Stan Mosley

Stan Mosley, Porretta Soul Festival, 29 décembre 2021. Photo © Giorgio Barbato / Sweet Soul Music

Soul Lover

• Pilier de la Soul sudiste, un temps artiste du label Malaco pour lequel il a enregistré cinq albums dont deux restés inédits, Stan Mosley, très présent sur les scènes américaines, l’était peu en Europe. Sa découverte lors du Porretta Soul Festival 2016 aura été une révélation pour un public avide et curieux de nouveautés. Sa venue inopinée fin 2021 à Porretta en remplacement de Bobby Rush nous a donné envie de le rencontrer, d’en savoir plus sa carrière et son itinéraire, dans un entretien sans langue de bois.

Nous savons que vous avez commencé dans vos jeunes années en rejoignant le groupe The Sharpees (NDLR : quartet vocal de Chicago qui enregistra pour One-derful ! et qui connut quelques succès avec des titres comme Tired Of Being Lonely et Do The 45), mais vous n’avez jamais enregistré avec lui ?

« Absolument. Lorsque j’ai rejoint ce groupe, il ne restait plus que le fondateur Benny Sharp. Stacey Johnson n’y était plus. C’était un orchestre avec deux cuivres, Benny Sharp était à la guitare. C’est le meilleur guitariste que j’aie entendu de toute ma vie. Je ne sais pas s’il est toujours en vie. C’était un magicien de la guitare. Nous avions l’habitude de jouer dans un endroit qui s’appelait The Blue Note à Centerville, Illinois. On y était de 19h30 à 4 h du matin quatre jours par semaine ! »

Stan Mosley, Chicago Blues Festival, Grant Park, Chicago, juin 2005. Photo © Marcel Bénédit

Nous avons entendu dire que vous n’interprétiez par les anciens tubes des Sharpees ?

« Non, nous ne chantions pas des titres comme Tired Of Being Lonely. Vernel Guy et moi-même avons enregistré deux titres avec Eddie Fisher qui est un guitariste de jazz. Un gars du nom de Kenny Rice – qui était un batteur – nous a dit qu’il avait écrit quelques chansons et il voulait que Vernel en chante une. J’ai écrit une chanson, Friday’s  Child, et c’est ainsi que j’ai débuté. Nous avons enregistré dans le home studio d’Eddie Vernel qui a chanté, et moi j’étais en background. C’était ma première chanson et Eddie – qui était un honnête homme – m’a laissé en publier les droits chez BMI. Il aurait pu m’escroquer, car je ne connaissais rien de ces problèmes de droits… »

Debout à l’arrière, de gauche à droite : Fletcher Weatherspoon (concert promoter), dj F.J. Bailey, Artie “Blues Boy” White ; assis, de gauche à droite : Stan Mosley, Little Milton Campbell. Photo DR, courtesy of Stan Mosley.

Ensuite, après The Sharpees, vous avez rencontré Shirley Brown ?

« Oui, c’était à un moment où Shirley et moi partagions le même orchestre. Il était composé de Gus Staton, Oswald Peters, John Redman et un autre type dont je ne me souviens plus du nom. Je n’ai chanté qu’une seule fois avec Shirley et j’étais dans les background vocals parce que ses chanteuses habituelles ne voulaient plus chanter avec elle… Il était très difficile de travailler avec elle. C’était lors d’un show où il y avait aussi Johnnie Taylor. À cette époque, j’avais un cousin, Charles Williams, qui était un grand disc jockey dans la radio WESL St Louis et aussi dans un club dont je ne me souviens plus du nom. Il y était surnommé “The Master Blaster”. Shirley y est venue, ainsi qu’Albert King. Elle avait déjà enregistré, mais pas encore pour Stax. Je suis parti ensuite en tournée avec elle et Tyrone Davis. Il y avait une bagarre permanente entre eux pour savoir qui serait en haut de l’affiche ! Ce fut ma première opportunité d’être sur la route avec des superstars, car c’en étaient à l’époque. »

Stan Mosley avec le producteur Bobby Eli, Philadelphia PA, Grooveyard recording studio, wrapping up session, 3 oct. 2016. Photo DR, courtesy of Stan Mosley.

Vous avez travaillé avec Cicero Blake ?

« Oui, j’ai été son chauffeur ! Je le connaissais vaguement et, en 1990, lui, Willie Clayton, Lee Fields et moi faisions un show à St Louis. Willie et Lee avaient fait des interviews pour la radio. Mais pas Cicero. Le DJ n’avait pas prévu de chambres pour eux. Aussi, j’ai appelé un ami, Roger Redding, qui m’a dit d’amener l’orchestre chez lui et çà s’est terminé autour d’un barbecue. C’est ainsi que Cicero et moi sommes devenus de très bons amis. Je suis devenu son chauffeur, son valet et la première partie de ses concerts ! Je suis resté avec lui pendant quatre ans jusqu’à ce j’aie l’opportunité d’avoir un entretien chez Malaco par l’intermédiaire de William Payton. C’est lui qui a écrit la chanson Freak pour Tyrone Davis, qui n’est pas une grande chanson mais qui a été un succès dans le Sud. J’ai été engagé comme parolier jusqu’à ce que Tommy Couch entende une démo que j’avais enregistrée d’une de mes compositions. Il a demandé qui chantait et m’a proposé un contrat lorsqu’il a su que c’était moi. C’est ainsi que je suis passé de compositeur maison à artiste.

