Genèse et naissance d’un festival de Blues

De gauche à droite : Stephen Hull, Sam Winterheimer (b), Koko-Jean, Victor Reed (d) et Andrew Alli, Montpellier Blues Festival, 9 juillet 2023. Photo © Anand Le Prince

Regard d’un bénévole « impliqué »…

• Un soir de décembre 2021, le téléphone sonna. Se présenta alors Gilles Michat, jusqu’alors inconnu de votre serviteur. « Radio Clapas (1), contactée par mes soins selon les conseils de Pierre Serres – le directeur de l’hebdomadaire La Gazette de Montpellier –, m’a donné vos coordonnées. J’aimerais vous rencontrer afin de discuter de mon projet de festival de Blues de niveau international à Montpellier ». Rendez-vous fut pris. Autour d’un verre de bon vin, Gilles Michat me présenta un projet déjà bien réfléchi pour créer ce qui deviendrait la première édition du Montpellier Blues Festival…

Je l’orientai vers le tourneur Didier Tricard dont la très grande compétence et la connaissance du monde du Blues sont impressionnantes. Son fils, Guillaume, qui dirige Boom Boom Productions, nous a apporté, lui aussi, son aide. Leurs conseils furent précieux. Un troisième larron amoureux de musique, Bertrand Hanslik, nous rejoignit. Ainsi naquit l’association Clapas Blues.

Très vite, une date et un lieu furent choisis : les 21,22 et 23 juillet 2023, place royale du Peyrou à Montpellier. Rencontres nombreuses avec les responsables de la culture de la ville et de la métropole. Toutes les personnes rencontrées se dirent très intéressées, notre projet de budget étant très élaboré. Des contacts furent alors pris auprès d’artistes : Mighty Mo Rodgers, Crystal Thomas, Terrie Odabie avec Anthony Paule avaient donné leur accord pour venir à Montpellier. Hélas, quand la nouvelle direction du traditionnel Festival de Radio France Montpellier découvrit ce projet après un article publié dans La Gazette de Montpellier, elle obtint l’interdiction de l’évènement à venir. Le nouveau festival était mort-né ! Nous décidâmes d’en modifier les dates. Nous proposâmes les 7, 8 et 9 juillet. Après beaucoup de tergiversations et d’hésitations, la Mairie accepta de nous accorder un lieu historique du cœur de la ville : la place royale du Peyrou où trône une statue de Louis XIV. Nous engageâmes alors un responsable technique, Joel Mallardeau, un responsable de production, Philippe Thévenet, l’agence de communication Signatures dirigée par Cyril Massot dont nous pûmes apprécier les remarquables compétences.

Esplanade du Peyrou (Muddy Gurdy sur scène), Montpellier, 7 juillet 2023. Photo © Anand Le Prince

Vint le choix des artistes. Mighty Mo Rodgers m’avait promis sa présence lors de notre premier contact par courrier électronique. Il est venu. Nous dûmes décliner, à regret, la proposition de mon ami Eddie Stout : Orange Jefferson et Sean ‘Mak’ McDonald. Il était, hélas, trop cher de faire venir ces artistes et leurs accompagnateurs d’Austin à Montpellier pour une soirée, le prix des avions et des hôtels ayant flambé. Nous avions une exigence de réussite : remplir le Peyrou, ce qui n’est pas tâche facile. Avec 200 spectateurs par soirée, nous aurions été ridicules. Nous fîmes donc un choix « commercial » pour les têtes d’affiche des deux premières soirées afin d’attirer le public. Popa Chubby se produisit le premier jour. Cet artiste de rock blues n’est pas ma tasse de thé, mais j’ai apprécié ses interprétations de Tutti Frutti qui débuta le concert, Somewhere Over The Rainbow, Get Out Of My Life Woman et What I Say de Ray Charles. Beaucoup plus de réserves sur les longs et insignifiants soli de guitare… La seconde vedette de ce festival, le 9 juillet 2023 fut Keziah Jones. La majorité du public était venue pour lui. Elle ne fut pas déçue. Keziah Jones invita le batteur anglais Neil Conti – figure de la scène musicale montpelliéraine (il a longtemps joué avec David Bowie – pour la plus grande joie de l’audience. Personnellement, j’ai apprécié son interprétation de All Along The Watchover ; le reste de son show m’a laissé froid.

Tia Gouttebel et Gilles Chabenat (Muddy Gurdy), Montpellier Blues Festival, 7 juillet 2023. Photo © Anand Le Prince

La programmation fut très variée, selon l’avis du public. Muddy Gurdy ouvrit le festival le 7 juillet. Une prestation de qualité malgré un son trop saturé pour certains. La vielle à roue fut une découverte et une surprise pour les spectateurs du festival. Se détachent Down In Missisippi de JB Lenoir, Chain Gang de Sam Cooke en version downhome blues, Black Madonna, composition de la chanteuse et guitariste du trio, Tia Gouttebel, et le rappel avec You Got To Move. À la chanteuse Sharrie Williams revenait la tâche d’ouvrir la seconde soirée, le 8 juillet. De retour sur le devant de la scène, après quatre années difficiles (mort de son mari, de son frère, dépression et perte importante de poids), elle séduisit les montpelliérains avec les chansons de son nouveau CD, « The World Is In Trouble » (Faith Records 3). Excellent fut son orchestre emmené par le guitariste italien Enrico Crivellaro avec qui elle n’avait cependant jamais joué. On peut regretter qu’elle ait été un peu bavarde entre les chansons, mais on sentait qu’elle avait envie de transmettre son message d’amour.

