Just a Little Talk with Jesus
• En 2006, s’éteignait doucement Sister Ola Mae Terrell. Quatre-vingt-quinze années que la vie lui coulait dessus doucement, sans trop de heurts, si ce n’est les conditions de vie d’une femme noire dans un Sud ségrégationnisme. Les coins de rues sont toujours étroits…
Pendant la dépression des années trente et jusque dans les années cinquante, les musiciens de rue étaient presque une banalité, un aphorisme de la vie des Afro-américains, que l’on trouvait aussi bien dans les petits hameaux que dans les grandes villes industrielles. Dans les zones rurales, les musiciens évangélistes avaient tendance à suivre un chemin déterminé par le cycle des saisons, puisqu’ils s’arrangeaient pour se trouver dans une région donnée au moment où les récoltes arrivaient, où le travail devenait abondant et où l’argent coulait à flots.
Dans les villes, ils chassaient également le dollar, jouant sur les marchés en plein air, à l’extérieur des tavernes et partout où ils pensaient pouvoir trouver un public réceptif et généreux. Beaucoup de ces artistes limitaient leur répertoire au matériel religieux qui trouvait un large public à cette époque où l’espoir du Ciel était tout ce qui permettait à certains de supporter la réalité de leur monde. Dès l’arrivée des premiers Africains sur le sol américain, la vie religieuse est devenue un moyen de transcender un quotidien mortifère parsemé de longues journées de travail forcé dans des conditions inhumaines, de brimades et châtiments en tous genres.
Au fil du temps, le culte religieux deviendra un espace cathartique et résiliant fait de « liberté » et d’expression uniques.
Dans son analyse sur la vie dans une plantation aux États-Unis, l’historien John Wesley Blassingame nous dit : « Les “esclavagés” semblaient apprécier la convivialité de ces rencontres. Il y vendaient souvent de quoi boire et de quoi manger aux communiants noirs et blancs. De nombreux “esclavagés”, comprenant l’enjeu financier de ces manifestations, venaient pour gagner de l’argent et n’avaient que faire du salut de leurs âmes » (John Wesley Blassingame : « The Slave Community ; Plantation Life in the Antebellum South » /Oxford University Press – 1973).
Ces chanteurs religieux, dont la plupart s’accompagnaient à la guitare, facilement transportable, avaient généralement trois raisons de se retrouver au coin de la rue pour chanter pour quelques menue monnaie. Il pouvait s’agir d’aveugles, comme beaucoup d’entre eux, qui n’avaient pas d’autre moyen de gagner leur vie, ou de personnes qui empruntaient la route pour échapper à un travail plus pénible ou qui étaient simplement poussées par le manque de travail, ou enfin de véritables évangélistes qui considéraient leurs activités comme la mission que Dieu leur avait confiée.
Durant cette période, le blues et la musique sacrée allaient souvent de pair, comme les deux faces d’une même pièce (« la fertilisation croisée du blues et du gospel », pour paraphraser Leroi Jones dans « Le Peuple Du Blues » en 1968 et Robert Sacré dans « Les Negros Spirituals et les Gospel Songs » en 1993), dans les répertoires des musiciens de rue ou Buskers, qui comprenaient bien les différences et les similitudes entre la musique du samedi soir et son équivalent du dimanche matin. Les deux styles partageant en fait la même aspiration à une vie meilleure et un espoir presque aveugle dans la délivrance et la rédemption. Il suffit souvent de changer une ligne ou deux pour qu’une chanson de blues devienne sacrée ou qu’un hymne folklorique religieux devienne un blues de coin de rue…
Aujourd’hui, la plupart des amateurs de cette musique considèrent le « blues sanctifié » des années 20/30 (Ed Clayborn, Blind Willie Johnson, …) comme une sorte de passerelle mort-née entre la musique du « Diable » et celle de « Dieu », entre la musique que tout le monde connaît comme étant le Blues et celle que nous reconnaissons comme étant le Gospel. Mais à y regarder de plus près, on peut aisément se rendre compte que cette bipolarité musicale, bluesy et viscérale, s’est transmise par delà les années 50 avec Utah Smith, Sister Terrell …, dans les années 60 avec les Staple Singers, le Rev Overstreet …, Charlie Jackson dans les années 1970 et ainsi de suite jusqu’à aujourd’hui où la ferveur de ces chants à l’air de rencontrer un nouveau public.
