Don Bryant

Don Bryant. Lucerne Blues Festival, novembre 2017. Photo © Philippe Prétet

Artisan de la Soul

• Don Bryant est resté dans l’ombre des studios Hi de Memphis de nombreuses années. Après quelques 45 tours et un album solo en 1969 – « Precious Soul» – il change de casquette et, sous la houlette de Willie Mitchell, il compose alors pour des artistes comme Solomon Burke, Albert King, Etta James, O.V. Wright, Otis Clay ainsi que pour son épouse Ann Peebles pour laquelle il cosigne en 1973 le tube planétaire I Can’t Stand The Rain. Nous devons son retour sous les feux de la rampe au label Fat Possum qui sort en 2017 un magnifique enregistrement intitulé « Don’t Give Up On Love », superbement bien accueilli des deux côtés de l’Atlantique. S’ensuit une première escapade sur le Vieux Continent. Il était en septembre dernier à l’affiche de Jazz à la Villette à Paris où il fit une mémorable prestation. Cet « artisan de la Soul » revient en Europe deux mois plus tard à l’occasion de la nouvelle édition du Lucerne Blues Festival, suite à la défection de Denise Lasalle alors gravement malade.
La veille de cet entretien dans son hôtel, il avait gratifié le public du Lucerne Blues Festival d’une prestation d’anthologie aux côtés du bassiste et producteur Scott Bomar et de sa formation, les Bo-Keys. Don Bryant le savait, ce soir-là, il jouait gros. Il était dans le temple de son ami – le regretté Otis Clay – qui fut invité maintes fois à se produire en Suisse (l’icône de la Soul de Chicago était très proche de Guido Schmidt et Martin Bruendler, les boss du prestigieux événement). Avant d’interpréter It Was Jealousy, Don Bryant lui rendit hommage en évoquant sa mémoire et l’empreinte indélébile qu’il a laissée à Lucerne. avec ces mots : « Nous étions très proche mon épouse, Anne Peebles, et moi d’Otis Clay. Il a beaucoup tourné avec elle, nous nous retrouvions tous ensemble au fil de nos engagements. Otis était une belle personne, sensible et généreuse. On discutait et on voyageait ensemble, je me rappelle un bon séjour passé à ses côtés à Detroit. Il avait cette voix et ce son unique qui font l’étoffe des plus grands, son répertoire force le respect, lorsque vous écoutez ses chansons, sa griffe est inimitable ». Sa prestation exécutée de main de maître, nous nous retrouvons le lendemain dans le salon de son confortable hôtel. Il est 11h du matin, il commande un café, l’homme est affable et d’un extrême gentillesse, le soulman de Memphis est visiblement heureux de son concert ainsi que de son séjour en terre helvète.

La cheville ouvrière des studios Hi

« Avec mon épouse, nous avons beaucoup tourné ensemble. Je faisais ses premières parties, mais très tôt j’ai décidé de me concentrer sur l’écriture de chansons. Très rapidement, cela a fonctionné et ma carrière de chanteur a été mise entre parenthèses. Au final, l’écriture a pris le pas sur mes prestations sur scène, ce que je vis désormais sur scène est comme une sorte de renaissance. À mes yeux, la musique est un tout. Que je compose ou que je sois sous les projecteurs, cela me plaît tout autant. Je chante de la Soul, du Blues et du Gospel. À mes yeux, c’est une seule et même musique, celle que je chérie le plus. Lorsque j’étais avec la formation des Four Kings, à mes tout débuts, mon répertoire était uniquement sacré. J’avais alors besoin de spiritualité, j’adorais les chœurs, cette passion pour la musique qui pour moi représente un tout me fait encore frissonner de plaisir aujourd’hui. Quelle que soit l’audience, dans une église ou face à un public, je donne et reçois toujours autant de belles vibrations. Avec Willie Mitchell, c’était simple de travailler. Il me laissait une entière liberté. Je connaissais en plus personnellement les artistes pour lesquels il fallait que je compose des morceaux, tandis que pour les nouveaux venus sur son label, il me prévenait toujours en amont et me disait quels étaient ses projets et pour qui je devais commencer à écrire. Ayant des relations très proches avec les artistes de chez Hi Records et connaissant leurs différents styles, je savais ce qu’ils recherchaient et quel type de compositions leurs conviendraient le mieux à leurs répertoires. Donc, j’avais toujours des chansons en réserve. Même si un artiste venait avec ses propres morceaux, il en manquait généralement quelques-uns pour faire tout un album, je faisais alors des propositions grâce à mes textes déjà préparés. De toute façon, je n’étais pas tout seul. D’autres compositeurs étaient avec moi, notamment Earl Randle qui était l’un des tout meilleurs. Nous étions à chaque fois deux ou trois à être aux côtés d’un artiste pour lui faire différentes propositions, pour trouver ce qui lui convenait le mieux, on faisait du “sur-mesures” pour ainsi dire. Nous venions tous les jours au studio. Sur place, une pièce nous était dédiée, nous faisions des démos avec les artistes, nous aidions également à la mise en place des cordes lorsque cela était nécessaire, ensuite nous faisions avec les artistes des propositions à Willie Mitchell ; s’il était d’accord, tout allait ensuite très vite ! »

Don Bryant, photo promotionnelle, années 60. Collection Gilles Pétard.

