retournés en studio, j’ai ressenti la même magie… et compris que ce n’était pas de la chance du tout ». « Room on the Porch » est un album inclassable, comme les artistes qui l’ont façonné. À la fois ancré dans les racines de la musique américaine et résolument ouvert aux possibles, il marie blues, jazz, folk, country, avec une fluidité désarmante. Chaque morceau est une invitation à la chaleur, au partage, à la simplicité lumineuse d’un moment sur un porche, guitare à la main, cœur ouvert. Taj Mahal n’a plus rien à prouver. Sa carrière débute en 1961 avec The Elektras. Dans les années 1970, il compose pour le cinéma, participe à Saturday Night Live (notamment l’épisode avec Madeline Kahn en 1976), enchaîne les succès, les albums cultes, les collaborations prestigieuses. En 2023, il publie « Savoy », bijou jazz-soul-blues, largement salué et diffusé par les grandes radios jazz internationales, dont Bayou Blue Radio. Keb’ Mo’, lui, incarne ce blues moderne, sensible, métissé, toujours proche du jazz, dont il emprunte parfois la grâce mélodique. Ses chansons ont cette poésie discrète, presque littéraire, qui évoque parfois Paul Auster : des récits fragmentés, doux-amers, toujours justes. C’est un artiste rare, dont chaque apparition sur scène confirme l’élégance naturelle et l’exigence artistique. Et pourtant, face à Taj, il reste admiratif, presque intimidé. Car leur relation, bien que discographiquement jeune, remonte à loin. « Taj Mahal a toujours été l’un de mes artistes préférés », confie Keb’. « J’ai entendu sa musique pour la première fois lors de ma dernière année de lycée, et ça m’a profondément marqué. Son jeu s’est immédiatement gravé dans ma mémoire ». Cette collaboration met en lumière leur complémentarité. Keb’ est méthodique, Taj instinctif. « Taj compose de manière très spontanée, tandis que je suis quelqu’un de plus préparé. C’était donc une toute nouvelle façon de travailler pour moi », raconte Keb’ Mo’. « Honnêtement, cela m’intimidait un peu. Mais je me suis dit que si nous nous entourions de gens talentueux et que nous nous faisions confiance, on obtiendrait quelque chose de spécial. Et c’est exactement ce qui s’est passé ». Les sessions ont ainsi réuni amis, musiciens de haut vol, choristes, co-auteurs… et même leurs propres fils. Une aventure humaine autant qu’artistique. « Notre collaboration a toujours été très organique », résume Taj. « Nos compétences différentes se complètent parfaitement. Même après des années sans jouer ensemble, on a retrouvé sans effort cet espace créatif unique ». Dès le premier titre, l’intention est claire : l’album s’ouvre sur une chanson bilingue, en anglais et en français ; un clin d’œil élégant à la langue française, minoritaire mais persistante dans l’imaginaire musical nord-américain. Une autre manière de dire que cette musique parle à tous, sans frontières. Mais « Room on the Porch » est bien plus qu’un disque. C’est une déclaration d’amour à la musique noire américaine, à l’héritage africain profondément enraciné dans les cultures occidentales. « Si l’on retirait l’empreinte africaine de la musique occidentale des cinq cents dernières années, il ne resterait presque rien », réfléchit Taj Mahal. « Même si on a l’impression de naviguer entre tous ces styles, je pense qu’on se connecte surtout à la musique de nos ancêtres, à leur influence toujours vivante aujourd’hui. C’est ce qui me donne de l’énergie et m’enthousiasme ». Peut-on réellement évaluer objectivement un tel album ? Probablement pas. Il dépasse la critique. Il impose le respect, par sa beauté, par la noblesse de sa démarche, par le savoir-faire de ces deux maîtres artisans. C’est une œuvre-monde, à la fois intime et universelle, enracinée dans l’histoire et tournée vers l’avenir. On espère que cette parenthèse enchantée ne sera pas la dernière. Peut-être que d’autres aventures attendent Keb’ Mo’, pourquoi pas avec l’excellente Shawn Colvin avec qui il partage parfois la scène ? Mais pour l’heure, « Room on the Porch » suffit à notre bonheur. C’est un disque rare, généreux, lumineux. Un trésor posé sur le pas de la porte. Il ne vous reste plus qu’à l’ouvrir. – Thierry De Clemensat


Little Freddie King

I Use to Be Down

Made Wright Records MWR80

Little Freddie King, Fred Eugene Martin pour l’état-civil, est né il y a bientôt 85 ans (le 19 juillet 1940) à McComb, Mississippi, la ville natale de Bo Diddley. Il est le roi incontesté du Downhome blues de La Nouvelle-Orléans. En outre, il est reconnu dans les rues de la ville, qu’il sillonne au guidon de son éternel vélo, électrique maintenant à cause de son âge, son chapeau de paille à bord plat vissé sur la tête et vêtu avec une élégance et un chic recherchés. Ce chanteur-guitariste est aussi un miraculé : il a survécu à trois fusillades, un coup de couteau, une électrocution, un grave accident de vélo et à l’ouragan Katrina. Les nombreuses cicatrices présentes sur son corps en attestent. D’où probablement le titre de ce CD – « I Use to Be Down » et de la chanson éponyme dans laquelle il dit : « I used to be down/But I’ain’t down no more ». Little Freddie King est un vétéran de la scène musicale néo-orléanaise. Il débuta sur la scène du premier New Orleans Jazz and Heritage Festival en 1970. Un an plus tard, il était le guitariste électrique de la séance d’enregistrement du chanteur et harmoniciste Harmonica Williams. Le résultat fut le superbe album « Harmonica Williams With Little Freddie King » (Ahura Mazda – AMS 2003) hélas jamais édité en CD. Little Freddie King joua quelque temps, dans les années 1960, de la basse et de la guitare dans l’orchestre de Freddie King. D’où son choix de nom d’artiste. La musique des deux hommes est pourtant bien différente. Avec Little Freddie King, nous sommes proches de John Lee Hooker et Lightnin’ Hopkins. Avec la complicité des guitaristes ‘Wacko‘ Wayne Wright et Stephan Daly, des bassistes Paul Defiglia et Robert Snow, de l’harmoniciste Robert DiTullio Jr et du pianiste Elan Mehier, Little Freddie King et sa maintenant célèbre guitare Gibson rouge balancent un blues authentique du meilleur aloi. Les onze nouvelles chansons composées par l’artiste sont une véritable confession. Dix ont été enregistrées aux Studios Esplanade de La Nouvelle-Orléans et l’ultime de ce disque, la magnifique Going Upstairs, l’a été en concert. Little Freddie King s’exprime dans un style qui mêle le blues du sud du Mississippi, le Hill Country blues du nord du Mississippi et le Swamp Boogie. Le disque débute par un instrumental, Bywater Crawl, qui donne l’atmosphère décontractée mais austère de l’enregistrement. La structure des chansons est assez simple, le jeu de guitare sobre et sans effet pyrotechnique mais brillant. En plus des titres déjà cités, j’aime en particulier Bad News où Little Freddie King est seul avec sa guitare, Bus Station Blues, Mean Little Woman, Can’t Do Nothing Baby, Pocket Full Of Money avec Stephan Daly à la slide, et le tout droit sorti de l’église Coming Home From Jesus que Little Freddie King interprète seul avec sa guitare acoustique. Little Freddie King poursuit cahin caha son aventure musicale pour le plus grand bonheur de nos oreilles. Ce disque est à classer parmi ses meilleures productions. – Gilbert Guyonnet       