En ce début de XIXe siècle, Decatur Street à Atlanta détenait une scène musicale peuplée de pianistes « barrelhouse » (type de piano blues bruyant et percussif particulièrement adapté aux bars et tavernes) tel Thomas Andrew Dorsey dit “Georgia Town”, Big Maceo, ou encore de Willie Lee Perrynam aka “Piano Red”, mais aussi d’une multitude de guitaristes de country blues tels que “Barbecue Bob” (Robert Hicks), le Piémontais Eugène “Buddy” Moss ou Joshua Barnes “Peg Leg” Howell. On n’oubliera pas l’extraordinaire Blind Willie McTell actif dès les années vingt qui incorporait une grande variété de styles de chansons populaires dans son répertoire. McTell jouait souvent dans Decatur Street, particulièrement devant les stands de barbecue Pig’ n’ Whistle en collaborant avec Buddy Moss, Curley Weaver, Piano Red, etc.
De cette représentation musicale, les hommes tenaient une part prédominante. La brutalité des lieux n’était pas destinée en premier lieu à la gente féminine qui préférait le réconfort des paroisses. Pourtant, quelques-unes relèveront le manche de guitare et auront au moins autant de mérite que leur pendant masculin.
1911, Atlanta donc, Géorgie. Mary Long, blanchisseuse de son état, met au monde une petite fille au 276 Martin Street, dans le quartier de Summerhill qui à vu quelques années auparavant (1906), les dégâts d’une émeute raciale. Des Blancs furieux de voir des Noirs s’installer dans d’anciens quartiers blancs terrorisent et tuent des Afros. La haine s’installe et déborde sur d’autres quartiers… En 1915 et 1917, le conseil municipal d’Atlanta adopte des ordonnances sur la ségrégation résidentielle. Le premier plan de zonage municipal d’Atlanta, élaboré au début des années 1920, définit les quartiers résidentiels en fonction de la race. 1915 voit aussi la résurrection du KKK dont Atlanta est le quartier général, poussant le gouvernement de la ville à appliquer dans toute sa rigueur les lois Jim Crow. Atlanta était aussi à cette époque une ville très « humide » malgré la loi interdisant la vente et la possession de boissons alcoolisées et le quartier de Summerhill, où vivaient les classes basses et mixtes des travailleurs, n’échappait pas à la règle. La drogue, l’alcool, la prostitution, le jeu et la pauvreté n’arrangent pas les affaires…
Malgré toute cette folie des hommes en ce début de XXe siècle, Mary Long procure à sa fille une certaine stabilité. Les recherches de Bruce Nemerov * dans les annuaires des dix premières années de Ola Mae (ainsi qu’une conversation privée avec Bob Eagle) indiquent que Mary est toujours blanchisseuse, déménage assez souvent tout en restant dans le même quartier et permet grâce à son travail de donner une éducation à sa fille. Au regard de son élégante écriture, on peut penser que La petite Ola Mae est allée à l’école durant cette période. À l’âge de dix ans, Ola Mae vit avec sa mère au 120 Gilmert Street, une rue particulièrement mal famée au nord de Decatur (ville située à environ huit kilomètres au nord-est du centre-ville d’Atlanta qui partage sa frontière occidentale avec la ville) et fait sa première apparition en tant que cuisinière au domicile de Mr Devereaux, cadre de la compagnie de Téléphone Southern Bell, au 97 East Park Lane dans le nord-est d’Atlanta en 1922. D’après ses propos *, Ola Mae fait l’expérience du salut à l’âge de 11 ans alors qu’elle assistait à un revival sous tente du Holiness Movement, un type de rassemblement où les chants de louange étaient joués sur tous les instruments de musique disponibles. Elle apprend à jouer de la guitare, à composer et à chanter des chants religieux. Au départ, elle utilise une pièce de moteur, une douille de moteur pense t-elle *, portée à l’annulaire. Elle utilisait aussi un médiator (plutôt un cure-ongle d’après le peu de témoignages qu’il nous reste), des éléments stylistiques comparables à ceux des guitaristes noirs séculaires qui bossaient dans Decatur Street à cette époque, mais quand Bruce Nemerov l’interroge au sujet des autres musiciens qui fréquentent la rue, elle répond : « Je ne peux pas me souvenir de tout et je ne veux pas le raconter de travers ».
C’est la mission d’évangélisation de la Fire Baptised Holiness Church (cette dénomination pentecôtiste a été organisée à Anderson, en Caroline du Sud, en 1898 et était, au départ, une association intégrée. En réponse à la propagation et à l’application croissante de la loi Jim Crow, les membres noirs se sont retirés et ont formé la Coloured Fire Baptist Holiness Church en 1908. Ce groupe comptait au départ 27 églises et environ 1000 membres et avait des bureaux centraux à Greer en Caroline du Sud. Le révérend William E Fuller, l’un des membres fondateurs de l’association intégrée originale, a été nommé superviseur général du nouveau groupe. En 1912, il a été élevé au rang d’évêque et, par la suite, le premier diocèse épiscopal de l’Église a été transféré à Atlanta) qui la convertit et voilà Sister Ola Mae répandant la bonne parole au coin de la rue. Elle complète son activité par des emplois subalternes autorisés aux gens de couleur.
