Little Sonny

Litte Sonny chez lui à Detroit, 13 mai 2023. Photo © Lola Reynaerts

Harmonica Funk Blues Man

• C’est lors d’un week-end à Detroit en mai 2023 que j’ai eu la chance de rencontrer Little Sonny, harmoniciste et chanteur maintenant retiré de la scène, mais qui reste un icône pour beaucoup d’amateurs. C’est dans sa jolie maison bleue qu’il a accepté de partager ses souvenirs musicaux et ses moments importants lors d’un entretien chaleureux que je vous livre ici.

Présentations…
Je m’appelle Aaron Willis, allias Little Sonny. Je suis né en 1932 à Greensboro en Alabama. J’ai grandi avec Elmira Willis, ma mère, et avec ma grand-mère Elisabeth Rainer. Je n’ai pas connu mon père. Mon arrière-grand-père, James Moseley, était esclave dans le Sud. Ma grand-mère a acheté un terrain qui porte maintenant mon nom et que je possède. J’ai quitté l’Alabama quand j’avais une vingtaine d’années pour m’installer à Detroit, mais j’y retournais de temps en temps m’occuper de ma mère, jusqu’à ce qu’elle décède. J’ai acheté la maison dans laquelle nous sommes en 1967 pour ma femme et moi, cela fait presque 60 ans que je vis dans la même petite maison au coin de la rue. Je suis un « mixed-race » comme on dit dans le Sud, moitié indien et moitié noir… Je suis fier de mes origines et heureux de l’éducation que j’ai reçue.

Little Sonny au Great Lakes Folk Festival, east Lansing, Michigan. Photo © Robert Barclay

• D’où vient le surnom de Little Sonny ?
Ma maman me donnait le surnom de “Sonny Boy”. Ensuite mes amis m’ont appelé “Sonny”. Quand j’ai débuté avec mon premier groupe, mon nom de scène était Sonny Boy Willis et ensuite je me suis dit qu’il y avait déjà un Sonny Boy, mais pas de “Little”, donc j’ai commencé à chercher, il y avait déjà Little Milton, Little Richard, Little Willie John. Et Little Sonny est né…

Little Sonny, Photo promotionnelle Duke Records. Photo DR (collection Gilles Pétard).

• Comment avez-vous débuté l’harmonica ?
J’ai eu mon premier harmonica à l’âge de sept ans. Ma maman m’a acheté un harmonica en plastique à 5 cents. Je me suis réveillé le matin de Noël avec un harmonica et une pomme sur une chaise, j’ai mangé ma pomme et ensuite j’ai regardé mon harmonica qui est devenu mon compagnon. Il était presque comme mon meilleur ami, je pouvais jouer, apprécier sans être dérangé par quiconque, lui ne m’ennuyait jamais. C’était comme parler à une autre personne, car le son que j’envoyais me revenait, j’avais une discussion avec lui. C’était toujours très spirituel et amusant de jouer, mais jamais je n’aurais pensé devenir un harmoniciste professionnel (1).

Little Sonny & His Rhythm Rockers. De gauche à droite : James Jamerson, Little Sonny, Robert Kimble, James Crawford. Apex Bar, Detroit, 1964. Photo DR (courtesy of Little Sonny and P-Vine Records).

• Vous êtes aussi photographe ?
Oui. J’ai commencé à réaliser des photos en Alabama lorsque j’ai vu pour la première fois un appareil Kodak et cela m’a fasciné. J’ai acheté un Polaroïd, car l’instantané me procurait de la magie, tu cliques sur un bouton et tu vois apparaître ta photo directement ; pour moi c’était fantastique et nouveau. Lorsque j’ai déménagé pour Detroit, j’allais de club en club les vendredis et samedis. J’ai pris des photos de Sonny Boy Williamson II, Eddie Burns et tous ces artistes de Blues qui venaient jouer dans ma ville. Je mettais mes Polaroïd dans un cadre, je les vendais 50 cents et je me faisais plus d’argent en vendant mes photographies le week-end qu’en une semaine en travaillant dans un garage à laver des voitures et des motos ! Ce que j’aime dans la photographie, c’est qu’elle transmet un message… Un jour, un fan est venu me donner une photo alors que je travaillais dans un bar qui s’appelait “Soup Kitchen”, une photo de moi sur scène où l’on voit un couple blanc assis à une table et un couple noir assis à une autre, leurs émotions et leurs expressions étaient les mêmes, ils étaient heureux, ils ont oublié tous les soucis qu’ils pouvaient avoir dans leur vie l’espace du concert et j’aime voir ce regard dans les yeux des spectateurs… À cette époque-là, rien ne me faisait plus plaisir.