Southern Avenue

Family

Alligator ALCD 5024 – www.alligator.com

Est-ce la signature chez Alligator Records ? La production percutante de John Burk ? La qualité des compositions et de l’interprétation ? Quand les albums précédents de Southern Avenue ne m’avaient guère convaincu, ce quatrième opus remporte toute mon adhésion. Originaires de Memphis, les trois sœurs Jackson et le mari de Tierinii, l’une d’elles, le guitariste Ori Naftaly, épris de slide mais au large registre, livrent au long de ce « Family » une partition de haut vol, ancrée dans le gospel, le blues et la soul de leur ville natale. Aux côtés de Tierinii, chanteuse principale, opèrent Tikyra (chant et batterie), et Ava (chant, percussions et violon). Luther Dickinson, des North Mississippi All Stars, est à la basse sur plusieurs morceaux. Leur chant est à l’unisson, à la manière de choristes. Puis une soliste se libère et se fond à nouveau dans l’unité familiale. Des références viennent à l’esprit : Sweet Inspirations, Emotions, Staple Singers, Three Degrees, Pointers Sisters, mais les sœurs Jackson, avant tout, n’appartiennent qu’à elles. D’un ensemble très cohérent se détachent Found a friend in you, Late night get down, Believe, Long is the road. Introduit par la batterie sur un rythme de marche, We are referme l’album, affirmation de leur identité. – Dominique Lagarde


Tad Robinson

Soul in Blue

Delmark Records 887 – www.delmark.com

Fidèle au label Delmark depuis le début des années 1990, Tad Robinson nous offre un album qui marie habilement une nouvelle fois Blues et Soul. Ce formidable chanteur et harmoniciste est accompagné, au fil des dix compositions de sa nouvelle production, par la fine fleur de la Windy City. Carlos Shower et Mike Wheeler sont aux guitares sur trois superbes titres : (I’m) Down To My Last Heartbreak, It’s Private Tonight (un morceau appartenant au répertoire d’Arthur Adams) et This Time. Deux autres amis de longue date, les talentueux Dave Specter et Alex Schultz, sont également présents sur les formidables Keep Your Heart Open For Love et Somewhere There’s A Train. Ces deux morceaux témoignent également de ses talents de compositeur. Cette nouvelle production, réussie de bout en bout, nous confirme une fois de plus que Tad Robinson est un artiste de très grande envergure. « Soul In Blue » est un album à écouter et réécouter avec, toujours, le même plaisir. – Jean-Luc Vabres


Andrew Duncanson
featuring Michael Peloquin

California Trap

Run It Back Records RIB 25001

Depuis plus de vingt ans, le Kilborn Alley Blues, formation multirécompensée, enregistre des disques et se produit sur toutes les scènes de la planète. La voix et la guitare de cet orchestre sont assurées par Andrew Duncanson. Récemment, celui-ci occupait le même poste au sein du trio The Dig3, dont le nom a été choisi à cause du Big Three Trio de Willie Dixon. Vous ne serez donc pas surpris à l’écoute de ce disque, « California Trap »,  qui marque les débuts discographiques d’Andrew Duncanson sous son propre nom. Pour réaliser son projet, le chanteur-guitariste a fait appel à son vieux copain Michael Peloquin, un saxophoniste et harmoniciste, pour co-produire le disque, arranger la section de cuivres et jouer lui-même de ses instruments de prédilection. Où enregistrer ? Un pèlerinage s’est imposé : San Jose, Californie aux studios Greaseland de Kid Andersen, gage de très grande qualité. Une nouvelle fois la magie du lieu a fonctionné. Comment fait Kid Andersen pour que tout ce qui passe entre ses oreilles et ses mains soit de si grande qualité ? En plus de Kid Andersen qui joue de la guitare, de la basse et de divers claviers selon les titres et Michael Peloquin, ont été invités à la réalisation de ce disque : le bassiste Jerry Jemmott, les batteurs Derrick ‘D’ Mar’ Martin et Paul Revelli qui joua avec le regretté Joe Louis Walker, les pianistes et organistes Jim Pugh (ex complice de Robert Cray) et Baxter Robertson, Tia Carroll, Lisa Leuschner Andersen, l’épouse Kid Andersen, et les Sons of Soul Survivors assurant les chœurs, les trompettistes Mike Rose et Ed Morrison, le tromboniste Mike Rinta et le saxophoniste baryton Doug Rowan. Andrew Duncanson a mis dans la corbeille huit nouvelles compositions originales personnelles, une de Michael Peloquin, What Kind Of Man, deux chansons dont il est l’auteur et qu’avait créées le Kilborn Alley Blues, ici retravaillées (Town Saint et Better Off Now). Deux reprises complètent le programme du cd : What Kind Of Man de Michael Schermer et This Land Is Your Land de Woody Guthrie. La belle voix soul d’Andrew Duncanson est fort bien mise en valeur, jamais écrasée par des arrangements qui hélas sévissent dans de très nombreuses productions contemporaines dites « Blues » (« bombastic hard rock », dixit notre ami Gene Tomko). Cuivres chaleureux, chœurs impeccables, chant superbe, jeu de guitare discret et efficace de la part du leader, vous séduiront très vite et vous vous retrouverez pris dans ce piège californien dont il vous sera bien difficile de vous échapper. – Gilbert Guyonnet  


Nenna Freelon

Benneath In The Skin

Origin Records – www.nnenna.com

Plus qu’une très grande voix, Nenna a, avant tout, une vision de son art, déstructurant les structures des titres pour en renforcer la dramaturgie, comme seuls les grands artistes savent le faire. Un album de jazz, certes, mais qui frôle de ses ailes expertes le blues et la soul, transportant ses émotions au fil des notes avec une instrumentation taillée sur mesure et presque minimaliste, laissant apparaitre cette belle fragilité des vocalistes. Sur un tel album, impossible de tricher. Alors on ferme les yeux et on admire cet art, comme on admirerait une toile de Salvador Dali qui me disait au début des années 80, dans un grand hôtel parisien, trouver source d’inspiration non seulement auprès de sa muse, mais de la musique lorsqu‘elle se fait essentielle… Depuis ses débuts en 1992 chez Columbia, cette artiste nommée sept fois aux Grammy a utilisé sa perspective unique pour raconter des histoires familières, qu’il s’agisse de réinventer Billie Holiday ou de rendre hommage à Stevie Wonder. Avec Beneath the Skin, elle va encore plus loin, explorant son propre vécu pour créer des chansons sincères, nées d’une curiosité qui l’amène à revisiter les récits ancrés en elle. Aux côtés du pianiste et co-arrangeur Alan Pasqua, Nnenna signe ici son œuvre la plus intime. Et puis aussi je ne pouvais laisser passer un tel album, surtout lorsque mon journal préféré déclare : « Ce que Freelon construit n’est pas seulement un château d’amour, mais un répertoire élargi pour les chanteurs de jazz… » (The Washington Post). Une voix si profonde que l’on pourrait la prendre pour le cri originel qui a fait naitre le Blues, une souffrance intérieure qui se transforme en beauté offrant une forme poétique intemporelle, la beauté a ceci de particulier qu’elle s’impose d’elle-même, que ce soit dans l’art ou dans la vie, et ce n’est pas une question d’image mais une question d’être, comme cet album imposant duquel je n’arrive pas à me détacher, non pas que ce soit un album avec des tonnes d’effets plus astucieux les uns que les autres, mais à l’inverse cette belle simplicité et cette magnifique vois forgée par toute une culture et des années de travail intensif. Nous sommes actuellement bien servis coté jazz entre de nouvelles artistes très talentueuses et d’autre comme Nnenna qui ont déjà une belle carrière derrière elles, mais qui continuent à nous surprendre avec un album qui, au final, semble être un roman avec une succession de décors qui vous marqueront très favorablement. – Thierry De Clemensat


