Guy King

Guy King dans son studio d'enregistrement, 4 octobre 2021, Evanston, Illinois. Photo © Lola Reynaerts

D’Israël à Chicago

• D’origine israëlienne, Guy King a construit sa vie et sa carrière autour de la musique. Guitariste de talent, tout jeune il a posé ses valises à Chicago où il fit rapidement partie intégrante du groupe de Willie Kent. Il est devenu – grâce à ses talents de musicien, de chanteur mais aussi d’auteur-compositeur – l’un des meilleurs représentants du blues de la Windy City. Entretien chez Guy King et retour sur images, au milieu des grattes ciel de Chicago…

• Qu’est ce qui t’a conduit aux États-Unis ?

En un mot ? La musique ! Je suis fasciné par la musique depuis l’enfance et j’ai toujours su qu’elle ferait partie de ma vie.

Guy King. Photo © Lola Reynaerts

• Qu’écoutais-tu en Israël ?

La musique populaire en Israël, ce n’était pas vraiment mon truc, mais mes parents, qui étaient deux grands fans d’Elvis, avaient une platine à la maison et ma sœur un radio cassette sur lequel elle écoutait Thriller de Michaël Jackson et Let’s Dance de David Bowie. De l’opéra à la musique classique jusqu’à Louis Armstrong, on écoutait beaucoup de choses à la maison. Mon père écoutait souvent Ray Charles. Lorsque je rentrais de l’école, les Beatles, Queen, Dire Straight, Marvin Gaye étaient diffusés à la radio, tous ces groupes m’ont beaucoup influencé, j’ai donc pris une guitare et j’ai commencé à jouer. L’artiste qui m’a le plus inspiré est Éric Clapton. J’ai économisé et me suis acheté une Fender Stratocaster noire comme la sienne ! Je me souviens avoir joué, pour la première fois, Cocaïne en essayant de chanter. Ensuite, comme une évidence, Crossroad et Have You Ever Loved a Woman m’ont inspiré. Très vite, j’ai réalisé que la musique que j’aime est le Blues et les solos de guitares de Clapton m’ont amené à faire des recherches, avec l’envie d’aller plus loin et j’ai découvert Robert Johnson ainsi que Albert King. J’ai acheté un ticket de bus pour traverser Tel Aviv et poussé la porte d’un disquaire où j’ai déniché quelques perles rares. J’aime revenir à mes premières amours et voir danser ma fille sur Lay Down Sally.

Guy King particulièrement bien accompagné, Chicago Blues Festival, Grant Park, Chicago, juin 2011. Photo © Hubert Debas

• Tu as beaucoup bourlingué, que t’ont apporté tes voyages ?

Je pense que les voyages m’ont apporté bien plus que ce que je ne pouvais espérer ou imaginer. Je ne me suis pas contenté de traverser les villes, j’y suis resté, de longs moments, seul. Cette solitude a favorisé la curiosité. J’ai pris le temps de m’imprégner des endroits, de ressentir les ambiances… J’ai beaucoup appris sur moi-même et sur la musique, ce que j’aime, ce que je n’aime pas. J’ai peut-être fait de mauvais choix, pris de mauvaises décisions, mais j’ai une famille, je suis heureux, je fais ce que j’aime, ce qui me fait dire que ces décisions étaient les bonnes ! C’est à Chicago que j’ai rencontré ma fabuleuse femme Sarah. Elle est venue me voir à l’un de mes concerts mais elle m’a trouvé grincheux, je ne m’en souviens pas ! Moi, je ne pensais qu’à repartir au Brésil. J’aime ce pays, sa langue est magnifique, sa nourriture, la musique de la rue. J’aime ses plages qui me rappellent celles en Israël, mon père m’y amenait souvent, on allait récupérer les pièces de bateaux en bois pour en faire des chaises ou des tables, il aimait travailler le bois. Après y avoir passé deux mois, j’ai retrouvé Sarah à Chicago et nous avons décidé de vivre ensemble. Tous ces voyages m’ont appris beaucoup, ils m’ont appris que j’aimais être parfois seul, avoir cette tranquillité d’esprit, prendre une guitare, chanter dans un endroit calme, me sentir connecté avec moi-même et la nature. Ils m’ont également permis de me révéler à moi-même. J’ai appris à jouer de la musique en autodidacte.

• Peux-tu me parler de ton expérience avec Willie Kent ?

