« I’ve Never Been Loved »
• Ces quelques mots, titre de son (malheureusement) unique CD enregistré sous son nom sur Fedora Records en 2000, ont un écho particulier… Le 8 Mars 1933, à Winona (Mississippi), résonnent les premiers vagissements d’un enfant nouveau-né : Riler Robinson. C’est le huitième ou neuvième enfant (Riler ne le sait pas exactement) d’une famille qui en comptera quinze (avec en prime un ou deux décès !). Toujours la même antienne : misère, travaux des champs de coton et maïs, avec en plus pour le jeune Riler une mésentente avec son père. « J’ai travaillé dur depuis que j’ai huit ans et demi », raconte Riler. « Mon père jugeait l’école inutile. Il me garda ainsi à la maison pour travailler sans cesse. Les quelques fois que je suis allé à l’école, je me battais avec les autres enfants ; ils se moquaient de moi à cause de mon retard scolaire ». Résultat : Riler Robinson ne sait ni lire ni écrire…
Il a treize ans quand il apprend à jouer de la guitare avec un type qui jouait aussi du violon. Tous les deux vont alors animer les house parties, Riler accompagnant à la guitare son maître violoniste. Un jour de 1947, son père le met à la porte. Dans le titre I’ve Never Been Loved, il chante : « My daddy didn’t like me, throwed me off in the world… Don’t you come back here no more ». Il s’installe à Marks (Mississippi) et trouve un job dans une usine de produits chimiques. En 1956, il prend le traditionnel chemin des Afro-américains du Mississippi et gagne Chicago, ville où poussent les « money trees », comme le chantait Detroit Jr.
Lightnin’ Hopkins est le premier bluesman qu’admire Robinson. Puis il découvre John Lee Hooker, B.B. King, Elmore James (« I was in Mississippi and I heard Elmore James doing slide guitar, so I got me a bottle and bust the neck out of it and stucking my thumb in it and run it on down there and it sounded pretty good » (1)), Little Milton, Bobby Bland. Une fois installé à Chicago, il perfectionne son jeu de guitare, tout en travaillant le jour dans une fabrique de savons, puis dans une usine de conditionnement de viande. Son premier concert dans un club date de 1961. Il a aussi l’habitude d’aller voir Hound Dog Taylor tous les dimanches après-midi avec l’espoir jamais réalisé de jouer avec lui (« I tried to get to play with him but there was so many waiting in line so I could never get a show with him » (1)). En 1972, le chemin de Riler Robinson croise ceux de John Embry et L.V. Banks au marché aux puces de Maxwell Street. Riler devient membre de l’orchestre de John Embry. À ce titre, il enregistre pour la première fois, le 19 janvier 1979, en plein blizzard chicagoan. Ce jour, il accompagne John et Sylvia Embry et chante un titre, Worry, Worry. De cette séance naissent un 45t et le superbe album,« After Work » (l’un des meilleurs disques sortis en 1980), publiés par Razor Records, éphémère label créé par Mark Lefens (réédités en CD par Delmark avec cinq inédits).
Riler Robinson organise sa première formation après sa rupture avec John Embry. Jewtown, tous les dimanches, est l’endroit où l’on peut le voir et l’écouter ; des dizaines de bars ou clubs du Southside l’accueillent, loin des touristes qui visitent Chicago. Aucun label de disque, même Delmark, ne le contacte. Une interview dans Living Blues Magazine en 1991 et une participation, en 1994, à un documentaire du National Geographic consacré à la migration des Afro-américains du Sud vers le Nord (on y voit aussi Jessie Mae Hemphill et Junior Kimbrough) ne font pas décoller sa carrière musicale.
En 2000, le batteur et producteur californien Chris Millar (qu’il soit remercié pour ce qu’il a réalisé avec son label Fedora !) a la bonne idée de s’intéresser à Riler Robinson. Une séance d’enregistrement est réalisée le 15 septembre 2000 avec le regretté Willie Kent (basse) et Frank Goldwasser (guitare). Le très autobiographique et unique enregistrement sous son nom propre « I’ve Never Been Loved » est une réussite. Grâce à cet excellent disque de Chicago blues, Riler “Iceman” Robinson découvre l’Europe, en 2001, pour la première et dernière fois. « Jai des raisons de croire qu’il n’avait pas souvent eu l’occasion de quitter le South Side de Chicago. En fait, cette tournée était peut-être la toute première fois qu’il voyageait en dehors de Chicago », témoigne celui qui enregistra et tourna avec lui : Frank Goldwasser (2).
Riler est un type renfermé, timide, manquant d’assurance, donc distant et froid, d’où le pseudonyme “Iceman”. La tournée ne fut pas toujours facile. Frank Goldwasser raconte : « S’il était intimidé au point de ne pas être capable d’assurer, comme par exemple au Spring Blues festival d’Ecaussines, il était capable du meilleur s’il se sentait à l’aise. J’ai, en particulier, le souvenir d’une prestation dans une petite ville de Suisse où la réception particulièrement chaleureuse des organisateurs ainsi que quelques boissons offertes avant le concert lui avaient permis de se détendre un peu plus que d’habitude et de mettre le feu à la salle. S’il était en pleine possession de ses moyens, il pouvait être extrêmement convainquant à la guitare dont le style, à mi-chemin entre la sophistication de B.B. King (avec un très beau vibrato) et le côté rude du South Side (il admire beaucoup Hound Dog Taylor), pouvait être du meilleur effet ». (2)
Lors d’une promenade avec le chanteur-harmoniciste Arthur Duncan dans les rues du village suisse Buchs, Riler Robinson s’arrête brusquement, l’air stupéfait, le regard dirigé vers l’horizon et demande à Arthur Duncan : « Qu’est-ce que cette chose là-bas ? Est-ce un nuage ? – « Non ! » répond Arthur Duncan, « Tu n’ as jamais vu ça ? Tu es vraiment un péquenaud ! C’est une montagne ! » (2)
Depuis ce voyage européen, hormis une apparition aux côtés de Smilin’ Bobby durant le Chicago Blues Festival 2008, Riler “Iceman” Robinson a disparu des radars. Ce portrait a été rédigé il y a quelques mois déjà. Tous mes efforts pour avoir des nouvelles de Riler “Iceman” Robinson étaient restés vains. Était-il encore vivant ? Ces recherches m’ont plongé dans le silence assourdissant qui accompagne ce musicien, comme dans un puits. Jusqu’au vendredi 13 septembre 2019, devant Antone’s à Austin. Là, nous devisions avec le très sympathique guitariste et chanteur chicagoan Smilin’ Bobby. Notre rédacteur en chef – qui avait décidé de publier cet article – eut alors l’idée d’interroger Smilin’ Bobby sur Riler Robinson. Smilin’ Bobby nous affirma qu’il vivait toujours, mais souffrait de la maladie de Parkinson.
Notes :
1 – Interview de Riler Robinson par Mike Stephenson : Blues & Rhythm n°16.
2 – Courrier électronique avec Frank Goldwasser.