Gerald McClendon

Gerald McClendon. Photo © John R. Boehm (courtesy of Gerald McClendon).

De la Soul, sans état d’âme…

• Gerald McClendon le confesse bien volontiers : « Chicago est une ville formidable pour la musique, elle recèle de nombreux talents, c’est une cité incroyable… ». Nous ne pouvons qu’être d’accord avec son affirmation et ajouter à la liste des talents de la Windy City cet excellent chanteur qui vient de signer – sur le label Delta Roots Records et en compagnie de Twist Turner – un excellent album de Soul et de Blues : « Can’t Nobody Stop Me » – DR-1003 (cf chronique dans ABS Magazine n°71). Il a bien voulu se prêter au jeu d’un entretien à distance, Covid oblige…

Gerald est à l’heure de notre rendez-vous, les technologies numériques nous permettant d’abolir les distances, puisque, pour cause de pandémie, tout déplacement de l’autre côté de l’Atlantique est malheureusement interdit. Il est confortablement assis dans un espace qui lui sert de bureau ; derrière lui des photos de famille, des personnalités, mais aussi des artistes qu’il aime à la scène ou sur grand écran. Nous évoquons en préambule – avant de débuter l’interview – les terribles difficultés rencontrées par les musiciens dans tous les quartiers de la Cité des Vents. Seuls quelques-uns arrivent à s’en sortir en faisant hebdomadairement – via internet – quelques mini concerts depuis leurs domiciles, mais cela reste symbolique. Désormais, il nous paraît loin le temps où les clubs débordaient d’activité. Il est grand temps que cette sinistre pandémie ne soit plus qu’un lointain cauchemar et que Gerald McClendon soit enfin – après de longues années de labeur – justement récompensé par le public espérons-le international, il le mérite tellement.

Gerald McClendon. Photo © John R. Boehm (courtesy of Gerald McClendon).

Au lycée avec Chaka Khan

J’ai grandi dans une banlieue de Chicago. C’était un ensemble où le béton régnait en maître. Mes parents travaillaient dur. Mon père est décédé quand j’étais encore un enfant. La radio a alors été pour moi une formidable opportunité de m’échapper de mon quotidien, elle m’a permis de m’ouvrir vers le monde de la musique. Je ne connaissais pas toutes les règles et codes de ce qui allait bien plus tard devenir mon métier, mais je savais au plus profond de moi que tôt ou tard je ferais de la musique. Mon éducation musicale s’est faite en écoutant de multiples programmes diffusés sur les radios de Chicago. J’ai ainsi découvert tous les grands artistes de la Soul et du R’n’B comme Stevie Wonder, The Temptations, Marvin Gaye, Smokey Robinson, Otis Redding, James Brown, The Chi-Lites, Z.Z. Hill et tant d’autres. Dès mon enfance, malgré ma timidité, je souhaitais devenir chanteur professionnel, c’était alors mon plus grand souhait. Je me revois chez moi écouter tous les succès qui tournaient en boucle. Dans ma chambre, le soir, j’écoutais avec un petit écouteur que l’on glissait dans l’oreille tous ces artistes qui sont maintenant entrés dans l’Histoire de notre musique. Je me faisais un devoir d’apprendre tous ces succès par cœur, je tentais de reproduire à la note près toutes ces merveilleuses mélodies que je découvrais et adoptais aussitôt. C’était incroyable, quasiment toutes les semaines les différentes radios mettaient à l’antenne de nouveaux succès ou nous proposaient de découvrir des artistes qui commençaient à se faire un nom avec de formidables mélodies qui aussitôt nous harponnaient. Mémoriser les textes, reproduire les compositions de mes idoles, il n’y avait que ça qui m’intéressait. Je ne pensais absolument pas à tout le business qu’il y avait derrière tout cela évidemment, mon unique but était d’apprendre tous ces titres avec le secret espoir qu’une grande carrière pourrait éventuellement s’offrir à moi. J’ai commencé sérieusement à penser à en faire un métier quand j’ai vu dans mon lycée tous ces groupes qui gravitaient au sein de l’établissement. À l’époque, je me suis rapproché de la chanteuse Chaka Khan qui avait monté une formation avec sa sœur. Je faisais les chœurs sur quelques-uns de ses titres et je m’occupais également de la chorégraphie. On faisait tout ça entre les cours, nos repas vite avalés à la cantine afin que nous puissions répéter. Après le lycée, tout le monde s’est séparé, Chaka s’est très vite orientée professionnellement et a signé avec un label. Me concernant, ce fut une autre paire de manches… Il fallait alors se remettre en question, ne pas se décourager et surtout persévérer dans la voie que je m’étais choisie.

Gerald McClendon et le King Of Soul band. Photo © John R. Boehm (courtesy of Gerald McClendon).