Sharrie Williams avec Enrico Crivellaro, Montpellier Blues Festival, 8 juillet 2023. Photo © Anand Le Prince

Le dimanche soir 9 juillet, alors que la foule était disséminée sur la place royale du Peyrou, Koko-Jean, en quelques secondes, sut rassembler, grâce à sa voix et son physique avantageux, la foule devant la scène. Elle est la reine de la Soul à Barcelone. La regrettée Tina Turner est son inspiratrice. You Gotta Groove, Free Party In The Neighbourhood et From The Country To The City se détachent.

Koko Jean & The Tonics, Montpellier Blues Festival, 9 juillet 2023. Photo © Anand Le Prince

Le concert de Stephen Hull (chant et guitare) et Andrew Alli (chant et harmonica) fut excellent. Ce fut certainement le plus traditionnel. Big Legged Woman, Lucille, Caldonia, My Baby Comes From Texas et Hard Working Man ont enchanté le public.

Stephen Hull & Andrew Alli, Montpellier Blues Festival, 9 juillet 2023. Photo © Anand Le Prince

Vendredi 9 juillet, Mighty Mo Rodgers, accompagné du remarquable guitariste Luca Giordano, Abramo Ritti (orgue Hammond), Walter Monini (basse), Alessandro Di Bonaventura (trompette), Ricardo Maggiti (saxophone) et Eric Cisbani (batterie), donna une superbe prestation. Bien qu’octogénaire, Mighty Mo est en pleine forme. Il me confia, après le concert, qu’il redoutait un peu ce set car il n’avait pas joué avec ces musiciens depuis quatre mois et que seul Luca Giordano connaissait parfaitement les nouvelles chansons qu’il interpréta : Memphis Callin’, Love, Love, Love, Bad, Bad Luck que vous retrouverez sur son excellent nouveau CD intitulé « Memphis Callin’ » – Soul Music & The American Dream (Hair, Prayer and Blues Music – no number). En ces temps de guerre en Ukraine, le reggae Prisonner Of War était le bienvenu.

Mighty Mo Rogers, Montpellier Blues Festival, 9 juillet 2023. Photo © Anand Le Prince

Le vendredi 7 juillet, les trois jeunes new-yorkais des Harlem Gospel Travelers ont mis le feu à la place royale du Peyrou. Ifedayo (Thomas) Gatling, George Marage et Dennis Keith Bailey III, que les montpelliérains découvraient, ont des qualités vocales extraordinaires et sont d’excellents danseurs. Même si cela ne fut pas parfait, ce fut un vrai bonheur à écouter et à voir. Le répertoire provenait essentiellement de leur dernier album « Look Up ! » (Colemine Records CLMN 12050) auquel ils ajoutèrent une fiévreuse version de (I can’t Get No) Satisfaction. Un concert formidable. 1h30 de joie, de bonheur grâce à ce gospel moderne qui mêle doo-wop, soul, rap. Fraîcheur et dynamisme juvéniles.

The Harlem Gospel Travelers, Montpellier Blues Festival, 7 juillet 2023. Photo © Anand Le Prince

Hélas, la conclusion du festival ne fut pas tout à fait à la hauteur de ce nouvel évènement qui devrait revenir en 2024. Un médiocre Joe Louis Walker fatigué a déçu le public et les amateurs de sa musique.

France Bleu Hérault émit en direct du festival le vendredi 7 juillet de 16h à 19h. Tia Gouttebel et Gilles Chabenat (Muddy Gurdy) et les trois chanteurs des Harlem Gospel Travelers furent longuement interviewés. Ces derniers furent impressionnés par le cadre. Ils se rendirent au monument du château d’eau, à l’arrivée de l’aqueduc, le touchèrent très intrigués. Un peu plus tard, ils firent même une séance de photographies au pied du bâtiment. Sharrie Williams me confia, avant son concert, ses terribles épreuves de ces quatre dernières années. Mighty Mo Rodgers m’avoua avoir pleuré quand il découvrit, dans Living Blues, la chronique de son premier cd « Blues Is My Wailin’ Wall » (Northstar Records-NS 1001) en 1999. Le lendemain matin, quand je pris en charge à l’hôtel pour le conduire au train, il sortit de son sac une nouvelle biographie américaine d’Albert Camus dont il se dit grand lecteur. Tous les artistes invités ont vanté la beauté du lieu, la qualité du son et de l’organisation. Ils semblaient heureux d’être là. Un premier festival artistiquement très réussi. Il faut remercier l’excellence de tous les techniciens et l’enthousiasme des nombreux bénévoles. Leur contribution fut une des raisons du succès de ce nouvel évènement estival en France. Fascinants furent pour votre serviteur les quatre jours d’installation et la journée de démontage auxquels je participai activement.


Note :
(1) : Radio Clapas est l’une des plus anciennes radios associatives de France. Elle a débuté en 1978 et était donc pirate. Les quelques émissions étaient diffusées à partir d’une 2CV. En 1981, votre serviteur devint l’animateur d’une émission consacrée au Blues, Rhythm & Blues, Soul et Gospel. Quarante deux ans plus tard, il sévit toujours sur les ondes de Radio Clapas 93.5 FM à Montpellier.


Par Gilbert Guyonnet