Bob Stroger

Bob Is Back

Delmark Records 892 – www.delmark.com

Tout juste intronisé au prestigieux Blues Hall of Fame de Memphis, le légendaire bassiste ne se repose décidément pas sur ses lauriers. Il revient aujourd’hui avec un nouvel album, fraîchement sorti sur le mythique label Delmark Records, véritable bastion du blues de la Windy City. À l’image de son album précédent, paru également sur la même compagnie, nous le retrouvons à nouveau aux côtés de la très bonne formation brésilienne The Headcutters. Placide et toujours aussi affûté, l’ancien partenaire (entre autres) d’Otis Rush rend un très bel hommage à la musique de la Windy City en reprenant des compositions de Jimmy Rogers, comme Gold Tailed Bird, ainsi que celle de Muddy Waters avec le désormais classique Champagne and Reefer, ou encore l’indétrônable Don’t You Lie to Me de Tampa Red. À noter que sur la reprise de Joe Brown, I Love You Baby, Candice Ivory est présente aux chœurs. Les compositions originales raviront de nombreux amateurs avec des titres comme les superbes Loan Me Train Fare, Jazz Man Blues ou encore My First Love. Il faut souligner l’excellent support, sobre et efficace, de Joe Marhofer à l’harmonica, Ricardo Maca à la guitare, Arthur Catuto à la basse et Leandro Cavera à la batterie. Une mention particulière pour le pianiste invité, Ben Levin, qui nous démontre une nouvelle fois l’étendue de son talent. Bob Stroger signe, à 94 ans, une nouvelle session remarquable, empreinte de passion et d’humilité. Voici un album qui ravira les fans de Blues comme les nouveaux venus. – Jean-Luc Vabres


Tanika Charles

Reasons To Stay

Record Kicks RKX101CD / Modulor

Tanika Charles est une chanteuse canadienne de soul et rhythm and blues. Anciennement basée à Edmonton, en Alberta, elle a déménagé à Toronto, en Ontario, à la fin des années 2000, après avoir chanté dans les chœurs pour Bedouin Soundclash. Son premier album, « Soul Run », publié  en 2016, était déjà très prometteur. Depuis lors, elle a beaucoup travaillé et s’est beaucoup produite aux US et en Europe, a publié deux autres albums (« The Gumption » en 2019 et « Papillon de Nuit » en 2022) avant ce nouvel opus très réussi et très personnel – « Reasons To Stay » – publié sur le très « concerné » label milanais Record Kicks. Soutenue par d’excellents musiciens et profitant d’un remarquable travail de mixage par Kelly Finnigan (leader des Monophonics), Tanika Charles signe ici un album R’n’B et soul d’une grande originalité. Onze titres tout en douceur et en finesse, servis par une voix superbe, cet album est une réussite de bout en bout. Deux fois nominée pour les Juno Awards et trois fois pour le prix Polaris, ne doutons pas qu’avec ce nouvel album, elle crève encore un peu plus l’écran.Marcel Bénédit


Steve Howell & the Mighty Men

Yeah Man

Out Of The Past Music OOTP 0020

Steve Howell est un américain originaire du Texas, chanteur guitariste, grand spécialiste de la méthode du fingerpicking. Adolescent, il découvre en 1965 Mississippi John Hurt à la guitare. C’est une révélation pour lui. Il va étudier tous les grands guitaristes afro-américains comme Robert Johnson, Leadbelly ou Son House. Il va alors apprendre à jouer ce blues rural, mais aussi du folk et du jazz traditionnel. Aujourd’hui, après trente ans de carrière, il voyage avec son groupe The Mighty Men pour découvrir et mettre au goût du jour ses découvertes. Steve Howell est au chant et aux guitares acoustique et électrique, Chris Michaels est lui aussi aux guitares, Jason Weinheimer est à la basse et aux claviers et Dave Hoffpauir à la batterie et au chant. « Yeah Man » est leur treizième album avec douze vieilles chansons de la période 1900 à 1950. Ces chansons sont issues principalement du sud des États-Unis et appartiennent à son patrimoine musical. Pour chaque morceau, l’auteur est cité ; il y a des noms célèbres comme Blind Lemon Jefferson, J.B. Hutto et même Bob Dylan. Mais, pour la majorité, il s’agit de compositeurs moins connus comme Rudolph Toombs ou Joe Zawinul. En conclusion, ce disque de Steve Howell peut être considéré comme un témoignage sur l’Histoire du Blues et mérite d’être dans toutes les discothèques. – Robert Moutet


Principles of Joy

Live at CXVIII

Q-Sounds Recording QS 023

Saluons pour commencer le travail du label Q-Sounds, basé à Montreuil depuis 2019, et dont le  catalogue d’artistes est tout entier tourné vers la soul, moderniste ou délicieusement rétro, chantée en français ou en anglais. Principles of Joy, constitué de la chanteuse Rachel Yarabou, de l’organiste Ludovic Bors, tous deux fondateurs du label, des guitaristes Loïc “Butcher” Betema et Harysson Jean-Baptiste, du bassiste Jérôme Makles, du batteur Schael Michanol qui ont établi, au fil de leurs concerts, une solide réputation scénique. Ajoutez les qualités d’écriture de Christelle Amoussou et vous serez rapidement captés par la belle énergie qui anime ce disque. Deux des neuf chansons, Start from Scratch et Ablaze, au développement très cinématographique, n’auraient pas dépareillé dans un épisode de James Bond. Il y a aussi un bel hommage à Sharon Jones, Your thing is a drag, une ballade, Soul Mate, et surtout une grosse dose de funk qui devrait vous encourager à retrouver le groupe, dès le prochaines semaines, sur les scènes estivales. – Dominique Lagarde


Johnny Rawls

Make The Dance

Catfood Records CFR-034 – www.catfoodrecords.com

Johnny Rawls, fidèle en amitié comme en musique, signe ce printemps son huitième album sur le label Catfood Records, fondé par son complice de longue date Bob Trenchard. Produit et enregistré par le regretté Jim Gaines, ce nouvel opus nous offre, au fil de dix titres impeccablement interprétés, une réjouissante dose de blues et de soul sudiste. Les compositions sont signées par Rawls lui-même, natif de Hattiesburg, Mississippi, mais également par Sandy Carroll et Zac Harmon, apportant avec brio chacun leur touche à un répertoire inspiré. En studio, Rawls s’entoure une fois de plus d’excellents musiciens : Will McFarlane brille à la guitare, Dan Ferguson enveloppe les morceaux de ses claviers, Steve Potts assure une rythmique solide à la batterie, tandis que Nick Flood et Frank Otero livrent une prestation remarquable à la section de cuivres. Des titres comme Costs Too Much, The Long Road, So Cold, Say That You Love Me ou encore Ripp Off the Bandage témoignent de la constance et du talent de celui qui fut jadis directeur musical d’O.V. Wright. Depuis les studios Bessie Blue, installés dans le Tennessee, Johnny Rawls nous livre une session parfaitement réussie, à la fois chaleureuse, authentique et généreuse. Sur scène, souvent accompagné de sa fille, la talentueuse Destini, il continue d’embraser le public avec une énergie et une présence scénique intactes. Cette nouvelle production ne fait pas exception : un superbe millésime nous est offert. – Jean-Luc Vabres


Jennifer Porter

Sun Come and Shine REDUX

Overton Music CM008

Jennifer Porter est une actrice et scénariste talentueuse. Elle est aussi une chanteuse élégante dotée d’une belle voix cristalline. En outre, elle joue du piano et de l’orgue et est auteure-compositrice. On peut résumer son style : americana qui mélange blues, country, jazz, soul, gospel et opéra. Ce disque intitulé « Sun Come and Shine REDUX » est une réédition remastérisée et remixée d’un disque publié en 2021, d’où l’adjonction de « REDUX » au titre original. Il met en avant le chant éthéré de Jennifer Porter dans un style très éloigné du blues authentique. La musique est ici un smooth jazz sophistiqué interprété par de talentueux musiciens. Nous découvrons de magnifiques paysages sonores grâce à des paroles de qualité accessibles grâce au livret. Notez la présence de C.J. Chenier et son accordéon sur You’re So Easy To Be With et celle du contre-bassiste Christian McBride sur Something On Your Mind. En outre, le directeur musical et batteur de la session est le célèbre Bernard Purdie. Vous pouvez imaginer la qualité de la musique ici produite et le bon goût de Jennifer Porter. Ce disque est composé de touches de blues, de jazz, de soul et de pop mêlées avec une grande élégance. C’est l’œuvre d’une artiste originale qui possède un vrai talent. Sortez des sentiers battus et ayez la curiosité ce CD. Je vous garantis une belle écoute. – Gilbert Guyonnet   