King Of Soul

Un coup de cœur éternel pour « Choose Love »

J’ai sorti mon premier album intitulé « Choose Love » (NDLR : Do-Rae Productions) en 1999. Ce fut vraiment une aventure au niveau de la production, car je souhaitais être le maître d’œuvre de ce projet. Je découvrais alors l’autre facette de ce métier, je n’avais malheureusement pas un gros budget, j’ai donc dû négocier un rabais avec le propriétaire du studio pour les heures planifiées d’enregistrements, sinon cette première aventure se serait arrêtée avant même d’avoir commencé ! J’ai finalement pu faire cette première session avec à mes côtés mon ami Roosevelt Purifoy aux claviers qui est également présent sur mon dernier CD paru chez Delta Roots. Je suis très fier de toutes ces morceaux, je les écoute encore aujourd’hui avec la satisfaction du travail accompli, malgré de nombreuses embuches qui étaient présentes tout au long de l’évolution de ce projet qui m’était si cher. Aujourd’hui, d’autres défis sont à relever, internet a totalement changé nos habitudes, notre mode de vie, les ventes de CD ont considérablement chuté. Les gens ont pris l’habitude de passer par des plateformes de streaming, plutôt que de stocker des albums sur des étagères. Cela remonte à mon enfance, j’ai la nostalgie de l’époque où nous découvrions un album, on écoutait religieusement tous les titres, on se passionnait également pour les notes des pochettes, tout ceci est derrière nous désormais. En 2006 est paru un intéressant album intitulé « Mother Blues with Gerald McClendon », malheureusement le succès ne fut pas trop au rendez-vous. Financièrement, le leader du groupe – qui était aussi le producteur –, avait des difficultés et le peu d’argent des ventes du CD servirent à payer les factures de cette session laissée en suspens. Plus proche de nous, sur le label Pravda Records, a été publié en 2019 un album intitulé « Vince Salerno & Gerald McClendon, Grabbing The Blues By The Horns ». Vince est un ami saxophoniste qui joue régulièrement à mes côtés. Les titres proposés sont du Blues pur jus, j’y reprends même la fameuse composition du légendaire Billy Boy Arnold, I Wish You Would.

Gerald McClendon. Photo © John R. Boehm (courtesy of Gerald McClendon)..

Le savoir-faire de Twist Turner

Un ami musicien avec qui je joue régulièrement m’avait indiqué que Twist Turner recherchait quelqu’un pour enregistrer un titre… Finalement, je suis tombé sur lui dans un club, nous avons discuté, il m’a demandé de passer le voir et quasiment de suite cela a fonctionné entre nous. Je dois ici lui rendre hommage, c’est lui qui a composé et produit les titres de l’album que nous venons de faire. Certains avaient une tonalité blues, Twist savait que j’étais plutôt un chanteur de soul, mais c’était loin de lui poser un problème. « Dis-moi ce que tu ressens, tout simplement… », ma t’il dit lorsque nous avons commencé à mettre en boîte un premier morceau. Ensuite, tout s’est merveilleusement déroulé. Je suis très fier de cette session qui mélange avec tact et intelligence le Blues et la Soul. Twist avait séparément enregistré la partie orchestre, je ne suis venu qu’après pour faire la partie voix. Nous avons travaillé dans son studio qui est équipé de formidables appareils « vintage ». Réellement, cette rencontre a été à tous les niveaux très bénéfiques pour moi. Il m’a fait parfois – et à juste titre – sortir de ma zone de confort, mais tout en respectant qui j’étais musicalement. Après quelques précieuses indications de sa part, l’enregistrement s’est parfaitement déroulé, je garderai un merveilleux souvenir de notre collaboration. L’album a reçu de très bonnes critiques ici aux États-Unis, mais aussi venant de nombreux pays européens, je n’en reviens toujours pas ! Twist Turner connaît toutes les facettes de ce métier ; il a joué avec les plus grands bluesmen, mais il connaît également vraiment bien le monde de la Soul. C’était la personne idéale pour mener à bien ce projet. J’espère vraiment qu’après ce funeste épisode pandémique, je pourrai sur scène mettre en avant toutes ces compositions sur lesquelles nous avons travaillé ensemble.

Gerald McClendon avec le guitariste Carlo Basile du King Of Soul band. Photo © John R. Boehm (courtesy of Gerald McClendon).

Musique et pandémie

La situation ici comme partout sur la planète est dramatique, les clubs sont fermés, les festivals reportés au mieux à l’année prochaine. On a vraiment du mal à voir en ce moment le bout du tunnel… Alors, il faut réfléchir, se réinventer en attendant des jours meilleurs. Quelques musiciens font des sessions depuis chez eux sur Facebook, d’autres – dont je fais partie – ont opté pour aller jouer dans les jardins des maisons aux beaux jours, ce que l’on appelle des « backyard parties », qui ici sont très populaires. Nous sommes à l’air libre, nous respectons les distanciations et le public – qui est de fait peu nombreux – porte un masque. L’hiver, il faudra penser à autre chose. Beaucoup de mes amis ont déjà joué en Europe et plus spécialement en France. Je sais que vous avez des événements musicaux importants où la Soul et le Blues sont les bienvenues, je rêve de venir chanter à Paris… Beaucoup d’entre nous sont désemparés face à cette situation infernale. Chicago musicalement a tout pour réussir, sans flagornerie nous avons ici les meilleurs musiciens du pays, sans même parler des studios. Souvent on me dit : « On va partir enregistrer à New York ou en Californie, j’ai engagé tels musiciens à Los Angeles… », alors que nous avons ici ce qui se fait de mieux ! J’espère que nous sortirons de ce cauchemar au plus vite afin que toutes les musiques qui font l’âme de Chicago retrouvent la place indispensable qu’elles avaient auparavant au sein de notre cité.


Par Jean-Luc Vabres
Remerciements à Twist Turner (twistturner.com) et à Betsie Brown (blindraccoon.com)