Jazz Me Blue

Cyril Neville (à droite) avec les Wild Tchoupitoulas, Chickie Wah Wah, New Orleans, octobre 2024. Photo © Stéphane Colin

Pray for Chickie Wah Wah !

• Un mardi matin d’automne qui s’étire dans une chaleur tropicale… Un octobre rouge à New Orleans… La marche dans les rues de la ville se fait à un rythme d’escargot, lascive, décalée ou déhanchée, selon la souplesse du moment…

Les premières images du King Creole d’Elvis avec ses balcons paresseux de début de matinée pourraient avoir été tournées la veille qu’on en serait pas plus surpris : « Le passé n’est jamais mort. Il n’est même jamais le passé » ; une phrase Faulknerienne qui semble écrite pour le lieu…

On n’en demeure pas moins plein d’admiration devant le jeune homme qui arpente les trottoirs bardé d’un imperméable et de bottes en caoutchouc… Un sauna à lui tout seul et, malgré tout un style, une démarche en totale adéquation avec le « rhythm’n Groove » local. On repense au Such à Night de Dr John joué dans le square Lafayette quelques jours auparavant par l’impeccable trio du pianiste organiste Joe Krown agrémenté par les éraillures vocales de Papa Mali. La rythmique formée par la basse de Cassandra Faulconer et la caisse claire d’Eric Bolivar suffirait à tamponner l’improbable passeport de marche nécessaire pour éviter de tomber dans un trou ou se fouler la cheville dans une contrefaçon de ciment…

De gauche à droite : Cassandra Faulconer, Eric Bolivar, Joe Krown. New Orleans, octobre 2024. Photo © Stéphane Colin

Les plumes des Indiens de Mardi Gras des Wild Tchoupitoulas ramènent à cette légèreté rythmique, à ses tambourins qui claquent au tout dernier moment du temps pour mieux vous transpercer le corps… et éviter les caprices du goudron. Accompagner le tranfert dans la huitième décade d’un des leurs, le grand Cyril Neville des légendaires Neville Brothers, confine au passage obligé. Voir le grand chanteur et percussionniste se mouvoir avec la grâce et l’énergie de « trois Mick Jagger » a quelque chose de rassurant. Au Chickie Wah Wah, tout en haut de Canal Street, les surprises sont nombreuses et fusionnelles. Le tromboniste Big Sam rejoint Cyril le temps d’un set de funk à faire sampler de plaisir tous les rappeurs de la Cité du Croissant. Une ambiance, un feeling particulier flottent ici et nombreux sont les artistes de passage à y avoir fait une halte. Tom Jones y a ainsi régulièrement retrouvé une de ces personnalités atypiques dont la ville est friande.

De gauche à droite : ???? et Cyril Neville, Chickie Wah Wah, New Orleans, octobre 2024. Photo © Stéphane Colin

Arrivé dans la fin des années 1980, le pianiste chanteur d’origine anglaise Jon Cleary a d’abord commencé par repeindre les murs d’un autre club, le Maple Leaf, avant de rejoindre sur scène les Georges Porter, Leo Nocentelli et autre Snooks Eaglin… Développant un style personnel se nourrissant de la chaloupe de l’imparable quatuor à touches d’ivoire  – Professor Longhair, James Booker, Dr John, Allen Toussaint – il n’a pas tardé à devenir l’un des musiciens importants de la ville. Le retrouver en solo au Chickie Wah Wah peut faire office de pèlerinage. Pas pour rien qu’une partie de la ville y squatte régulièrement les premiers rangs. L’homme est à même de passer de la ballade poignante au Rhythm and Blues endiablé en un instant. Sa faculté à saisir la substantifique moelle des standards du répertoire, à se les approprier, se mesure pleinement dans ses instants solitaires.

Jon Cleary, Chickie Wah Wah, New Orleans, octobre 2024. Photo © Stéphane Colin

La nostalgie semble soudre des vieux murs de l’endroit… Priez pour le Chickie Wah Wah, ce club en vaut la peine !


Par Stéphane Colin