Big Dave & The Dutchmen

Naked NP 102

Voici le premier album du groupe de blues belgo-néerlandais Big Dave & The Dutchmen enregistré en deux jours au Rabbit Field Studio à Anvers. Avec Big Dave Reniers au chant et à l’harmonica, le groupe se compose de Mischa Den Haring à la guitare, Roel Spanjers aux claviers, Dusty Ciggaar à la basse et Darryl Ciggaar à la batterie. Les onze chansons originales sont un authentique hommage au Chicago Blues avec un accent de modernité. Le morceau Never Love Again ouvre l’album avec un rythme lancinant alors que la guitare explose dans Daring Haring. Et pour compléter leur possibilité à s’adapter à tous les styles, leur interprétation du gospel Trouble of the World est émouvante. Mais ce disque reste un vibrant hommage au Blues et il devrait séduire les amateurs. On peut considérer Big Dave & The Dutchmen comme un nouveau groupe incontournable du blues européen. – Robert Moutet


Dave Specter

Live At Space

Delmark Records 889 – www.delmark.com

Enregistré en public le 19 mars 2024 à Space, son fief situé à Evanston, dans la banlieue nord de Chicago, Dave Specter signe avec « Live in Evanston », son quatorzième album pour le légendaire label Delmark. Entouré d’un groupe de haute volée – Brother John Kattke aux claviers et au chant, Rodrigo Mantovani à la basse, et son complice de longue date Marty Binder à la batterie – le guitariste dévoile tout son art : un jeu fluide, aérien, teinté de nuances jazzy, qui n’appartient qu’à lui. Les treize titres de cette session live forment un savoureux cocktail de compositions originales et de reprises superbementement revisitées. Parmi les morceaux signés Specter, on retient particulièrement Rumba & Tonic, March Through the Darkness ou The Stinger, où l’on reconnaît instantanément la patte du musicien, ancien partenaire de Steve Freund, Son Seals ou encore Hubert Sumlin. Côté reprises, Dave Specter et son groupe rendent un hommage vibrant à Magic Sam avec une version somptueuse de Riding High. Same Old Blues, le classique de Don Nix, est interprété avec une élégance rare, tandis que Bluebird Blues de Sonny Boy Williamson brille par son intensité. Cette session, enregistrée dans une ambiance chaleureuse et électrique, captive du premier au dernier morceau. Un album live habité, sincère, résolument ancré dans la grande tradition du blues de la Windy City. – Jean-Luc Vabres


Steven Troch Band

The Dawning

Naked NP095 – www.donor.company/naked 

Les choses démarrent doucement, de façon presque hésitante, dans le quatrième album de ce groupe venu de Belgique. L’ensemble repose sur la voix nonchalante de Steven Troch, également harmoniciste (le shuffle Double down) et la guitare de Matt T Mahony. The Mountain défile sur un mode reggae, puis après un God Pulls the Strings mélancolique, l’éclaircie survient avec la reprise du vieux classsique On the road again jadis popularisé par Furry Lewis. Stuff est un funk poussif, mais Wonder Why, un rock mid-tempo bien enlevé, souligné par une bonne partie de guitare. Back Riders nous replonge dans un univers country-folk à la Johnny Cash. D’autres chansons comme You came along ou Be there for myself lorgnent vers la pop. Sur la pochette, le jour se lève. L’aube d’un matin calme. Trop calme peut-être… – Dominique Lagarde


Various Artists

Jus’ Blues 25th Anniversary Legends Collection

www.jusblues.org

Chaque année, les Jus’ Blues Music Awards sont un événement phare dans le calendrier musical du Mississippi. Cet événement prestigieux célèbre les meilleurs artistes de la scène blues et soul. Pour marquer le 25ᵉ anniversaire de ce rendez-vous emblématique, qui se tiendra en août prochain au casino de Biloxi, les organisateurs nous proposent une compilation exceptionnelle. Cette sélection réunit des légendes telles que Bobby Rush, Latimore, Jimmy Burns, Zakiya Hooker, Trudy Lynn, Teeny Tucker, Bennie Turner, Mr. Sipp, et Theodis Ealey. L’album est déjà disponible sur les principales plateformes de téléchargement et une édition vinyle en version dorée, pressée en quantité limitée, sera bientôt disponible. Sont incluses dans cette excellente compilation quatre nouveautés : une composition de Trudy Lynn et une de Lucky Peterson, mais aussi deux versions de classiques de Bobby Rush et de Latimore. La qualité musicale est tout simplement remarquable. – Jean-Luc Vabres


Carolyn Wonderland

Truth Is

Alligator ALCD 5026 – www.alligator.com

Carolyn Wonderland est une guitariste et chanteuse américaine d’Austin, Texas. Elle se produit depuis l’âge de 15 ans et elle a joué avec des célébrités du blues comme Buddy Guy et Hubert Sumlin. Elle a aussi joué avec Bob Dylan et elle a été la première femme guitariste au sein des Blues Breakers du regretté John Mayall. Voici son huitième album solo et le deuxième produit par Dave Alvin pour Alligator Records. Enregistré chez Wire Recording Studio à Austin, le disque comporte douze chansons, dont dix sont des compositions personnelles de Carolyn. En plus de Giovanni Carnuccio à la batterie et Naj Conklin à la basse, il y a beaucoup d’invités provenant en majorité du label Alligator comme la chanteuse Marcia Ball. Au fil des morceaux, on a aussi Ruthie Foster, Shelley King, Red Young et Henri Herbert. Carolyn est considérée comme l’une des meilleures chanteuses guitaristes de blues du Texas. En plus de son chant texan et de son jeu de guitare dynamique, elle est aussi beaucoup appréciée pour ses compositions avec des textes audacieux. Avec une carrière aussi longue et complète, on peut se demander pourquoi Carolyn Wonderland n’est pas plus célèbre notamment outre-Atlantique. Ce nouveau disque sera certainement une réponse à ce que l’on peut considérer comme une injustice. – Robert Moutet


Terry Hanck

Grease To Gravy

Little Village Foundation
www.littlevillagefoundation.com

Enregistré principalement dans le célèbre studio Greaseland de San José, en Californie, le label Little Village Foundation nous offre avec ce nouvel album de Terry Hanck une véritable pépite. Le chanteur et saxophoniste dévoile une session captivante à la croisée du Blues et de la Soul. Ancien collaborateur d’Elvin Bishop, Terry Hanck est au sommet de son art avec sa reprise jazzy du classique de Wilson Pickett, Don’t Let the Green Grass Fool You. L’excellence se poursuit avec ses compositions originales, telles que If A Politician Was A Doctor, Best Years Of My Life ou encore Run Baby Run. Il revisite avec brio le classique de La Nouvelle-Orléans Sick and Tired, Overall Junction d’Albert King, ou encore Come Back Baby de Ray Charles, interprété ici de manière magistrale. Pour cette session, Terry Hanck est accompagné de musiciens de renom : le guitariste Kid Andersen, ainsi que Johnny Cat Soubrand, D’Mar et Jon Otis à la batterie, tandis qu’aux claviers Jim Pugh brille par son talent. Cet album, avec ses douze titres, met en lumière l’immense talent de Terry Hanck et ne quittera pas votre platine de si tôt. Une belle réussite. – Jean-Luc Vabres