De gauche à droite : Otis Clay, Preston (promoteur), Stan Mosley. Photo DR, courtesy of Stan Mosley

Je n’ai jamais été déçu et je suis très fier d’avoir été chez Malaco. Lorsque l’on m’a dit que je devais aller à Muscle Shoals pour enregistrer, je n’ai pas réalisé ce que cela signifiait, car je ne savait pas réellement ce que ça représentait. J’ai été surpris de voir qu’il y avait une bande de musiciens blancs alors que j’avais l’habitude de travailler avec des musiciens noirs. Tommy Couch et Frederick Knight étaient là et tout à commencé à ce moment. Et j’ai réalisé qui étaient vraiment tous ces gars qui étaient avec nous. Il y avait David Hood, Craig Mavery, Roger Hawkins et d’autres dont j’ai oublié le nom, j’ignorais qui ils étaient. Il y avait une chanson que je voulais enregistrer, Don’t Knock My Love, de Wilson Pickett. Ils ont commencé à le jouer – c’étaient les mêmes gars qui jouent sur l’original – et moi à chanter. Frederick Knight est intervenu et a déclaré que ça ne marchait pas car ça ressemblait trop à l’original. Tommy et Frederick se sont regardés et ont décidé d’aller déjeuner. Et lorsque nous sommes revenus, les musiciens avaient travaillé, ils avaient ralenti le rythme et rajouté du funk (NDLR : il fredonne les deux versions). Nous étions partis à peine 45 minutes et ils avaient tout changé. C’était la même chanson mais ça semblait nettement mieux. Avec les cuivres, les cordes et les choristes, c’était merveilleux. Nettement mieux que tous ces arrangements électroniques, car il me semble qu’on perd en créativité. »

Trudy Lynn et Stan Mosley. Photo DR, courtesy of Stan Mosley.

• C’est sûr que c’était beaucoup mieux autrefois avec tous ces house bands de Stax, Motown, Philadelphia International…

« Oui, mais ça n’existe plus ! J’ai fait mon dernier albums Soul Resurection, avec Bobby Eli de Philadelphia International. Je l’ai enregistré dans quatre endroits différents, à Memphis, Atlanta, Chicago et Philadelphie. »

• Combien de chansons avez-vous enregistrées à Muscle Shoals ?

« Exactement ? Je ne sais pas… Car il y en a qui n’ont jamais été utilisées. Il y en a au moins l’équivalent de deux albums. J’y ai enregistré ce qu’on appelle les « scratch vocals » et les définitifs à Jackson, Mississippi. Mon premier album a été « The Soul Singer », produit par Rich Cason et Wolf Stephenson. Wolf est probablement le meilleur producteur qu’ils ont chez Malaco. Il a également produit l’album « Do Right » . Nous sommes très amis et nous allons souvent à la pêche ensemble. Un jour, après le 11 septembre, j’avais un foulard avec le drapeau américain sur la tête. Il a pris des photos, il y en a une qui illustre la couverture de cet album. »

Stan Mosley et Marshall Thompson (son parrain, leader des Chi-Lites). Photo DR, courtesy of Stan Mosley.

• Lorsque vous étiez chez Malaco, vous avez enregistré trois albums ?

« Probablement cinq comme je vous disais plus tôt… Les trois albums connus sont « Soul Singer », « Souled Out » et « Do Right ». »

• Lequel considérez-vous comme votre meilleur ?

« Le premier. Et puis nous avons continué avec de la musique électronique. « Soul Out » était aussi un bon album, mais vous pouvez voir la différence. Les cuivres avaient été arrangés par Frederick Knight. Il y a des bons titres comme I’m Not The Man I Used To Be. »

Stan Mosley derrière Bobby Rush et Frank Bey, au milieu des artistes participant au Porretta Soul Festival 2016. Photo © Marcel Bénédit

• Après Malaco, vous avez signé chez Mardi Gras Records ?

<p »>« Oui, avec Senator Jones. Il travaillait aussi pour Malaco. L’album « Good Stuff », que j’ai fait avec lui, aurait du être très bon, mais malheureusement il n’a pas investi l’argent nécessaire. L’orchestration devait être avec des musiciens « live », dont Harrison Calloway, et il l’a faite avec des sons électroniques et a gardé l’argent ! Je suis très déçu du résultat. Sir Charles a voulu retravailler l’album, mais c’était trop tard car il avait déjà été édité. L’argent pour le produire était le mien. En fait, Senator Jones est un arnaqueur. »

Stan Mosley et le gutariste et band leader Anthony Paule, Porretta Soul Festival, décembre 2021. Photo © Dave Thomas

• Vous n’étiez pas satisfait du traitement que vous aviez chez Malaco, mais chez Mardi Gras c’était pire visiblement. Il semble qu’après vous ayez eu une période de tranquillité ?

