French Quarter Festival 2025

NO Brass Band, French Quarter Festival 2025, New Orleans, Louisiana. Photo © Stéphane Colin

As time goes by, play it Sam

• Une fulgurance de sons, un enchevêtrement de senteurs musicales… On pourrait sortir moult descriptifs laudateurs pour essayer de définir ce marathon musical à nul autre pareil. Le French Quarter Festival a débuté un jeudi et le moins qu’on puisse dire est qu’on s’est laissé emporter dès le premier jour…

Poster officiel de l’édition 2025 du french Quarter Festival réalisé par l’artiste de La Nouvelle-Orléans, Ceaux.

Du défilé des fanfares du début de matinée à la clôture de la journée au son du légendaire Dirty Dozen Brass Band, la journée est incontestablement bien remplie. Passer du zydeco le plus roots de Corey Ledet et de Chubby Carrier à la sophistication bluesée de l’orchestre de Judith Owen ou à la tornade foutraque de la bande de James Andrews, résonne comme un saut esthétique tout à la fois surprenant et cohérent.

Corey Ledet, French Quarter Festival 2025, New Orleans, Louisiana. Photo © Stéphane Colin

Le jeune trompettiste Aurélien Barnes, fils du légendaire accordéoniste Sunpie, aurait tout aussi bien pu rivaliser sur l’instrument avec Mark Braud et Kevin Louis au sein du Preservation Hall Brass Band. Ces récentes prestations en « jazz Trad », que ce soit au Preservation Hall justement ou au Mahogany Hall, en attestent. En lieu et place, le voir diriger de main de maître ce grand groupe de funk des Rumble est une expérience sensorielle et émotionnelle d’un autre monde. La musique semble couler d’elle même avec ce groupe rare, digne héritier des Neville Brothers et des Meters. Un éclat local particulier où l’influence du son des Mardi Gras Indians est d’autant plus prégnante que le principal chanteur du groupe n’est autre que le propre fils de Big Chief Monk Boudreaux. Un cross over permanent, une transversalité d’influences familiales ou autre qui explique ce refus de catégorisation verticale qu’on ressent dans cette course effrénée qui nous fait passer d’une scène à l’autre en ne jetant qu’un coup d’œil furtif au Mississippi proximal. Under the boardwalk… le son d’une ville !

Sunpie & Aurélien Barnes, French Quarter Festival 2025, New Orleans, Louisiana. Photo © Stéphane Colin

River of New Orleans

River… Avec un tel prénom , il paraissait logique que le bateau des garde côtes déjà présent la veille pour Irma Thomas, accompagne le concert. À côté de ce périlleux surplace où le combat avec les eaux tumultueuses du Mississippi est permanent, le jeu de piano de l’adolescent River Eckert paraît étrangement mature et apaisé, aux antipodes du côté chien savant qu’on peut trouver chez certains adolescents prodiges.

Irma Thomas, French Quarter Festival 2025, New Orleans, Louisiana. Photo © Stéphane Colin

Accompagné par un orchestre dirigé par son père, lui même ancien guitariste du Dirty Dozen Brass Band, le jeune pianiste chanteur de quinze ans est déjà au-dessus du lot. Il est indéniablement à même de rejoindre la caste des grands claviers de la ville qui, de Professor Longhair à Dr John , Allen Toussaint et James Booker, ont marqué le son de la Cité du Croissant.

River Eckert family, French Quarter Festival 2025, New Orleans, Louisiana. Photo © Stéphane Colin

Ce lien familial, on le retrouvera tout au long du séjour. Pas de népotisme ici, mais plutôt l’idée d’un passage de témoin après apprentissage artisanal. La forte accointance entre Sunpie Barnes et son fils Aurelien aussi présente sur le zydeco que sur le jazz ou le funk, la clarinette de 5 ème génération de Louis Ford, la trompette de Mark Braud, petit neveu de Welman, contrebassiste pionnier de l’orchestre de Duke Ellington, la batterie du petit fils de Classie Ballou derrière l’accordéon de Tyrone Duhon, ne sont que quelques indicateurs d’une ville à même de faire sa cuisine familiale autour du pot commun.

Balou Jr. & “The Zydecologist” (Philippe Sauret), French Quarter Festival 2025, New Orleans, Louisiana. Photo © Stéphane Colin

Point de nostalgie exacerbée ici, mais plutôt une avancée tranquille où le socle initial est le meilleur garant d’une créativité rassérénée. Il y a du jazz et du funk dans le zydeco et dans le rap d’ici. Où que l’on aille les cuivres de la fanfare et les mélopée africaines des Mardi Gras Indians interpellent.

Flatboy Biz, French Quarter Festival 2025, New Orleans, Louisiana. Photo © Stéphane Colin

Le Flagboy Giz et ces Wild Tchoupitoulas peuvent saluer leurs glorieux ancêtres lors de leur show étourdissant. De Big Chief Jolly à Aaron Neville, des Meters aux Neville Brothers, il n’y a parfois qu’une lampée de slam ou qu’un bout de bounce pour aller au fond du temps… Only in New Orleans…

Cuban Flavor

Indéniablement, le chanteur John Boutté possède un supplément de quelque chose… L’impression que même aphone, il serait en capacité de transmettre son message vocal avec une conviction et une intensité toute personnelle. Une force paraverbale qui vous fait comprendre les paroles avant de les entendre. Accompagné d’un orchestre rare, tout en subtilité et en écoute, les réminiscences « buena vistiennes » font florès et rattachent comme souvent ici cette musique néo-orléanaise à la grande histoire du son afro-caribéen. Même impression avec les New Orleans Nighcrawlers du tromboniste Craig Klein. Une chaloupe juxta-cubaine qui fait tanguer l’une des grandes fanfares de la ville sans jamais la faire verser. Un balancement commun que les grands anciens Georges Porter Jr et Irma Thomas n’ont jamais abandonné.

Georges Porter & family, French Quarter Festival 2025, New Orleans, Louisiana. Photo © Stéphane Colin

Au-delà des 80 printemps, la vie semble belle pour de telles personnalités qui produisent toujours des shows profondément habités. Avec ses Running Partners, le bassiste des Meters, aux lignes de basse samplées par tous les rappeurs de la terre, produit un funk tout aussi rutilant qu’au premier jour. Et quand Irma relance ces musiciens au son de It’s Raining ou de Time is on My Side, on reste ébaudi devant une intégrité vocale à même de traverser les ans sans aucun dommage. Sur le Mississippi proximal, le bateau des gardes-côtes semble lambiner pour profiter de l’instant. Irma chante et tout peut s’arrêter.


Par Stéphane Colin
Remerciements au staff du French Quarter Festival pour son accueil