Sunny Bleau & The Moons

Passions & Regrets

Endless Blues Records

De son vrai nom Kelly Brock, Sunny Bleau est une chanteuse américaine, originaire du Michigan. Elle a déjà sorti trois disques : « Breakfast Served Cold » en 2021, « Slow Burn » en 2023 et « Bag Of Tracks » en 2024. « Passions & Regrets » est son nouvel album de dix chansons, produit par le célèbre Mick Kolassa qui a réuni le groupe Moons en studio. Avec Sunny Bleau au chant, il y a Nicholas A. Cooco et Jeff Jenson aux guitares, Kiersi Joli à l’harmonica, Bill Ruffino à la basse, James Cunningham à la batterie, Rick Steff aux claviers et Dr. Peter Stephenson à l’orgue Hammond. Sunny Bleau fait passer sa voix d’une grande douceur à une imposante puissance. Sa performance vocale peut nous rappeler celle de Janis Joplin ou celle de Koko Taylor. Le résultat est un album de blues moderne avec une touche de rock et de soul. À suivre, son résultat dans les Michigan Music Awards 2025. – Robert Moutet                                                                                  


Max Hightower

Nothin’ but the TRUTH

MoMojo Records MMJ-373

Originaire de Caroline du Sud, Max Hightower n’est pas un inconnu dans le monde du Blues. Au début du XXIe siècle, ce chanteur, harmoniciste, guitariste et pianiste fut un des membres fondateurs du groupe Mac Arnold & Plate Full O’ Blues. Petit rappel : Mac Arnold fut, en 1966, quelque temps bassiste de l’orchestre de Muddy Waters. Une cassette de ce dernier, « Mississippi Muddy Waters », fut une révélation pour le petit Max âgé de douze ans. Celui-ci joue donc le Blues depuis longtemps. Après plus de vingt années pilier de la formation de Mac Arnold, il a décidé de voler de ses propres ailes et d’interpréter et enregistrer ses propres compositions. Il présente ainsi douze titres originaux sur ce CD « Nothin’ but the TRUTH », enregistrés live sur bandes magnétiques et tout un matériel vintage chez Big Tone Records à La Nouvelle-Orléans. Ce studio est dirigé par Big Jon Atkinson qui assure les solos de guitare de cette séance, Max Hightower n’assurant que la partie rythmique avec sa guitare. Max Hightower hurle son blues d’une voix rocailleuse et joue de l’harmonica dans un style proche de celui de Bobby Rush avec lequel il a joué. Le groupe qui l’accompagne est solide et fait un excellent travail. Les influences sont multiples : blues, soul, funk et rock. Le son « sale » du saxophoniste James Beaumont est un apport appréciable. Voici un premier disque très réussi et attachant. – Gilbert Guyonnet 


All Things Swamp

Dressed

Little Village Foundation Records
www.littlevillagefoundation.com

Les fans du Dirty Dozen Brass Band ne bouderont pas leur plaisir : bien qu’enregistrée en Californie, cette session respire l’âme de La Nouvelle-Orléans. Huit musiciens talentueux insufflent à l’ensemble ce souffle unique du Sud, entre groove cuivré et chaleur festive. On retrouve dans cette formation soignée Brian Switzer à la trompette, Aaron Lington au saxophone baryton, Dean Parks au saxophone ténor et à la guitare, Tim Hockenberry au trombone et au chant, Dan Gordon au trombone ténor et basse, Gary Novak à la batterie, ainsi que Jim Pugh à l’orgue Hammond B-3. Les amateurs de brass bands et de célébrations musicales hautes en couleur savoureront sans réserve ce généreux gumbo sonore. Vivement recommandé. – Jean-Luc Vabres


Brandon Santini

Which Way Do We Go ?

MoMojo Records MMJ1378

Brandon Santini est un chanteur guitariste et harmoniciste originaire du Piedmont en Caroline du Nord. Il a commencé sa carrière musicale à Memphis en jouant dans les clubs de Beale Street avec son groupe Delta Highway. Il a sorti son premier album en 2011, et depuis 2018 il est basé à Springfield dans l’Illinois. Après plusieurs nominations aux Blues Music Awards, il forme le groupe Tennessee Redemption avec lequel il parcourt le monde et a partagé la scène avec des grands du blues comme Buddy Guy ou Charlie Musselwhite. En 2024, il est de retour à Memphis pour enregistrer « Which Way Do We Go ? » avec son producteur guitariste et ami de toujours Jeff Jensen. Les onze morceaux du disque sont l’œuvre de Brandon et les enregistrements ont eu lieu en août et décembre 2024 au High/Low Recording de Memphis. Avec Brandon Santini au chant et à l’harmonica et Jeff Jensen aux guitares électriques et acoustiques, il y a Timo Arthur lui aussi aux guitares, Cliff Moore à la basse, Ron James à la batterie et aux percussions, et Jesse James Davis aux chœurs. Dans la musique de Brandon, il y a un début d’évolution moderne du blues, avec une part de rock. À découvrir sans risque d’être déçu. – Robert Moutet


Pat Smilie

Indistractable

Fat Bank Music – www.patsmillie.com

Je l’ai souvent écrit ici, au fil de mes chroniques : Pat Smillie est l’un des plus fins connaisseurs de la scène musicale de Chicago, notamment celle des quartiers sud et ouest. Pour l’avoir croisé à de nombreuses reprises aux côtés d’artistes comme Willie D, Vance Kelly, Johnny Dollar, Otis Clay, Willie White et bien d’autres, il ne fait aucun doute que ce chanteur originaire de Detroit a toujours privilégié l’authenticité aux circuits touristiques des quartiers nord. Loin des projecteurs, il s’est forgé une solide réputation en fréquentant les clubs et en s’immergeant dans le cœur battant du soul-blues local. Pat Smillie a passé vingt-trois ans dans la Windy City avant de retourner vivre à Detroit en 2015. Cet été 2025, il revient avec une nouvelle pépite intitulée « Indistractable », un morceau au groove irrésistible ! Un grand coup de chapeau à tous les musiciens qui l’accompagnent en studio, en particulier Johnny Rhoades à la guitare, Keith Kaminski au saxophone et Walter White à la trompette. Tous livrent une prestation à la hauteur de ce que l’on attend de la scène soul-blues contemporaine. Une fois de plus, Pat Smillie signe un excellent titre dans le registre qu’il maîtrise à la perfection : ce soul-blues vibrant qui résonne encore chaque week-end dans des clubs mythiques comme l’East Odyssey Lounge, le Hot City Cocktail Lounge ou encore le fameux Gene’s Playmate sur W. Cermak, hélas fermé depuis. « Indistractable », s’inscrit dans la grande tradition de la musique que nous chérissons, dans la droite lignée des chefs-d’œuvre interprétés par des géants comme Otis Clay ou Tyrone Davis. Un titre à savourer sans modération. – Jean-Luc Vabres


Robbert Duijf

Silver Spoon

Naked NP091

« Silver Spoon » est le troisième album studio du chanteur guitariste et harmoniciste néerlandais Robbert Duijf. En 2023, son deuxième disque, « Change Myself », a remporté le prix du « Best Dutch Blues Album ». Ce nouvel album contient douze chansons de blues acoustique. Robbert en a composé dix et reprend Angel de Jimi Hendrix et Losers du chanteur guitariste américain Dave Van Ronk, qui est l’une de ses grandes sources d’inspiration. Le trio de base comprend Rubin Duijf, son fils aîné à la contrebasse et Robin Zalm à la batterie. Des amis musiciens ont participés à l’enregistrement. Ainsi, Angelo et Massimo Bombrini, respectivement au banjo et aux percussions ont retrouvé le pianiste Thimo Gijezen. Robbert a déjà acquis une bonne notoriété dans son pays et, avec ce nouvel enregistrement, il pourrait bien concourir pour le titre d’album de l’année. – Robert Moutet


