Eddie Cotton Jr.

Eddie Cotton Jr., Chicago Blues Festival, La Coop de Mai, Clermont-Fd, 30 novembre 2016. Photo © Yann Cabello

Un enfant de Jackson, Mississippi

• Né en 1970 à Jackson, Mississippi, Eddie Cotton Jr. a été élevé en chantant le gospel. Il a étudié la musique à la Jackson State University tout en officiant dans la paroisse de son père, pasteur, et en jouant le blues en parallèle à la maison. C’est est un artiste un peu à part, avec un timbre de voix qui n’est pas sans rappeler parfois un certain Bobby “Blue” Bland, comme cela est évident sur le morceau titre de son album « Here I Come » de 2014 par exemple, et il s’accommode à merveille d’un répertoire soul, même si le blues n’est jamais loin. Excellent guitariste, c’est aussi un showman de premier ordre, comme nous l’avions constaté sur la grande scène du Chicago Blues Festival dans Grant Park. Musicien désormais unanimement reconnu, il était en tournée avec le Chicago Blues Festival Tour 2016 en compagnie notamment de Grady Champion et de Diunna Greenleaf. L’occasion de faire plus ample connaissance avec lui lors de son concert du 30 novembre 2016 à La Coop de Mai, Clermont-Ferrand. Cette discussion aurait pu durer des heures tellement cet artiste est disponible et passionné, un vrai régal. La vue de King Edward en couverture d’un précédent numéro d’ABS Magazine, par exemple, lui procurera la plus grande émotion, et pour cause…

Eddie, vous êtes un bluesman du Mississippi. Tout le monde sait que cet État est le berceau du blues. Ou en est le blues aujourd’hui dans le Mississippi ?
Après une période très difficile dans les années 80 et 90, il semblerait qu’il y ait un renouveau. Il y a de nouveaux artistes très prometteurs aussi bien dans le style traditionnel que dans des styles modernes, comme nous-mêmes, Grady Champion et moi. J’ai joué ma première date grâce à King Edwards en 1991. Je pense que j’étais alors le plus jeune et peut-être bien le seul nouveau bluesman dans la région de Jackson. J’ai joué avec Grady à partir de 1998, mais on était bien seuls. Les autres musiciens de nos âges ne s’intéressaient pas au blues. Moi, je connaissais bien le gospel, mon père étant le pasteur d’une église dans je chantais avec lui depuis mon enfance. Mais c’est ma rencontre avec le chanteur-guitariste King Edward qui a réellement déclenché ma passion pour le blues. Le feeling et l’émotion qu’il véhiculait ont été un véritable choc pour moi. Je n’avais jamais rien entendu de pareil ! Je savais déjà jouer de la guitare, mais pas de cette façon là. J’ai compris qu’il me restait un monde à explorer. Bien sûr, j’avais entendu B.B. King, Albert King et bien d’autres, mais là, ça a été une révélation. Je suis souvent retourné l’écouter et il m’a appris bien des choses.

Eddie Cotton Jr, New Orleans Jazz & Heritage Festival, 4 mai 2017. Photo © Robert Sacré

Vous aviez appris la guitare pour en jouer dans votre église ?
Oui, dans cette église qui était une C.O.G.I.C (NDLR : Church Of God In Christ). Des prêcheurs venaient souvent, qui s’accompagnaient à la guitare. Et c’est en les écoutant que je suis tombé amoureux de cet instrument et que j’ai commencé à en jouer dans cette église.

Et lorsque vous vous êtes finalement tourné vers le blues, cela a t-il posé des problèmes vis à vis de l’église, ou par rapport à votre père ?
Non, pas vraiment. Ces musiques sont très semblables. Les accords et les progressions harmoniques se ressemblent. On peut jouer les deux styles sans problème et la vieille histoire de « musique du diable » appartient au passé. On ne m’a jamais reproché de faire du blues et j’ai pu continuer à m’occuper de l’église où j’ai pris la suite de mon père qui m’a d’ailleurs toujours soutenu. Quand je joue du blues, c’est plus personnel, plus proche de la vie de tous les jours. Avec le gospel, je dois faire attention à ne pas heurter certaines sensibilités, être moins terre à terre, c’est normal quand on parle du ciel ! On évite les histoires de sexe, si importantes dans le blues…

Vous êtes l’auteur de quatre CD bien accueillis par la critique et le public dont le dernier date de 2015 ?
Attendez ! J’en ai fait cinq si on compte le tout premier « You’re The Girl » qui n’est pas tout à fait comme j’aurai voulu, mais on était un peu juste financièrement, et lorsque je l’écoute aujourd’hui je me rends compte que j’étais encore en période d’apprentissage. Puis il y a eu « Live at the Alamo » en 2000, « Extra » en 2002, « Here I Come » en 2014, puis « One At A Time » en 2015 qui représente bien ce que je fais actuellement. J’ai appris beaucoup et j’ai pu rectifier les erreurs que je faisais dans ce premier CD.