À l’époque de la Grande Dépression, elle était devenue une musicienne de rue adepte du blues qui utilisait ses talents pour évangéliser les passants, en chantant des compositions originales telles que God’s Little Birds, afin de répandre les promesses d’une sécurité éternelle en Christ et de temps plus prospères ici sur Terre. Accompagnée d’elle même et de sa National Triolian flat, elle pratiquait un jeu slide rugueux et nerveux dont le parallèle avec une autre Sister (Rosetta Tharpe), saute aux oreilles. Sa musique plus terre à terre ressemble à la native de l’Arkansas, non seulement dans l’émotion vocale mais aussi dans cette inspiration country blues. A Bible Right peut lui tenir la jambe haute et seule une bien meilleure production aurait pu faire de l’ombre à la grande Sœur. Mais, contrairement à Tharpe, Ola Mae ne se fie qu’à son propre jeu de guitare (parfois doublé de percussions faites au pied) pour accompagner sa musique (même si Rosetta Tharpe s’enregistre seule parfois en 1938/39) et Columbia ne donnera pas autant de place à Ola Mae, de la même manière que Decca à pu le faire avec Sister Rosetta Tharpe. Bien que son jeu soit moins « rock » que celui de Tharpe, le sien est plus « clair », plus aéré et Ola Mae sait créer une atmosphère musicale très attractive et engageante sur laquelle elle pose des paroles pleine d’esprit sur l’inerrance de la bible et, si ces quelques morceaux qui nous sont parvenus peuvent se ressembler, il est indéniable que sa voix – aussi convaincante que son jeu de guitare – garde l’auditeur éveillé. Si on devait faire une comparaison audacieuse, on pourrait envisager que cette émotion, qui ressort du chant de Sister Terrell, a quelque chose en commun avec le Révérend Gary Davis qui se marierait avec le jeu habile de Blind Willie Johnson. Mais, comme le démontre l’écoute de ses morceaux, Sister Terrell mérite sa propre place dans les annales de l’histoire du blues et du gospel.
On sait aujourd’hui que les musiciens du Sud, tant au niveau du jeu que du chant, étaient à bien des égards largement influencés par les églises locales. Au fil du temps, les lieux de culte ont servi de véritables incubateurs dans lesquels de nouvelles formes musicales ont vu le jour et Ola Mae se servira de ses influences et de celles de la rue pour parvenir à créer sa propre musique où la touche électrique profane le sacré.
En 1931, on retrouve Ola Mae Long travaillant pour Edgard J. Darnell (promoteur immobilier blanc) et cette même année, l’annuaire de la ville mentionne W.E. Fuller comme évêque de l’Église de Dieu dans le quartier afro-américain de la ville…
C’est aussi à partir de ce moment que Ola Mae commence à vouloir porter la bonne parole ailleurs que dans son quartier. Elle commence à voyager et rencontre Jim Robert Terrell dont elle épousera l’homme et le nom jusqu’à la fin de sa vie. Ainsi naît pour le monde Sister Ola Mae Terrell, celle qui gravera six titres pour Columbia et deux autres pour un obscur label, Playboy. Ses voyages la mèneront de Géorgie en Caroline du sud, se souvient-elle *. À y regarder de plus près, on remarque que Sister Ola Mae Terrell suivait sa congrégation là où elle allait. Sloan, Greenville, Charleston, Sumter sont toutes des villes de Caroline du Sud et la présence aux mêmes dates de la Fire Baptised Holiness n’y est certainement pas pour rien. On sait aussi qu’elle ne se contentait pas de simplement jouer dans la rue, elle chantait volontiers sur invitation des églises baptistes comme méthodistes. « Ils faisaient une collecte et j’avais de l’argent à partager avec ceux qui n’en avait pas » *, se souvient-elle encore.
Une des rares dates sur laquelle on peut se reposer pour une affirmation est celle du 6 avril 1936. Ce jour-là, deux tornades se sont abattues sur Gainesville (Floride), tuant plus de deux cent personnes et ravageant plus de cinq cent maisons. Le lendemain, Sister Ola Mae Terrell composait la chanson qui restera dans l’histoire du gospel sous le titre de The Georgia Storm. Elle l’a fera imprimer avec sa photo en haut à gauche pour la vendre à ses brebis lors de ses concerts de rue. Et la vie suit son train-train, Sister Terrell semble arriver à joindre les deux bouts sans trop de difficulté et fait de courtes résidences dans diverses villes de Géorgie et Caroline du Sud, faisant régulièrement la navette entre Marion, Greenville et Charleston.