Willie Kent m’a demandé de jouer dans son groupe quand j’étais jeune, je pense que j’avais 22 ans. La différence d’âge entre lui, ses musiciens et moi était grande, ils avaient la soixantaine. Il a perçu quelque chose en moi et il m’a laissé chanter en ouverture de ses concerts. J’ai été, pendant six ans, le guitariste du groupe, jusqu’à la mort de Willie en 2006. Nous étions très proches, il m’a beaucoup enseigné. Willie me disait toujours qu’il se réjouissait du jour où il serait assis dans son fauteuil et qu’il me verrait à la télévision dans un talk-show !

Guy King, Patricia Scott et Willie Kent, Blue Chicago, juin 2003. Photo © Marcel Bénédit

À cette période, j’étais influencé par Albert King, B.B. King, Albert Collins et cela s’entendait dans mon jeu de guitare. Je ressentais le besoin de m’approprier de la musique et de la créer avec ma singularité, ma personnalité musicale. Je me souviens de ces moments où la frustration de ne pas oser exprimer ce que je ressentais me gagnait et Willie, qui percevait ce malaise, venait après le concert avec un verre de vin et savait trouver les mots… Il m’a encouragé, me disant que chaque soir il entendait plus mon propre son et moins celui des autres, et qu’il aimait ça. « Détends-toi, tu es jeune, tu viens seulement de commencer ton voyage, ça va arriver naturellement », disait-il. Et il avait raison. Je n’ai rien forcé et c’est arrivé. Sa voix résonne toujours en moi et c’est agréable de me remémorer ces moments de conversations, surtout quand je doute. Avoir cette voix amicale qui t’encourage, c’est précieux. Il est arrivé au moment où mes parents sont décédés. Il a gardé un œil bienveillant sur moi et m’a encouragé à devenir l’homme que je suis. Lorsque Willie jouait du blues, je devais le suivre, c’est pour ça que j’étais engagé et j’ai adoré. C’est comme en cuisine, un plat va avec certaines épices, tu ne peux pas mettre tout dans la même casserole ! Mais quand est venu le temps de créer ma propre musique, après son décès, c’était ma cuisine, je pouvais mettre les épices que je voulais…

Guy King, Willie Kent et Jake Dawson, Blue Chicago, juin 2003. Photo © Marcel Bénédit

• Il semble que ce studio où nous nous trouvons a une histoire ?

Alors que j’allais terminer l’enregistrement de mon dernier album – « Joy Is Coming » – en Californie, j’ai reçu un appel de ma femme me demandant de rentrer, s’inquiétant de ce virus qu’on ne connaissait pas encore. Le travail en studio se faisait en analogique, je travaillais avec Josh Smith et Alan Hertz  et ce son qui ressortait des enceintes, cette magie de l’analogique, me plaisait nettement plus que ce que je connaissais déjà. Je savais déjà que ce processus me plaisait, mais le fait d’écouter au lieu de regarder les variations du son me parle plus. Tout se fait à l’écoute, je ne regarde que le view meter qui passe du bleu au rouge. En rentrant à Chicago, plus de concerts, plus aucune perspective. Donc j’ai acheté une vieille console des années 80’s, un reel-to-reel recorder ainsi que du matériel, des micros des années 60’s, 70’s, 80’s et j’ai commencé à disposer tout ça dans une pièce de la maison qui est devenu mon studio dans lequel nous nous trouvons en ce moment. Tout est analogique, j’ai fait en sorte que tout fonctionne. J’espère pouvoir emmener mon groupe ici et enregistrer dans cette pièce mon prochain album sur bande magnétique avec de beaux microphones. C’est un projet qui a commencé accidentellement et maintenant il fait partie de ma maison.

Guy King, Chicago Blues Festival, Grant Park, Chicago, juin 2011. Photo © Marcel Bénédit

• Que ressens-tu quand tu joues ?

Lorsque je joue, ce qui me traverse ce sont mes émotions, mes sentiments et j’essaye de les exprimer lorsque je parle, je chante et je joue de la guitare. Tout jeune, la mort de mes parents m’a fragilisé en amplifiant mes émotions. J’ai essayé de les canaliser, les faire briller et cela m’a aidé à me trouver moi, la femme de ma vie et ainsi créer une famille. Je fermais les yeux et je pouvais créer. Donc, pour résumer, je pense à moi, à mes plus profondes émotions, l’amour pour ma famille cet amour que je vis au quotidien et mes souvenirs se créent maintenant avec ma femme et mes enfants.