Eddie Cotton (au centre) avec Grady Champion (à gauche) et Diunna Greenleaf (à droite). Chicago Blues Festival, La Coop de Mai, Clermont-Fd, 30 novembre 2016. Photo © Yann Cabello

Vous avez fondé avec votre ami Grady Champion votre propre label, DeChamp Records. Quelles sont vos objectifs ? Un nouveau Malaco ?
Oui. Nous avons déjà plusieurs disques sur ce label qui d’ailleurs est distribué par Malaco. Mais nous avançons doucement, prudemment. Pour boucler le budget, il faut vendre des disques, faire de la publicité, trouver des talents nouveaux. C’est bien parti, nous avons enregistré une tès belle jeune artiste, J.J.Thames, dont on commence à parler dans les médias, et nous voulons concentrer nos efforts sur le blues sous ses différents aspects.

Chez vous, à Jackson, les radios et télés peuvent-elles aider à votre diffusion ?
Oh ! Vous savez, les radios ne diffusent que très rarement du blues. On entend du hip hop, des raps, mais le blues, qui est pourtant à la base de tout, reste rare. Beaucoup d’artistes dits de R&B qui passent dans les shows télévisés sont de jolies filles qui remuent leur dérrière sur une musique d’où le feeling est absent. Je dis 10% de talent et 90% de business. Pour nous, il reste les clubs qui sont moins nombreux qu’il y a quelques années et les festivals et aussi, heureusement, des tournées comme celle-ci qui nous permettent de toucher de nouveaux publics. Mais bon, cette musique a traversé un siècle avec des hauts et des bas, elle continuera. Il y a pas mal de jeunes aux concerts et, ce qui est amusant, c’est le public des casinos qui comprend des gens de tous les âges qui viennent jouer en écoutant de la musique : c’est un très bon public !

King Edward, dont nous avons parlé, par exemple, n’est jamais venu en France ?
Je vous dirai que dans ce business comme dans les autres, il y a des « politics » qui font que certains artistes restent dans l’ombre à cause d’agents qui ont d’autres intérêts ou qui soutiennent des artistes pour des raisons autres qu’artistiques. Parce que pour moi, King Edward reste l’un des plus grands et « il est le blues » des pieds à la tête. Peut-être est-il trop blues pour certains ? Rarement un musicien m’a fait une telle impression.

De gauche à droite, Jarekus Singleton, Eddie Cotton Jr., Derrick « D’Mar » Martin (drums). Chicago, juin 2011. Photo © Marcel Bénédit

Avez-vous gardé des liens avec votre ancien batteur, qui vous accompagnait sur la grand scène, à Chicago ? Il jouait à Porretta lors du soul festival 2016, ses prestations furent très remarquées.
Ce type est le meilleur drummer avec qui j’ai pu jouer, il est génial et d’une grande gentillesse. Oui, à mon plus grand désespoir, il ne joue plus avec moi mais nous n’avons pas perdu le contact, nous sommes restés très amis. Il vit maintenant à Los Angeles.

Je crois que votre fils vous accompagne à la batterie sur cette tournée du Chicago Blues Festival Tour ? Le blues reste donc une affaire de famille ?
Oui, c’est un excellent batteur. Il ne porte pas le même nom que moi car c’est le fils de ma seconde femme, mais il avait deux ans lorsque j’ai commencé à m’occuper de lui et, depuis, nous nous entendons très bien. La musique l’a passionné rapidement et il est très heureux de venir en tournée avec nous.


À écouter

• Eddie Cotton, « Live At The Alamo Theater » – Proteus Productions PPCD 1000 (2000)
• Eddie Cotton, « Extra » – Undadawg Records 6039CD (2002)
• Grady Champion, featuring Eddie Cotton Jr., « Back In Mississippi : Live at the 930 Blues Cafe » – Grady Shady Music GSM-7400 (2008)
• Eddie Cotton, « Here I Come » – DeChamp Records DC100114 (2014)
• Eddie Cotton Jr., « One At A Time » – DeChamp Records DC100315 (2015)


Par Marin Poumérol
Remerciements à l’équipe de La Coop de Mai, à Guillaume Tricard et Guillaume Fontenille (Jazz Me Blue Concerts) et à Yann Cabello