Clara Ward      

The Magnificent, Just Over The Hill
Rare Recordings 1949-1972  

Gospel Friend PN 1517 – www.gospelfriend.se

Dans le gospel féminin, il y a quatre ou cinq artistes majeures qui dominent cette musique : évidemment Mahalia Jackson, mais aussi Dorothy Love-Coates, The Caravans, Marion Williams (peut-être la plus grande), Shirley Ceasar, Sister Rosetta, Inez Andrews (dont je garde un souvenir émerveillé d’un concert à New Orleans) et toutes ces grandes dames de Chicago… Et puis il y a Clara Ward et les Ward Singers. Toute une épopée, mais d’abord une affaire de famille. Les Ward singers furent crées par Gertrude Ward et ses filles Clara (née en 1924) et Willa qui débutèrent très jeunes. Puis le groupe se développa passant de trois à sept membres. Il y eu pas mal de changement de personnel durant toutes ces années ; la grande  Marion Williams y resta onze ans, Henrietta Waddy, France Steadman et Kitty Parham quittèrent le groupe pour fonder les Stars of Faith.  Elles n’hésitèrent pas à se produire dans des lieux inhabituels pour des groupes de gospel : boites de nuit, Disneyland ou leurs hautes perruques et leurs robes colorées firent sensation ainsi que leur jeu de scène très en avance pour leur époque. Elles passèrent beaucoup à la télévision et tournèrent souvent en Europe avec beaucoup de succès. Ce magnifique CD contient 27 titres gravés tout au long de leur carrière de février 1949 à 1971. Le producteur Per Notini a choisi des titres non publiés sur d’autres CD au cours de ces vingt dernières années : pas de risques de doublons ! Tout est de très haute qualité ; du très grand gospel par un groupe légendaire indispensable dans une bonne discothèque. À ranger à coté de l’autre réédition Gospel Friend de Clara Ward : « I  feel the holy Spirit » – PN 1502 qui contient des enregistrements de 1949 à 1952 de même qualité. – Marin Poumérol


Oscar TV Slim Wills

The Flatfoot Sam Man

Jasmine Records JASMCD 3305 – www.jasmine-records.co.uk

Fichtre, voilà un petit moment que je voulais me pencher sur ce bonhomme qui se foutait d’être en tête d’affiche, de faire des scores dans les hits, qui écrivait ses propres compos et qui connement se foutra en l’air un soir d’octobre 1969 sur une route d’Arizona. En bossant sur Cleo Page, me sont apparues une multitude de musiciens absolument incroyables qui avaient endiablé les ondes, les studios et les sillons de Los Angeles. Des connus et des moins connus. Et des encore moins connus… Né à Bethany, sur la frontière entre le Texas et la Louisiane, le 10 février 1916, les influences d’Oscar W. Wills, aka TV Slim, seront fortement imprégnées d’un Sonny Boy Williamson (II) pour l’harmonica (et là, il nous faudra faire confiance à ceux qui auront pu l’écouter sur scène car aucun enregistrement n’existe sur lequel il joue de cet instrument) et un Guitar Slim et Hopkins pour la guitare. On sait peu de choses sur sa vie d’avant. Il bosse çà et là, opportuniste des tafs qui se présentent… De son éducation musicale ? Pas grand chose à se mettre sous la dent. On est en droit de penser que l’homme est un autodidacte à temps complet. Son engagement dans le Pacifique lui donne les outils et le pécule pour s’installer à sa libération en 1945 en ouvrant le Oscar Wills’ Radio Shop au 1011 Cado Street à Houston. Dix ans avant ses débuts sur disque vinyle, Wills travaille dans l’électronique, à la réparation de radios et téléphones.  Maintenant qu’il est plus serein avec l’argent, il peut se consacrer à son autre passion, la musique. On peut aussi penser que cette envie de jouer ne se résume pas à rester au fond de son magasin, mais bien d’arpenter quelques scènes du coin avec son pote Mighty Joe Young qui sera, dès 1955, sur les faces qu’il enregistre sur son propre label Speed : You Can’t Buy A Woman et To Prove My Love qui ne se retrouvent pas sur cette compilation. Ni d’ailleurs sa première version de Flatfoot Sam ni sa face B Pearly Mae. Disques/pistes disparues ? À y regarder de plus près, il n’existe pas de traces sur disque de ces titres… Du coup, le disque débute sur ce qui serait son troisième enregistrement (Speed 6863 qui comprend The Fight qui fait la part belle au piano boogie d’Eddie Williams et Darling Remember où le jeu de TV Slim s’impose). Je parle un peu au conditionnel car démêler les détails du début de sa carrière n’est pas une mince affaire, les différentes discographies chronologiques publiées ne s’accordant que rarement, semblent avoir été faites au p’tit bonheur la chance. Indépendamment du fait qu’il a ré-enregistrés certaines de ses propres compos, un bon nombre des ses publications le seront ultérieurement, associées à différentes faces B et créditées à pseudos variables, comme le dit Alfred Rhode dans le livret qui accompagne ce disque. TV Slim brouillant lui-même les pistes dans ce qui semble être sa seule interview publiée dans Blues Unlimited (n°55 de juillet 1968). Tout ce brouillon du début ne l’empêche pas d’avoir un petit succès en 1957 avec Flat Foot Sam qui raconte les problèmes d’un gars qui se retrouve toujours dans le pétrin. Mira Smith, qui était la proprio de Ram Records, créé un nouveau label en partenariat avec Cliff Hagen : Clif Records qui enregistrera ce titre sous le nom de TV Slim and the Heartbreakers, résonnant dans la région de l’Arkansas, du Texas et de la Louisiane, notamment grâce à une forte promotion dans l’émission de Stan Lewis (fondateur du label Jewel Records en 1963 à Shreveport en Louisiane et deux filiales : Paula Records en 1965 et Ronn Records en 1967) sur KWKH à Shreveport. Comme ce dernier a dans son carnet d’adresse un certain Leonard Chess, il lui demande s’ il ne veut pas le louer pour une promo plus nationale (pratique courante à l’époque). Le père Chess trouve certainement le morceau un peu trop « déchiqueté » pour le publier tel quel et demande à Oscar s’ il ne voudrait pas le ré-enregistrer. Voilà notre compère en direction de La Nouvelle-Orléans pour une seconde prise avec le groupe de Cosimo Matassa (1926-2014). Il était un ingénieur du son et producteur américain qui a joué un rôle crucial dans le développement de la musique à La Nouvelle-Orléans. Matassa est surtout connu pour avoir enregistré et produit de nombreux disques de R&B et de Rock’n roll à partir des années 1940 jusqu’aux années 1960, en travaillant avec des artistes tels que Fats Domino, Little Richard et Ray Charles). C’est ce qui va lui donner l’ampleur que souhaitais Leonard Chess. Enregistrée en 1957 donc, cette nouvelle version comprenait Robert Parker sur un sax ténor déchirant et funky, endiablé par la batterie de Charles Williams et le jeu incisif de Wills. Comme Oscar Wills n’avait enregistré qu’une seule chanson dans cette session néo-orléanaise, l’autre face sera remplie par un instrumental de Paul Gayten – Nervous Boogie – lui qui avait produit et joué du piano sur la session de juin de TV Slim. De nombreuses versions sortiront par la suite sous des noms à peine déguisés comme cette version tonitruante de 1959 intitulée Flat Foot Sam Met Jim Dandy qui n’aura rien à envier à des enregistrements de Lafayette Thomas, Pete Lewis (qu’on retrouve sur un enregistrement de 1966 sur le label Excell pour une autre version de Flat Foot Sam en face B du “T.V Sam”) et autres Sly Williams alias Cleo Page. Sans le savoir, le père Slim venait en 2mn30 d’écrire une partie de l’index du Rock’n’roll qui servira de leçon pour beaucoup de ses apprentis comme de ses vedettes. Tommy Blake, les Earl Reed’s Rhythm Rockers, Mickey Murray,… Brian Setzer se la joueront sous toutes les coutures. C’est le seul titre qui donne à TV Slim un petit succès malgré la flopée de morceaux enregistrés sur tout un petit tas d’autres tout petits label (Excell, Pzazz, Ideel, Timbre, …) et qui méritent tout autant qu’on y prête une oreille attentive pour y déceler un jeu incisif, rugueux et diablement rythmique par un personnage qui ne devait rien à personne et pouvait écrire et jouer ce que bon lui semblait puisque, économiquement, il était indépendant. Le 21 Octobre 1969, alors qu’il rentre d’un concert donné à Chicago, il s’endort au volant de sa voiture et se scratche à la sortie de Kingman en Arizona. Sur la route 66… – Patrick Derrien


