Zydeco Soul Ambassador
• Figure légendaire de la musique louisianaise, Major Handy joue un zydeco mâtiné de rhythm & blues et de jazz. Certains l’ont peut-être découvert à travers le film de Robert Mugge en 2016, « Zydeco Crossroads : A Tale Of Two Cities », ou lors d’une de ses tournées européennes comme au Lucerne Blues Festival en 2015. Mais le destin l’a ensuite privé de scène : triple pontage en 2018, incendie de sa maison en 2019, puis un accident vasculaire cérébral en 2020. Il se produit de nouveau aujourd’hui sur les scènes locales. En mai dernier, il a reçu le Living Legend Award du New Orleans Jazz & Heritage Festival et peu avant était à l’affiche du Festival International de Lafayette où j’ai pu constater qu’il avait recouvré toutes ses facultés à jouer son “souful zydeco” pour un public toujours aussi enthousiaste. Il nous a, à cette occasion, ouvert les portes de son domicile afin d’évoquer sa carrière et ses projets.
• Présentations…
Je suis né le 15 mai 1947 au Charity Hospital de Lafayette, Louisiana. C’est la ville où j’ai grandi et où je vis encore aujourd’hui.
• Premiers pas dans la musique
Lorsque j’étais jeune, mon père avait des disques qu’il écoutait et j’ai toujours eu envie de jouer de la guitare. J’en jouais partout avec mon frère ; dans les bois, je m’asseyais au pied d’un arbre pour en jouer. Mon oncle m’a emmené dans une boutique de disques, il y en avait beaucoup en vitrine. On ne pouvait pas en acheter, mais on pouvait au moins les regarder. On écoutait de la musique tout le temps. WLAC de Nashville, Tennessee, avec John R (NDLR : Richbourgh) au micro. J’avais environ dix, douze ans. J’écoutais du Blues, mais aussi Otis Redding. J’allais au lit et j’écoutais la radio. Malheureusement, on ne pouvait pas acheter ce que John R ventait à la radio. Nous n’avions pas beaucoup d’argent. Mon père était l’employé d’un métayer, il conduisait son tracteur ainsi que d’autres choses. Les temps étaient durs. J’avais alors douze ou treize ans. Il y avait seize acres de terre à travailler. Mais j’avais envie de jouer de la guitare.
• Les débuts en tant que musicien professionnel
Je n’en ai pas réellement joué jusqu’à ce que mon cousin – qui était chanteur et avait un orchestre qui s’appelait Clifton & The Pimps – me dise de venir à leurs répétitions. Ils avaient besoin d’un bassiste. Mon cousin m’a emmené à la boutique et m’a acheté une basse Fender Precision. J’avais un deal avec lui, j’avais l’impression qu’elle coûtait un million de dollars, mais j’avais une guitare et un job !
Le mari de ma première cousine, Indiana Davis – qui était la fille de mon oncle Teeco –, avait un orchestre qui s’appelait Wallace Jockey & The Rhythm Rockers. Il m’a engagé pour jouer de la basse avec lui car son bassiste avait été enrôlé dans l’armée et je suis resté avec lui pendant des années ; toujours sur la route avec une “station wagon” et une remorque. Après ça , je suis retourné à la maison et suis resté à ne rien faire.
• Rencontre avec Otis Redding
Il y à Mandeville, Louisiana, un club appelé le Dew Drop Jazz & Social Club Hall (qui existe encore). Otis Redding y est venu pour y chanter une nuit. Son guitariste était saoul et Otis à demandé s’il y avait ici ou dans les environs un guitariste qui pourrait le remplacer. Mon oncle l’a emmené chez sa femme et m’a présenté à lui. Il m’a demandé si je pouvais jouer sur ce qu’il chantait et j’ai répondu que je pensais en être capable. J’ai commencé à jouer et je ne me trouvais pas très bon, mais lui a apprécié. Il a suggéré que je parte avec lui et l’orchestre sur la route et qu’ils m’apprendraient tout ce que je devais savoir. Je n’avais que 16 ans et ma mère était réticente à l’idée que je parte sur le “chitlin’ circuit”. À l’époque, c’était un phénomène marginal, c’était avant que ça devienne énorme. Il y avait déjà des gens comme Ike & Tina Turner qui s’y produisaient. En fait, je pense que ses origines remontent au zydeco et à Clifton Chenier. C’était en 1963 ? J’avais seize ans et je suis né en 1947 ! C’était avant qu’Otis soit connu.