La belle histoire de I Can’t Stand The Rain

« Nous devions nous rendre avec mon épouse et des amis – dont notamment le DJ Bernard Miller – à un concert de Bobby Bland au Coliseum de Memphis. Quelques minutes avant de partir, il s’est mis à pleuvoir très fort avec des éclairs et du tonnerre, cela n’en finissait pas. Ce n’était pas qu’une simple averse, au point que l’on se posa la question de savoir si on annulait notre déplacement ou pas. En pleine discussion, alors que nous décidions de rester au sec, la petite phrase qui allait faire un sacré bout de chemin arriva de la part de mon épouse Ann Peebles : “ Je ne supporte pas la pluie ! ”. Aussitôt, j’ai eu le déclic en pensant que cela ferait un titre idéal pour une chanson. Immédiatement, je me suis au piano et j’ai commencé à improviser sur quelques accords en chantant “I Can’t Stand The Rain”. Tous mes amis qui étaient à la maison ce soir-là écrivaient des chansons et on était tous d’accord de garder ce thème principal de la pluie. Lorsque j’ai continué à travailler sur ce titre, je savais que l’on tenait une bonne composition, je l’ai donc proposée à Willie Mitchell qui a dit “oui” de suite. Mais nous étions loin de penser à un tel succès. Beaucoup de bonnes chansons mentionnaient déjà la pluie, ou des balades sous la pluie ou même le souhait que la pluie arrive. Ce que je voulais faire était plutôt de souligner l’aspect négatif de la pluie et pourquoi on ne l’aime pas. Visiblement, vu l’ampleur du succès, nous étions dans le vrai en choisissant cette option. »

Don Bryant et les Bo Keys, Lucerne Blues Festival, novembre 2017. Photo © Marcel Bénédit

Le retour sur le devant de la scène

« Je connais Scott Bomar depuis de nombreuses années. J’ai fait avec lui des maquettes et même des spots publicitaires. Je savais que quelques-uns de mes amis – dont le batteur Howard Grimes – travaillaient régulièrement à ses côtés. C’est sur leurs conseils que Scott entra en contact avec moi et me fit des propositions. Au début, à vrai dire, je n’étais pas trop intéressé. Puis en y réfléchissant j’ai pensé qu’il était peut-être temps pour moi d’entrer à nouveau en studio après toutes ces années à composer pour les autres. J’écoute beaucoup la radio et je n’entends pas trop de Soul comme on en faisait à l’époque. Donc je me suis dit que c’était peut-être le moment de remettre au goût du jour ce bon vieux R&B. Maintenant, depuis la Suisse, je peux vous dire que je suis plus qu’heureux de la tournure des événements et que le travail réalisé grâce à Scott a porté ses fruits. Je lui en suis très reconnaissant. Ce qu’il a fait sur l’album est extraordinaire. Il me rappelle Willie Michell à sa façon de travailler. Scott connaît tous les musiciens qui ont forgé le son Hi Records. Tous d’après ses dires lui mentionnaient régulièrement mon nom. C’est la raison pour laquelle il m’a fait cette proposition d’enregistrer à nouveau pour une session de pure Memphis Soul. Face à l’accueil très positif de l’album, nous avons décidé d’entrer à nouveau en studio dans un futur proche, l’aventure pour ainsi dire continue ! Je tiens également à préciser qu’entre mon premier album paru chez Hi paru en 1969 – « Precious Soul » – et cette session « Don’t Give Up On Love » chez Fat Possum Records, j’ai également enregistrés des CD de Gospel. Par exemple, j’ai composé How Do I Get There ?, en mélangeant des inflexions venant du Gospel et bien sur de la Soul, qui touche – j’en suis sûr – l’âme des gens. Otis Clay et tant d’autres ont réussi cette alchimie, c’est pour cela que leurs titres sont devenus intemporels. J’ai toujours en tête des compositions et des mélodies, je n’arrête pas de penser à de nouvelles chansons, donc de me retrouver à nouveau en studio est toujours un plaisir. Je ne suis jamais pris de court quand il faut proposer de nouvelles compositions. Dès que j’ai le premier couplet, généralement je tiens une chanson. Je me mets au piano chez moi, je l’enregistre alors par petits bouts, jusqu’à ce que je sois pleinement satisfait, c’est ma façon de travailler ! Tout ce qui arrive en ce moment, je l’attendais depuis pas mal de temps. Ce déplacement en Suisse est superbe, tout comme notre venue à Paris il y a quelques semaines. Ce séjour à Lucerne, je l’espérais, mais nous avons tout plein de choses à faire en même temps et parfois certains choix sont difficiles à caler dans nos agendas. »

Don Bryant et Scott Bomar, Lucerne, Switzerland, novembre 2017. Photo © Philippe Prétet


Par Jean-Luc Vabres
Merci infiniment à Don Bryant, Scott Bomar, Martin Bruendler, Guido Schmidt et Gilles Pétard