Various Artists

Down-Home Blues Queens

Solo Blues Records SBC 001 – www.soloblues30.com

Les fans de pre-war Blues et des catalogues Vocalion ou Paramount vont se régaler. Le magazine espagnol Solo Blues, avec à sa tête notre ami Javier Rodriguez, nous propose « Down-Home Blues Queens », un album de 19 titres réunissant les chanteuses emblématiques entre 1928 et 1940. On y retrouve Memphis Minnie, Ma Rainey, Geeshie Wiley, Mattie Delaney ou encore Bertha Chippie Hill, parfois accompagnées de légendes comme Charley Patton, Blind Blake ou Tampa Red. Memphis Minnie, figure importante dans l’histoire de la musique populaire afro-américaine, est présente sur trois de ses titres avec Chikasaw Train Blues, Georgia Skin et Ma Rainey, qui témoignent de son immense talent. Le compilateur nous propose également des enregistrements rares comme Last Kind Words de Geeshie Wiley, ou encore ceux de Mattie Delaney, Ruth Willis, et Bertha Lee accompagnée par Patton. Quant à Ma Rainey, elle impressionne par sa force et sa conviction dans Black Eye Blues et Farewell Daddy Blues. Au final, cette compilation précieuse et généreuse, rend justice à ces formidables artistes bien trop vite oubliées. Voici un trésor sonore accompagné par un livret incluant les paroles. Attention, il s’agit d’un tirage limité, pour se procurer la nouvelle production du magazine ibérique, il vous suffira de vous rendre sur son site internet. – Jean-Luc Vabres


Earl Gaines / Shy Guy Douglas

Complete Recordings 1953-1962

Jasmine Records JASMCD 3290 – www.jasmine-records.co.uk

Earl Gaines (1935-2009) et Shy Guy Douglas (1917-1984) : deux artistes associés à la scène blues et soul de Nashville aux destins différents. Si le premier, actif jusqu’au début des années 1970, a pu amorcer une deuxième carrière dans les années 1990 et 2000 et toucher un public nouveau, le second a disparu de la scène musicale dès la fin des années 1960. C’est comme chanteur au sein du groupe du saxophone ténor Louis Brooks and his Hi-Toppers, sous contrat avec Excello, que Earl Gaines se fait connaître en 1955. Première chanson, It’s love baby (24 hours a day) et premier tube. Dans un style qui conjugue la puissance des blues shouters et la sophistication des jeunes Bobby Bland et Junior Parker. Ce titre accompagnera Earl Gaines toute sa vie – avec une percutante relecture dès 1962 – tout comme l’excellent Best of luck baby trois ans plus tard pour Champion. Sitting here drinking, Three times seven (avec sa voix doublée), Let me down easy, se détachent aussi du lot. Plus ancré dans un blues racinien, Thomas “Shy Guy” Douglas enregistre sous la houlette du producteur Ted Jarrett d’excellents titres – plus confidentiels – pour Excello/ Calvert/ Chane. Earl Gaines est parfois présent à la batterie, mais ce sont surtout les guitares des frères Arthur et Little Al Gunter qui illuminent I’m your country man, No place like home, She’s my kinda girl. Les 45 tours originaux de ce chanteur harmoniciste sont devenus des pièces rares, tout comme le caverneux Let’s rock’n’roll. En 2004, Black Magic publiait « Stone doin’ alright », une anthologie couvrant aussi sa période des années 1960. L’ensemble est susceptible de plaire autant aux amateurs de blues qu’à ceux de rock primitif et de rockabilly.Dominique Lagarde


Linda Hopkins   

Get Off My Wagon     

Jasmine Records JASMCD 3269 – www.jasmine-records.co.uk

Ah ! Linda Hopkins… Souvenirs, souvenirs… Je me rappelle un concert de mars 1988 où elle fut absolument formidable, accompagnée superbement par Lee Allen (saxo ténor) et Irvin Stokes (tp) : le pied ! Comme on disait dans un autre magazine… Née à La Nouvelle-Orléans (comme les meilleurs) en décembre 1925, elle est remarquée par Johnny Otis (comme beaucoup) en 1950 et elle débute chez Savoy (avec les deux premiers titres du cd en 1951) et c’est tout de suite le succès. Ce CD présente 29 titres de solide rhythm’n’blues par une chanteuse de grande classe : des ballades, du rock’n’roll, quelques titres un  peu « faiblards » comme l’inévitable Danny Boy, mais l’ensemble est de haut niveau et constitue un disque incontournable (1951- 1962). Elle continua une très longue carrière avec des enregistrements chez Brunswick, puis RCA et Columbia. Nous la vîmes aussi au cinéma et au théâtre dans une comédie musicale – «  Wild Women Blues » – avant de disparaitre, à 92 ans, en 2017. Une femme remarquable et une très grande chanteuse. – Marin Poumérol


Stevie Wonder

1962 Fingertips – Soul – Hallelujah I Love Her So

Frémeaux & Associés FA5898 – www.fremeaux.com

Steveland Hardaway Judkins naît prématuré le 13 mai 1950 à Saginaw, Michigan. Placé en couveuse, un mauvais réglage de l’oxygène est alors responsable de la cécité du nouveau-né. Le gamin se plonge très tôt dans la musique. Il apprend à jouer de l’harmonica et de la batterie. Puis il se met au piano pour imiter son idole Ray Charles. En outre, il chante dans la chorale de son église pentecôtiste. Ronnie White, membre des Miracles, le repère et présente cette petite pépite surnommée “The 12-year old Genius”, à Berry Gordy qui le signe sur sa firme de disques Tamla Motown. Berry Gordy baptise son jeune protégé “Stevie The Little Wonder”. Ainsi Stevie Wonder n’a pas encore douze ans quand apparaît dans les bacs des disquaires son excellent premier 45 tours, I call it Pretty Music, but the Old People Call it the Blues (Part 1 and 2). Deux autres 45 tours un peu moins bons suivront. Ces trois disques sont publiés sur ce CD. Cette même année 1962, Tamla, voulant profiter de l’immense talent de son Mozart, publie deux albums ici reproduits : « The Jazz Soul Of Little Stevie » et « Tribute To Uncle Ray ». Le premier disque est entièrement instrumental. Les neuf titres sont des compositions de Little Steve Wonder. On y sent une forte influence de Quincy Jones et Lalo Schifrin. Une preuve de bon goût ! Que ce soit au piano, à l’harmonica, à l’orgue ou aux percussions très présentes dans les arrangements, les dons éclatants de cet enfant précoce sont manifestes. Le second album de cette même année 1962, « Tribute To Uncle Ray », permet de découvrir les prémisses du chanteur que Little Stevie Wonder allait devenir une fois la mue de sa voix réalisée. Il interprète avec brio dix chansons du répertoire du Genius, un de ses modèles. Il reste très fidèle à l’original ; sa voix encore prépubère n’a pas la profondeur de celle de Ray Charles. Mais quel talent ! Malgré ses grandes qualités, ce disque ne rencontra pas le succès public escompté. Ce n’était que partie remise. Little Stevie devint grand et une super star, Steve Wonder. Les 45 tours originaux sont relativement rares. Les anciens possèdent probablement les deux 33 tous. Sachez que les cds Soul Jam 6000829 et Jasmine CD273, tous deux publiés en 2013, sont identiques. Un CD à acquérir, même si je déplore l’absence du moindre renseignement concernant les musiciens qui accompagnent Stevie Wonder. – Gilbert Guyonnet


