
“ La relève”…
Tel aurait pu être le titre de notre précédent éditorial mettant à l’honneur Sean “Mack” McDonald, mais aussi celui du présent numéro avec D.K Harrell et Harrell Davenport, ou de celui à venir… Braquer les projecteurs sur tel ou tel jeune musicien de gospel, de rap ou de hip-hop était parfois possible pour les médias spécialisés ces dernières années. Le Blues, quant à lui, mis à part quelques cas « sporadiques », n’avait pas connu une telle émulation de la part de jeunes musiciens noirs en même temps depuis fort longtemps. À côté des artistes cités précédemment, Marcus Cartwright, Jontavious Willis, Keith Johnson, Dylan Triplett, Mathias Lattin, … font déjà le bonheur de festivals qui étaient parfois – il faut bien le dire – un peu à cours de « nouveauté ». C’est évidemment une excellente nouvelle, d’autant que ces artistes ont chacun leur singularité et que le nombre et la qualité de leurs compositions originales – outre leurs dons de musiciens, voire même de showmen – peuvent rendre optimiste quant à l’avenir.
Chanter et jouer le blues trouvait autrefois sa source dans les conditions de vie – parfois expression d’une forme de souffrance –, mais aussi dans des liens communautaires. Qu’est-ce qui peut motiver de nouveau un jeune de quinze ou seize ans à jouer cette musique en 2023 ? Il serait intéressant, sans vouloir faire de sociologie à l’emporte-pièce, de regrouper les entretiens avec tous ces « jeunes nouveaux » musiciens pour peut-être avoir une ébauche de réponse. Il est troublant de constater – comme lors des interviews de DK Harrell et de Harrell Davenport – qu’une forme de souffrance (harcèlement, exclusion…) peut être cause ou conséquence de ce choix. En outre, deux choses sont frappantes : d’une part la volonté assumée d’un retour aux sources, sans complexe, en portant haut l’héritage des aînés tout en écrivant sa propre histoire, et d’autre part le rôle essentiel d’Internet. Beaucoup de ces musiciens, encore étudiants, se sont rencontrés, se sont fait connaître ou correspondent via le Web. C’est un fait. Fait d’ailleurs relaté lors des interviews successives avec ces jeunes artistes qui, forcément, n’ont la plupart du temps pas connu « physiquement » leurs idoles, les ont parfois découvertes à travers la toile, ont souvent grâce à ce support appris à maîtriser leurs styles, tout comme ils ont rencontré leurs copains jouant la même musique qu’eux, à distance… Plus encore, ils se sont dans la majorité des cas fait connaître via leurs posts sur les réseaux sociaux.
D’Kieran Harrell aka D.K. Harrell est né le 24 avril 1998 à Ruston, une ville à l’est de Shreveport, au nord de la Louisiane. Son idole, c’est avant tout B.B. King, dont il maîtrise le style après des heures et des heures de travail acharné à la guitare. Mais vous verrez, pour ceux qui ne le connaissent pas encore, il est aussi un auteur compositeur de talent et un formidable chanteur. Son premier cd, chroniqué dans ABS #83, en est le témoin, ainsi que ses prestations scéniques, comme lors du Lucerne Blues Festival 2023 où il a littéralement conquis le public comme peu d’artistes avant lui avaient réussi à le faire lors d’un premier passage sur cette scène blues désormais mythique. C’est en septembre 2023 à Austin, Texas, lors du Eastside Kings Festival, que l’entretien qui vous est présenté dans ce numéro a eu lieu. Ce fut, selon Jean-Luc Vabres qui a mené cette interview, l’un de échanges les plus poignant qu’il ait eu avec un musicien, particulièrement lorsqu’ils ont abordé son adolescence. Découvrez ici son histoire…
S’agissant de Harrell Davenport, musicien originaire de Chicago, Illinois, c’est à Helena, Arkansas, lors du King Biscuit Blues Festival en octobre 2023, que la première rencontre s’est produite. Jocelyn Richez a littéralement été bouleversé par le talent et la maturité de ce très jeune chanteur, harmoniciste et guitariste. Jocelyn me disait au téléphone en préparant ce numéro, encore sous le charme de cette découverte : « Ce n’est encore qu’un gamin, pourtant il a même eu le culot de jouer de l’harmo avec le nez, comme Sonny Boy, lors d’une émission de radio, et c’était grand ! ».
Certes la diffusion via le web est sans commune mesure avec tout autre support, nous en savons quelque chose avec ABS Magazine Online qui a largement décuplé son lectorat eu égard à la version papier de la revue. Mais qui aurait sérieusement pu parier sur le fait qu’Internet soit – sinon à l’origine – du moins le principal support et le vecteur de ce renouveau dans le Blues ? Plus encore, on a l’impression que tous ces jeunes musiciens « font groupe », ont une certaine communauté de pensée, affichent une véritable identité malgré leurs différences, voire même sont protecteurs les uns vis à vis des autres, et ont un plaisir simple à jouer ensemble, à partager, ignorant toute rivalité. C’est très enthousiasmant. Une chose reste en attente : quid de la gente féminine parmi cette bande de potes ?
Lui ne pourra malheureusement plus dire ce qu’il en pense… Russell Batiste Jr nous a quittés. L’un des plus grands batteurs et figure emblématique de la Cité du Croissant, Russell a tiré sa révérence, bien trop tôt. Sous le ciel de La Nouvelle-Orléans, Stéphane Colin a pris part au cortège pour honorer sa mémoire. Il nous raconte les funérailles, à sa manière.
Enfin, entre douleur et colère, on ne sait pas toujours ce qui fait que certains musiciens de Blues ont, parfois, de tels éclairs de génie. L’harmoniciste Charlie Sayles fait partie de ces artistes indomptables ayant gravé des faces déchirantes. Il est pourtant resté dans l’ombre des coins de rues et des bouches de métro, où il se produit encore parfois aujourd’hui… Son histoire nous est contée ici par Patrick Derrien.
Ainsi va le Blues…
Marcel Bénédit