Guy King avec Chris Cain. Photo © Lola Reynaerts

• As-tu mis toutes ces émotions dans ce nouvel album « Joy Is Coming » ?

Oui, évidemment. Tu sais, mon petit garçon n’était pas encore né lorsque j’ai enregistré cet album, mais pour la phase finale de la post-production ma femme était enceinte, donc on peut dire d’une certaine façon qu’il était présent. Ma femme et ma fille ont influencé cet album. La plupart des titres ont été écrits avec elles dans mes pensées, dans mon cœur et dans mon sang. Je me souviens de toutes ces nuits d’insomnie, où j’essayais de ne pas faire de bruit, je prenais ma Gibson ES-335 qui est sur la couverture de l’album et me mettais tranquillement sur le canapé pour composer des chansons en pensant à elles. Joy Is Coming, chanson que j’ai écrite avec David, parle de ma fille ; c’était la joie qu’on attendait, mais elle parle aussi d’être bon et de faire les bons choix. Devil’s Toy évoque le temps que j’ai passé seul et les tentations qui se sont présentées quand j’étais à La Nouvelle-Orléans et à Memphis, des doutes qui nous assaillent. C’est drôle, les deux premières chansons que j’ai écrites sur cet album sont complètement à l’opposé l’une de l’autre, ce sont ces deux chansons qui m’ont persuadé de créer un album. Je voulais qu’il y ait une unité, même si toutes les chansons sont différentes, il y a toujours un lien. Je suis vraiment fier de ça, ces compositions, ces textes parlent de ma vie. J’ai eu le courage de regarder en arrière et me dire : « c’était ce que tu vivais à ce moment-là, tu peux en parler et le partager ». Cela signifie plus pour moi que d’interpréter la chanson, aussi belle soit elle, d’un autre artiste. Après la création, c’était au tour des arrangements pour lesquels il était important d’y ajouter ma touche avec une section de cuivres, des violons, des chœurs (dont ma femme Sarah fait partie) et pour la première fois un ajout d’overdubs sur ma propre voix. C’est un disque spécial pour moi et je suis content des retours qui m’en sont faits jusqu’à présent.

Guy King et Jimmy Johnson en studio. Photo © Lola Reynaerts

• Pour t’avoir vu plusieurs fois, les gens ressortent de la salle heureux et le sourire aux lèvres. Tu sembles avoir un rapport privilégié avec le public ?

Les tournées européennes ont été vraiment particulières et je pense que les choses se sont synchronisées correctement. Avec les musiciens, nous n’avons pas pris les tournées à la légère, nous avons beaucoup répété. J’ai commencé ma carrière en jouant dans des petits clubs où j’ai fait mes preuves et je ne prenais jamais ces concerts à la légère, donc quand de plus gros concerts se sont présentés, j’étais prêt à tout donner de la première à la dernière note et jouer avec toute l’énergie que j’avais. Cela ne m’a pas quitté. Je me préparais à ces show, je mangeais bien, je me reposais… Ce mode de vie a un impact sur ma voix, tous les plus grands chanteurs le diront, il faut se concentrer sur les choses qui nous font du bien et ne pas s’en priver. Avant de monter sur scène, je me prépare, je chauffe ma voix, mes doigts, et quand je démarre je peux être un « killer » dès la première note. C’est mon nom sur l’affiche, seulement moi, je ne peux me cacher derrière personne. Je veux faire de mon mieux et, quand tu me dis que les gens sortent de mon concert heureux avec un sourire aux lèvres, cela représente beaucoup pour moi. Quand je joue les slows, les gens sont émus, le lien avec le public est important et quand je reçois son énergie cela donne le punch qui permet au groupe de jouer en totale harmonie.

Guy King dans son studio, Evanston, Illinois, 4 octobre 2021. Photo © Lola Reynaerts

• Que puis-je te souhaiter musicalement et personnellement ?

Tu sais, j’ai commencé à jouer comme tous ces grands musiciens qui m’ont inspiré, dans des petits théâtres, des clubs et là, je les vois dans des endroits tels que Madison Square Garden, le Royal Albert Hall, c’est pour ça que j’ai choisi de faire ce métier. Ça me plairait de faire de ces lieux mythiques, ma maison. C’est un rêve que j’ai envie d’accomplir depuis mon adolescence. Et personnellement, je voudrais simplement que ma famille soit heureuse. Mes souvenirs se créent maintenant avec ma femme et mes enfants.


Par Lola Reynaerts
On peut acquérir le vinyle (qui inclut les paroles, un poster et téléchargement) ici.