Various Artists

The Songs That Shaped The Yardbirds

Jasmine Records JASMCD 3309 – www.jasmine-records.co.uk

Nombre de chansons qui ont façonné les Yardbirds sont familières des amateurs de blues et de rhythm’n’blues. Avec le temps et au fil d’innombrables rééditions, les versions originales par les Bo Diddley, Howlin’ Wolf, John Lee Hooker et autres sont désormais plus connues que les reprises par les britanniques. Ce qui devait être l’inverse à l’époque. Le maître a dépassé l’élève et repris possession de son bien. À leur crédit, les Yardbirds avaient l’originalité d’étirer leurs morceaux sur scène, en de longues improvisations dans lesquelles aucun de leurs contemporains n’osait encore s’engager. La reprise de A Certain Girl d’Ernie K-Doe donna lieu au premier solo de guitare enregistré d’Eric Clapton. Apprécions sur ce disque quelques originaux moins connus tels Putty In Your Hands des Shirelles, Humpty Dumpty, un rock-steady de Eric Monty Morris, le Respectable des Isley Brothers, Good Morning Little Schoolgirl de Don & Bob, Someone To Love Me de Snooky Pryor ou Bottle Up And Go revu par Snooks Eaglin. Les Yardbirds, période Clapton ou Jeff Beck, n’ont pas réalisé ces vingt-neuf titres dans des versions studio aujourd’hui bien référencées. Il faut parfois aller chercher sur des disques en public, officiels ou non, ou des sessions pour la BBC, afin de retrouver la trace de leurs adaptations. Autre temps fort de leur légende, l’enregistrement d’un album avec un Sonny Boy Williamson II alcoolisé et peu amène à leur égard. – Dominique Lagarde


Pambelé

Damelo

La Ruche/Le Label

Premier album pour un groupe effervescent un rien hypnotique et aussi dense en influences qu’une jungle Colombienne. La Cumbia bien sûr, en premier plan, on ne vient pas de n’importe où et si on se ballade dans des ascendances afro-colombiennes assumées, on laisse la porte ouverte à d’autres sonorités musicales. En naviguant ainsi entre différentes aires de jeux, Pambelé pourrait se perdre dans la facilité mais c’est sans compter sur des musiciens aguerris des studios et collaborations multiples qui donne ce ton irrésistible de frénésie caribéenne. C’est frais et dansant, débridé et effréné. La gaita (sorte de flûte traditionnelle) revisite quelques sons psychés bien sentis, quand la rythmique louche furieusement vers Féla Kuti ou qu’un orgue se prend parfois pour R. Manzarek, le tout chaudement materné par la voix suave d’une chanteuse (Yomira John). On peut alors sans conteste affirmer que ce premier album de huit titres est exquis et totalement réussi. Le groupe composé de sept musiciens venus pour la plupart de Colombie tire son nom “Pambelé Kid” du boxeur Antonio Cervantes, originaire de Palenque de San Basilio, un petit bled fondé par des esclaves fugitifs et berceau de la culture créole afro-caribéenne. Ce n’est pas tous les jours qu’on a un héros représentant l’espoir de milliers de Colombiens ; se servir de son surnom est un hommage certain à une culture de l’indépendance, mais aussi à celle du sauvage et de la nature, éminemment présente sur l’instrumental Pajaros Nocturnos (Nights Owls). « Damelo » est édité par La Ruche-Le Label basé en région Lyonnaise et se dit « d’éclosion ». On veut bien le croire. – Patrick Derrien


Duke Ellington

Columbia Vocal Rarities   

Jasmine Records JASMCD 2850 www.jasmine-records.co.uk

 

Duke Ellington     

Great times On Mercer   

Jasmine Records JASMCD 2842 – www.jasmine-records.co.uk

Deux cds de Duke qui peuvent être chroniqués ensemble. Le premier composé de faces Columbia enregistrées de 1947 à 1961 qui présente divers vocalistes habituellement peu représentés chez Ellington. En effet, Nat King Cole, Woody Herman, Betty Roche, Milt Grayson, Dolores Parker, Lloyd Oldham ou Margaret Tymes ont plus que rarement chanté dans l’orchestre de Duke, mais ils y sont très à l’aise. D’autres comme Lil Greenwood , Jimmy Grissom ou Sarah Vaughn y sont bien habitués. 29 titres et finalement un très bon CD avec tous ces chanteurs de qualité.
Dans le second CD, Duke fait une petite incartade – alors qu’il était sous contrat chez Columbia – en créant le label Mercer, du nom de son fils, label qui ne dura qu’une année : 1950-1951 . Il enregistra sous différents noms : “The Coronets”, “Billy Strayhorn and His Allstars”, “Oscar Pettiford and His Cello Quartet”, en donnant la vedette aux musiciens nommés ici. On trouve sur ces faces moins connues plus de liberté, de fantaisie, car ce sont toujours de petites formations. Oscar Pettiford est superbe en soliste sur les cinq premiers titres avec Joe Jones aux drums. Le fiston Mercer peut lui aussi s’exprimer ainsi que Wild Bill Davis et Billy Strayhorn en tant que leader sur sept faces avec Wendell Marshall à la basse. Ce ne sont pas là les plus grands disques du Duke, mais tout amateur de jazz classique ne peut qu’éprouver un grand plaisir à les entendre. – Marin Poumérol


Bob Dylan

Greenwich Village, Live, November 1961

Jasmine Records JASMCD 1250 – www.jasmine-records.co.uk

Plusieurs fois réédité, partiellement ou en totalité, ce concert inaugural de Bob Dylan au Carnegie Chapter Hall de Greenwich Village à New York allait marquer les esprits des spectateurs présents et lancer sa carrière avant même la sortie de son premier album. Selon le livret, seulement cinquante trois billets se seraient écoulés en pré-vente. Un vide apparemment comblé par les spectateurs de dernière minute. De quoi rassurer le folkloriste et producteur Izzy Young, promoteur du spectacle. Alors âgé de vingt ans et quelques mois, Dylan possède déjà un art consommé de la scène, de l’échange avec le public. Les réflexions entre les chansons, les silences, les faux départs, la guitare à accorder sont encore du Dylan. L’influence de Woody Guthrie est alors prépondérante, les reprises majoritaires, malgré deux créations, Talking Bear Mountain Picnic et Song to Woody. Avant cette soirée du 4 novembre, Bob a déjà mis dans sa poche l’influent critique et futur biographe Robert Shelton. À mesure que le show avance, Dylan se fait plus intime, plus confident encore avec le public, jusqu’au poignant Black Cross adapté du comédien et poète Lord Buckley ; l’histoire d’Hezekiah Jones, fermier noir pendu pour avoir propagé le bien, sans rien attendre en retour, mais dont le seul tort aux yeux de ses bourreaux fut de ne pas avoir mis Dieu de son côté. – Dominique Lagarde


Une histoire du jazz   

Laurent Cugny    

Frémeaux & Associés FAL 3240 – www.fremeaux.com

Il s’agit ici « d’une histoire » du jazz comme le dit le titre et non « de l’Histoire » du jazz. Avec un autre auteur, ce serait une histoire différente… Laurent Cugny est un professeur émérite à La Sorbonne, pianiste et ancien chef d’orchestre de l’Orchestre National de Jazz et qui a une vue très intellectuelle de la chose, comme le dit Patrick Frémeaux : « de l’esclavage au label ECM », ce qui ne me semble pas être une fin en soi. Le jazz est avant tout une musique d’origine afro-américaine dans laquelle les influences européennes sont secondaires, c’est pourquoi je trouve que l’auteur donne trop de place à ces musiciens comme Angelo Debarre et ce Raffalli dont cinq CD sont cités. De nombreux enregistrements sont évoqués, mais ce sont tous des éditions Frémeaux & Associés, ce qui limite le choix et la validité de l’expression, car on trouve d’autres excellentes productions de l’œuvre des géants comme Ellington, Basie, Clifford Brown (un peu trop absent), Don Wilkerson (absent) et bien d’autres. Malgré tout, ce livre peut-être un excellent point de départ pour quelqu’un qui voudrait s’intéresser au Jazz et en comprendre toute l’histoire, mais, comme le titre le suggère, ce n’est qu’une histoire possible parmi d’autres… – Marin Poumérol