Malaco Records

Marker Malaco Records, Jackson, Mississippi. Photo © Gilbert Guyonnet

Le phénix

• Le 15 avril 2011, une tornade, comme le sud des États-Unis en connaît souvent, s’abat sur une partie de Jackson (Mississippi). Les locaux de Malaco Records, situés 3023 W. Northside Drive, loin du centre, sont détruits. Wolf Stephenson (le directeur) et une quinzaine d’employés présents sont heureusement indemnes, tous bien décidés à reconstruire les bâtiments et à relancer l’activité de ce lieu important de la musique sudiste afro-américaine. Une visite impromptue le 25 avril 2016 dans l’édifice rebâti nous a incités à faire le point sur Malaco Records.

Studios Malaco détruits par la tempête, avril 2011. Photo courtesy of Wolf Stephenson.
Nouvelle salle de mixage des studios Malaco reconstruits, en 2017. Photo courtesy of Wolf Stephenson.

Au début des années 60, Tommy Couch et Gerald “Wolf” Stephenson, étudiants en pharmacie à Ole Miss, l’Université du Mississippi sise à Oxford, sont responsables d’une association étudiante. À ce titre, ils organisent des concerts. Un virus incurable s’instille alors dans leurs veines : la Musique. Quand les deux amis, une fois leurs diplômes en poche, gagnent Jackson (Mississippi), ils décident de poursuivre leur activité d’organisateurs de concerts. Un troisième larron se joint à eux : Mitchell Malouf, beau-frère de Tommy Couch. Ainsi naît MAL(ouf)A(nd)CO(uch). Ils louent un local désaffecté, 3023 W. Northside Drive, à Johnny Vincent, boss d’Ace Records. Cet entrepôt devient en 1967 un studio d’enregistrement dont l’activité va remplacer celle d’organisation de concerts. Les premiers enregistrements importants datent de 1969 : Alexander “Papa George” Lightfoot le 21 juillet (album Vault intitulé « Natchez Trace ») et Fred McDowell du 8 au 10 septembre, dont Capitol publiera le superbe « I Do Not Play No Rock ‘n Roll ».

Tommy Couch, Peter Noone et Mitch Malouf, 1968. Photo courtesy of Wolf Stephenson
James Stroud, Wolf Stephenson et Tommy Couch Sr, 1977. Photo courtesy of Wolf Stephenson.

En un week-end de mai 1970, le studio enregistre une poignée de titres de Jean Knight et King Floyd. Aucun label ne s’y intéresse. Atlantic et Stax en particulier refusent les bandes. Ainsi est porté sur les fonts baptismaux Chimneyville afin de publier le résultat du travail de studio : le succès de Groove Me de King Floyd est immense. Stax rachète alors le contrat de la chanteuse Jean Knight et publie son 45 tours : Mr. Big Stuff  cartonne (2 millions d’exemplaires vendus !).

Ces deux tubes assurent la gloire du studio Malaco devenu label de disques par la force des choses. Diverses maisons de disques envoient leurs artistes enregistrer à Jackson. Il faut attendre 1975 pour que le succès revienne. Dorothy Moore grave une belle version de Misty Blue, une chanson du répertoire country. Un million et demi de disques vendus en quelques semaines ! En 1976, le très lucratif Gospel entre au catalogue de Malaco (Jackson Southernaires, Angelic Gospel Singers, Robert Blair…) et le 33 tours fait son apparition (« Misty Blue » de Dorothy Moore et « End Of The Rainbow » de McKinley Mitchell).

En 1982, nouveau grand coup pour Malaco. Z.Z. Hill, un vétéran de la scène soul, enregistre une composition de George Jackson, Downhome Blues. C’est aussi le titre de l’album dont les ventes dépassent rapidement 500000 exemplaires. Malheureusement Z.Z. Hill meurt subitement le 27 avril 1984. Il avait 49 ans. Denise LaSalle, Little Milton (et son tube The Blues Is Alright en 1984), Bobby Rush, Artie “Blues Boy” White, Marvin Sease, Benny Latimore, Tyrone Davis, Stan Mosley, Bobby Bland, Johnnie Taylor (ces deux derniers relanceront ainsi leurs carrières), stars du Chitlin’ Circuit, enregistrent tous pour Malaco (ou sa sous-marque Waldoxy).

Little Milton. Photo promo Malaco Records. Collection Gilles Pétard.