« Non. J’ai fait un autre album « Steppin’ Out », sur le label Double Duo que mon manager Eric Garner avait créé. Nous n’avons pas eu la distribution que nous souhaitions, car il n’a été vendu que dans les quartiers noirs. »

• Vous avez également travaillé avec Nellie “Tiger” Travis ?

« Nous avions le même producteur à Chicago, Ford Hamberlin Jr. Nous avons enregistré un titre formidable ensemble, écrit par Bob Jones, Who Knows You. Tout ceux qui l’ont écouté le trouve fabuleux. Il a été édité sur nos albums respectifs « I Like It » pour moi et pour elle sur un album CDS dont je ne me rappelle plus du titre (NDLR : et figure aussi sur la compilation « Southern Soul Slow Jams » sur Aviara Music). Carl Marshall a produit deux de mes albums pour CDS : « Out Of My Life » et « I’m Coming Back ». J’ai ensuite produit un EP avec les choristes Theresa Davis, Diane Madison et Joann Graham dans le studio de Floyd Hamberlin. Il y avait les titres Give Me a Chance, Together For Ever. C’est le premier disque que j’aie vraiment produit moi-même et il a très bien marché. Il s’appelait « Standing Tall ». »

Stan Mosley et George McCrae, Porretta soul Festival, juillet 2016. Photo © Marcel Bénédit

• Il y a ensuite eu l’album : « Man Up » ?

« C’était aussi un projet de Floyd Hamberlin. C’est un très bon écrivain, il a de très bonnes idées, mais hélas sa musique est limitée à cause d’une production de piètre qualité. Il m’a déconseillé et fini par me convaincre de ne pas prendre le Muscle Shoals Band et d’utiliser des sons électroniques. C’est la pire erreur que j’ai pu faire. Le disque est sorti sur le label de Dylann DeAnna, CDS Records. Il y avait un très bon guitariste du nom de Walter Scott, originaire de Chicago et qui a travaillé avec beaucoup d’artistes dont The Chi-Lites. C’était aussi mon « musical director ». Quand l’album « Soul Singer » est sorti, il était dans mon orchestre de tournée et son frère Howard était mon road manager. »

Sur scène, Stan Mosley tout sourire avec, à sa droite, Howard Scott (chant) et Walter Scott (guitare). Chicago Blues Festival, Grant Park, Chicago, juin 2005. Photo © Marcel Bénédit

• Puis en 2009, il y a l’album I’m Coming Back ?

« Il a été produit par Carl Marshall pour CDS Records et enregistré électroniquement. Carl, qui est aussi musicien, y a rajouté des claviers et une guitare. »

• Vous avez maintenant des projets avec Anthony Paule ?

« Oui, car je suis très à l’aise avec lui et nous allons bientôt commencer à enregistrer. »

Stan Mosley accompagné par l’orchestre d’Anthony Paule, Porretta Soul Festival, 28 décembre 2021. Photo © Giorgio Barbato / Sweet Soul Music

• J’ai l’impression que votre voix a changé avec le temps et qu’elle sonne de plus en plus comme celle de Bobby Womack. J’ai été particulièrement impressionné par votre version de Harry Hippie.

« J’ai dû me battre cette semaine car je n’avais pas chanté depuis deux ans ! »

Stan Mosley, Porretta Soul Festival, 29 décembre 2021. Photo © Giorgio Barbato / Sweet Soul Music

• Pour terminer, une dernière question candide : Avez-vous été confronté à la confusion qu’il peut y avoir entre vous et Mosley & Johnson qui étaient aussi chez Malaco ?

« Oui, et je vais vous raconter une anecdote à ce sujet. Un vendredi, je reçois de Malaco un chèque de 2000 dollars avec mon nom dessus et mon numéro de sécurité sociale. Je l’encaisse et le dépense. Le lundi, Tommy Couch m’appelle et me dit qu’il y a eu une erreur et que le chèque était en fait pour Sam Ray Mosley (de Mosley & Johnson) et me demande de renvoyer le chèque, Je lui dit que c’est trop tard, que de toute façon j’ai dépensé l’argent et que Malaco me doit de l’argent car je suis furieux à chaque fois que je vois la publicité à la télévision pour la compilation Juke Joint Saturday Night sur laquelle figurent trois de mes titres, et n’ ai pas touché un centime alors qu’elle s’est vendue à 15 millions d’exemplaires ! »

• Et vous avez rendu l’argent ?

« Absolument pas ! »

 


Propos recueillis par Dave Thomas et Jean-Claude Morlot pour ABS Magazine le 29 décembre 2021, Hôtel Roma, Porretta Terme, Italie, dans le cadre du 33ème Porretta Soul Festival. Remerciements à Graziano Uliani et à tout le staff du Porretta Soul Festival ainsi qu’à la direction de l’Hôtel Roma.