• L’armée
Ensuite, je suis resté à ne pas faire grand-chose tout en continuant de jouer et progresser à la guitare. J’ai été appelé sous les drapeaux en 1968. J’ai quitté la maison pour Houston puis La Nouvelle-Orléans pour le service. Lorsque je suis arrivé, on m’a dit qu’ils n’avaient pas besoin de moi ici. Je me suis dit : « Oh, mon Dieu, qu’est ce que je vais faire ? ». Je fréquentais une fille à Breaux Bridge, j’avais une voiture et je me suis marié. En fait, je pensais qu’ils ne voudraient pas de moi parce que j’étais marié, même si je n’avais pas d’enfant… Mais pas du tout. Et nous voilà partis pour la Californie, Camp Pendelton, où j’ai fait mes classes et ensuite on m’a envoyé au Vietnam. Un jour, j’étais dans une maison où nous étions attaqués. Un tir a frôlé ma tête, ce qui m’a provoqué une contusion. J’ai été envoyé à l’hôpital où je suis resté pendant trois semaines. C’était pratiquement la fin de la guerre et on m’a transféré en Caroline du Nord…
• La collaboration avec Rockin’ Dopsie
Puis j’ai décidé de rejoindre Rockin’ Dopsie et son orchestre, The Cajun Twisters. Nous avons beaucoup voyagé ensemble, à Liverpool, en Russie, Leningrad, en Finlande, en Suède, Stockholm, etc. Je suis resté avec lui jusqu’en 1989 où je l’ai quitté pour fonder mon propre groupe, The Louisiana Blues Band.
• Carrière solo
Ensuite, j’ai reçu une offre du gouvernement canadien pour y jouer ma musique. J’ai fondé un groupe de zydeco canadien car c’était plus facile pour des problèmes légaux que de venir avec un groupe américain. C’était en 1989, juste après avoir quitté Rockin’ Dopsie et j’y suis resté jusqu’en 1994 où je suis retourné en Louisiane. J’ai joué un peu partout et j’ai démarré les “Zydeco Breakfasts” à Breaux Bridge au Café Des Amis tous les samedis matin. Ça a duré deux ans et demi, c’était bourré à craquer, des vedettes y venaient et même le Gouverneur !
Je jouais de l’accordéon et je chantais. Ça faisait un moment que je n’avais pas d’orchestre. Après ça, je me suis produit sur des bateaux de croisière, car je suis membre de la Music Maker Foundation qui s’occupe de la promotion des artistes et, grâce à elle, j’ai beaucoup tourné jusqu’en Australie. Je suis resté avec cette fondation pendant une douzaine d’années.
• Les enregistrements
C’était pas un album, pas un single. Mon premier single fut St James Infirmary et Come On Home en face B qui est toujours populaire ; l’autre jour, avec Rockin’ Dopsie Jr, on me réclamait cette chanson et tout le monde chantait avec nous. Le deuxième single fut Wondering About You et Allons Dancer et le troisième I Won’t Be Home For Christmas qui fut également inclus dans la compilation « Santa’s Funk & Soul Christmas Party » sur Tramp Records.
J’ai enregistré beaucoup de singles, parfois les discographies sont incomplètes, aussi j’en ai regroupé certains sur l’album « Zydeco Wolf-Couchon » en 1985. Mon deuxième album n’est sorti qu’en 2009. Il s’est passé du temps entre les deux… J’ai enregistré « Zydeco Feeling » à Kansas City puis, la même année, « Major Handy » sur APO Records. Mon dernier album s’intitule « Zydeco Soul ». Je l’ai enregistré en 2017, précédemment il y avait eu « Zydeco Mama ». Ces CDs sont très difficiles à trouver ! Au final j’ai fait peu de disques. Je fais beaucoup de scène, cela compense le manque d’enregistrements !
Je suis aussi accordéoniste, mais je ne joue pas la musique cajun. Je suis plutôt jazz, rhythm & blues, blues et zydeco. Je ne joue pas le « driving style » comme la plupart des groupes zydeco, j’accorde une grande importance à la mélodie.