Le 10 juillet 1989, pour notre plus grand bonheur, la tournée européenne des artistes Malaco fait escale à Paris. Sur la scène de l’Olympia se produisent Bobby Bland, Mosley and Johnson, Johnnie Taylor et Denise LaSalle accompagnés des musiciens (dont Harrison Calloway à la trompette, Jimmy Johnson à la guitare) et choristes (Thomisene Anderson et Jewel Bass) du label.

Bobby “Blue” Bland en séance d’enregistrement dans les studios Malaco. Photo courtesy of Wolf Stephenson.

Cette musique très léchée ne passionne pas beaucoup le public caucasien avide de longs soli insignifiants de guitare ou d’un blues plus « à ras de terre ». Par contre, les Afro-américains en raffolent. Malaco est resté fidèle et proche de ce public du sud. Cette force lui permettra d’ailleurs de « renaître de ses cendres » après le 15 avril 2011.

Grâce à la plaque de la Mississippi Blues Trail sur le trottoir, on peut repérer les deux discrets bâtiments de Malaco, crépis en ocre rosé ; le studio d’enregistrement est séparé des locaux administratifs. Ce 25 avril 2016, Darrell Luster, Gospel A & R/Promotions, lui-même auteur, compositeur et chanteur (The Sensationnal Nightingales…) m’accueille avec beaucoup d’égards. Il me conduit au studio d’enregistrement où le maître des lieux, Wolf Stephenson, va guider la visite. Des photographies en noir et blanc sous verre des artistes passés ici tapissent les murs du couloir. Une première petite pièce est consacrée à la lecture des maintenant fragiles bandes magnétiques de gospel, en particulier celles du catalogue Savoy dont Malaco est propriétaire (« d’innombrables inédits », dixit Wolf Stephenson). Puis vient le studio, beaucoup mieux agencé que celui détruit précédemment, grâce à l’expérience acquise. La console de mixage est inchangée : elle a pu être sauvée ainsi que deux enregistreurs analogiques, que Wolf Stephenson fait entretenir par un technicien de Nashville (Wolf Stephenson : « au cas où quelqu’un voudrait enregistrer en analogique ! » Retour dans l’autre bâtiment. Le mur de la salle d’accueil est recouvert d’un immense portrait, du sol au plafond, de Mississippi Fred McDowell, cigarette aux lèvres (Wolf Stephenson : « un type très agréable et très humble ») datant de son passage ici même en septembre 1969. Des affiches de films pour lesquels des chansons ou des artistes produits par Malaco ont été utilisés (« The Preacher’s Wife » avec Whitney Houston et Denzell Washington…) sont exposées.

Mais qu’en est-il de la production musicale ? Dès l’automne 2012 l’activité peut reprendre, les masters originaux du label ayant été épargnés. En 2014, le chanteur- harmoniciste Grady Champion publie un remarquable disque « Bootleg Whiskey » (« le nouveau CD de cet artiste est en cours de mixage », me confiait Darrell Luster). 2015, autre grande réussite artistique avec « The Mississippi Blues Child », le disque du chanteur-guitariste Castro Coleman aka Mr. Sipp. S’y ajoutent les chanteurs Billy “Soul” Bonds, Mr. David, Larome Powers et, bien sûr, le gospel et son impressionnant catalogue. Depuis quelques mois, Malaco et DeChamp, label créé par Grady Champion, se sont rapprochés. Malaco fabrique et distribue les productions DeChamp. Eddie Cotton (« One at a time ») et le second enregistrement de la chanteuse J.J. Thames, « Raw Sugar », satisferont même les plus intransigeants amateurs de Blues et Soul blues.

Mr Sipp. Photo promo Malaco Records. Courtesy of Wolf Stephenson.

Souhaitons longue vie à Malaco, bientôt quinquagénaire. Wolf Stephenson semble toujours aussi gourmand de musique. Il connaît un peu et apprécie la France après trois séjours à Armissan, près de Narbonne, où la famille de sa belle-fille possède une maison. Spontanément, il évoque même l’Auberge du Vieux Puits d’un village pyrénéen qui lui a laissé un souvenir indélébile (« j’ai pris des photographies de chacun des plats ! », déclare Wolf). Il manifeste l’envie de revenir. You’re welcome, Sir Stephenson !


Par Gilbert Guyonnet
Remerciements à Darrell Luster et Wolf Stephenson
pour leur accueil et leur gentillesse