Charleston, 1948. WPAL est une station de radio dirigée par Robert Chrystie et Laurens Moore, deux Blancs férus de country et aussi d’argent. Ce n’est pas en baissant les prix des annonces publicitaires que le beurre allait se mélanger aux épinards et l’idée d’opter pour une autre programmation sera leur salut. Ainsi, quelques DJ’s noirs prendront la parole sur l’antenne d’une ville qui n’avait, jusque là, rien à proposer à la communauté noire en mal de racines. Bob Nichols jouait les tubes R’n’Blues du moment quand David Joyner programmait de la musique religieuse. D’après Laurens Moore, c’est son aîné Joyner qui programmé Ola Mae à l’antenne en cette fin d’année 1952 pour un menu religieux hebdomadaire. Bien leur en pris car, sans eux, il ne resterait certainement aucune trace musicale de Sister Terrell. Les deux protagonistes de la radio pensaient, à juste titre, que cette femme qui approchait de la quarantaine avait quelque chose en plus. Alors, ils décident de faire une maquette qu’ils envoient à Columbia Records. L’invitant à Nashville le 18 février 1953, elle signe un contrat avec TRO (The Richmond Organization), organisation très active dans le domaine de la musique folk, pour quatre chansons qui seront enregistrées le lendemain (God’s Little Birds, The Bible’s Right, I’m Going To That City (To Die No More) et Lord I Want You To Lead Me On). Judy Bell, alors directrice de création chez Richmond Organization, ne se souvient pas de quelle manière Sœur Terrel a été affiliée à TRO, mais elle était là quand il a fallu. Son contrat d’artiste exclusif avec Columbia comprenait deux prolongations d’un an pendant lesquelless Sister Terrell devait enregistrer huit faces par an.
En plus des quatre chansons gravées et citées plus haut, sera mis en boite The Gambling Man, qui portera Lion Publishing comme éditeur (Lion était une société interne de Don Robey/Peacock et distribuée par MCA/Dutchess). Une énigme sur laquelle viendra s’en greffer une autre, Swing Low, Sweet Chariot est listée comme appartenant au domaine public sur la feuille de session Columbia, mais il s’agit d’une interprétation très différente de « l’original » écrit par un esclave Indien/Américain du nom de Wallace Willis vers le milieu du XIXe siècle. Beaucoup de bluesmen ont repris cette chanson pour témoigner des conditions des esclaves dans les champs de coton. Big Bill Broonzy la chantait dans les années 1930 par exemple. Mais ces droits là ne tomberont pas dans l’escarcelle de la donation. Puis le plus énigmatique de tous surviendra avec ses deux titres enregistrés sur un label particulièrement obscur, Playboy Records, dont absolument personne ne se souvient (R&B Indies répertorie un autre single sur ce label : Playboy 2201, My Baby Is All Right / Please Let Me Love You de Bob Coswell.
On pense, sans en être certain, que Life Is a Problem et How Long seraient le fait d’un grand amateur de la musique de Sister Terrell que ce disque pressé à si peu d’exemplaires ne connaît actuellement qu’une seule copie encore existante et que ces titres auraient été gravés antérieurement aux enregistrements de Columbia (1948)…
The Glambing Man couplée à I’m Going To That City sort le 10 avril 1953, suivi le 13 juillet par God’s Little Birds et Swing Low. Il faudra attendre le 15 mars 1954 pour voir gravés The Bible’s Right / Lord I Want You Lead Me On et sa mise sur le marché. Mais sister Ola Mae Terrell ne deviendra jamais Sister Rosetta Tharpe et le contrat de Columbia tourne court sans que les accords ne soient respectés. Et c’est avec 34 dollars que Miss Terrell tourne le dos aux espoirs de prêcher pour le plus grand nombre. Sister Ola Mae Terrell déménage en 1955 au 206 Decatur Street, à deux pas d’où tout avait commencé en 1923.
« En 1953, un hasard aveugle a conduit Sœur Terrell à la porte de la culture de consommation américaine. Elle a enregistré six titres pour Columbia, la plus grande maison de disques du pays. Malheureusement, Columbia les a publiés dans sa série de musique country. Les clients afro-américains qui avaient acheté avec plaisir d’autres disques de gospel n’avaient aucun moyen de savoir qu’elle était l’une des leurs. En 1955, Columbia a perdu tout intérêt et a annulé son contrat. Sister Terrell est sortie de la maison de Mammon et la porte s’est tranquillement refermée derrière elle. » *
Lorsque le renouveau folk des années 1960 a donné un second souffle aux carrières de divers praticiens du gospel, du blues et de la folk music, les contributions (si peu soient-elles) de Soeur Terrell sont complètement passées inaperçues et la chanteuse de rue s’évanouit doucement dans les méandres d’une industrie musicale plus au fait des ses tiroirs caisses que d’une quelconque paix de l’âme. Il va de soi qu’avec un peu de recul, on peut aisément penser que Sister Ola Mae Terrel manquera une très belle occasion de se mesurer aux Staples Singers ou à Miss Tharpe sur quelques scènes… L’histoire en a décidé autrement et Sister Ola Mae Terrell continuera presque toute sa vie à se consacrer à sa paroisse, à Dieu, jusqu’à une attaque cérébrale en 1998 qui l’a diminuée physiquement au point de ne plus pouvoir se débrouiller seule. Pendant son séjour à l’hôpital, son appartement sur Decatur Street fut dévalisé et disparurent photos, guitare et meubles. Plus de souvenirs que ceux de sa mémoire parfois défaillante.
Elle déménage alors dans un établissement de soins intégrés. C’est là, dans cette pension de retraite de Géorgie (à Conyers exactement) que Bruce Nemerov finira par la retrouver. Il avait été commandité par l’éditeur de musique qui s’était servi de God’s Little Bird pour une pièce de théâtre sur Broadway. Sœur Terrell avait des chèques en attentes et l’argent apportera dans les derniers temps un certain confort de vie. Des années de dépression des années 1930 aux années 1950 d’Eisenhower, Sister Terrell a vécu la vie d’une évangéliste itinérante et a subvenu à ses besoins avec sa musique. Elle n’était connue que de ceux qui l’entendaient chanter et jouer au coin de la rue, dans un parc ou à l’église.
Aujourd’hui, on peut se rattraper grâce notamment au label Document qui sortit en 1993 l’intégralité des ses chansons sur l’album « Two Gospel Keys / Sister O. M. Terrell – Country Gospel : The Post War Years (1946-1953) » – DOCD 5221. Ou essayer d’attraper cette cassette éditée à 100 exemplaires sur l’obscur label Death Is Not The End /London, UK -2014…
Notes :
* La plupart des propos rapportés ici sont issus de l’interview de Bruce Nemerov par Michel Norris en 2006 (https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=6168153) : Sister terrell : « A Crooner on the Amen Corner »
Sources :
• Article du numéro Blues & Rhythm 141, pages 4/5 et 6, ainsi que de diverses conversations avec l’intéressé et d’autres spécialistes du Gospel ainsi que de sources issues de magazines et autres documents online.
• Bruce Nemerov est l’éditeur du livre (avec Robert Gordon) de John Wesley Work III, Lewis Wade Jones et Samuel Clifford Adams : « Lost Delta Found : Rediscovering The Fisk University-Library Of Congress Coahoma County Study, 1941-1942 » édité par Vanderbilt University Press /août 2005.
• Timothy Dodge : « The School of Arizona Dranes : Gospel Music Pioneer » / Lexington Books / 2013
• https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=6168153&t=1647518299337
• https://www.earlygospel.com/early-gospel-singers-t/
• Edward Komara/ Peter Lee – « Encyclopedia Of The Blues – 2/Vol set » / Edition Routledge / 2004
• https://sundayblues.org/?tag=sister-o-m-terrell
• https://www.georgiaencyclopedia.org/
• Williams E.B Dubois : « The Soul of Black Folk ». Collection de 14 essais publiés en 1903 et traduits par Magali Bessone aux Éditions La Découverte en 2007.
• Conférence de Steve Gadet, maître de conférence en civilisation américaine, Université des Antilles et de la Guyane.
• Michel Leiris – « Saints Noirs », La Revue du cinéma, 2e année, n° 11, 1930, p. 30-33. Repris dans Zébrage, Gallimard, 1992, p. 21.
• Erwan Dianteill : « La danse du diable et du bon dieu, Le blues, le Gospel et les Églises spirituelles » / L’Homme 2004/3-4 (n° 171-172), pages 421 à 441
• Ruth Larson : « Michel Leiris et l’esthétique de la race dans L’Afrique fantôme » / Open Edition Books – Press Sorbonne Nouvelle (https://books.opening.org/psn/331?lang=#ftn5)
par Patrick Derrien