Little Sonny, Lucerne Blues Festival 2006. Photo © Dragan Tasic (www.nga.ch)

• Comment avez-vous débuté professionnellement ?
C’est en voyant tous ces artistes que j’admirais que j’ai réalisé que je pouvais faire de ma musique mon métier (2). C’est ainsi que j’ai eu ma première expérience scénique professionnelle en jouant dans le groupe de Washboard Willie. Lorsque Willie s’est rendu compte que je jouais de l’harmonica, il m’a demandé de jouer avec lui sur scène. C’est là que le propriétaire du club m’a remarqué et m’a demandé de jouer dans son club. Je lui ai demandé combien il payait et il m’a répondu : « 10 dollars la nuit ». Il m’a engagé et me payait pour accompagner Washboard Willie. À cette époque-là, les week-ends à Detroit étaient très animés. J’ai quitté Washboard Willie lorsqu’un autre propriétaire de bar m’a proposé de jouer pour 20 dollars la nuit dans son club avec Chuck, le pianiste et Mr. Bo, le guitariste de Washboard Willie. Chuck trouvait que j’étais un excellent leader, c’est à ce moment-là que j’ai réalisé que je pouvais l’être et j’ai démarré mon propre groupe qui portait mon nom : “Little Sonny”.

Little Sonny, photo promotionnelle pour Glynn Enterprise. Photo DR (collection Robert Sacré).

• Comment qualifiez-vous votre musique ?
On m’a de suite considéré comme un artiste de Blues car j’interprétais des chansons de Sonny Boy Williamson II, Little Walter, John Lee Hooker, Muddy Waters, mais j’ai aussi joué du funk avec les Funk Brothers de Motown, parfois je jouais même du Jazz à l’harmonica. Mon surnom au Japon est “Little Sonny The Harmonica Funk Blues Man” ! J’y suis allé la première fois en 1994 ; ils m’ont tellement apprécié là-bas que j’y suis retourné l’année suivante. Ils m’ont donné ce surnom car j’ai terminé mon concert avec la chanson Thank You de Sly & The Family Stone. J’ai appris à dire merci en Japonais, donc je terminais ma chanson par « Arigato for letting us being ourselvestonight » ; ils ont été surpris lorsqu’ils ont entendu cette phrase et mon surnom est venu de là. L’un de mes fils, Aaron Willis Jr., qui est aussi mon guitariste, a écrit une chanson : Little Sonny Harmonica Funk Blues ; il en a écrit la musique et j’ai écrit ma partie à l’harmonica. Lorsque j’ai commencé à enregistrer pour Stax Records, Les Bar-kays m’ont demandé s’ils pouvaient enregistrer l’album Black & Blue avec moi car ils aimaient ce mélange de Blues, Jazz et Funk, sur ce même album j’ai aussi repris Wade in the Water, un spiritual, dans la version de Ramsey Lewis, et je l’ai joué en scat. Pour l’anecdote, cet album a été dédié à ma maman ; j’ai pu le lui offrir, lui montrer comment fonctionne un tourne disque et l’écouter avec elle.

De gauche à droite : Little Sonny et ses fils Anthony (batterie) et Aaron Jr. (guitare),
Saint-Louis Blues Festival 1997. Photo DR (collection personnelle Little Sonny).

• Quelles furent vos influences musicales ?
J’étais avant tout un chanteur de spirituals, je chantais dans l’église de mon village. Ma maman ne m’a jamais permis de chanter le Blues ; pour elle c’était sale, c’était le diable. Elle écoutait du Country & Western à la radio et, lorsque j’ai grandi, j’ai découvert que le Country & Western était la même chose que le Blues, mais ma maman ne le savait pas, donc j’ai commencé à chanter cela et ça ne la dérangeait pas. Le Blues c’est la même chose que le Country & Western… Un autre format, mais on joue le même rythme, les mêmes mesures, les mêmes changements. Peut-être que les paroles sont différentes. Je pense que le Blues n’a jamais été apprécié à sa juste valeur. Je suis un chanteur de Blues mais je joue du Jazz, du Funk, des spirituals avec mon harmonica et mon fils m’a dit un jour : « Papa, tu joues de la musique ! ». Il ne me classifiait pas dans tel ou tel style, mais la musique simplement. J’ai joué avec des artistes qui lisaient la musique, moi je ne savais pas. J’ai appris à compter grâce à Sonny Boy Williamson II. Il m’a dit : « apprends à compter et tu sauras comment jouer avec les autres musiciens ». La musique, c’est la même chose qu’une équipe de baseball, c’est une équipe où tu dois apprendre ta position, apprendre comment jouer de ton instrument et c’est ce que j’ai fait. Je sais comment organiser ma musique, je sais compter ma musique, je sais si je joue 8 mesures, 12 mesures, 24 mesures, mais avant d’apprendre tout ça j’ai eu la chance de rencontrer Sonny Boy. Personne avant ne m’avait dit que je devais apprendre comment compter. Tu dois aussi ressentir ce que tu joues, c’est comme ça que Little Walter a écrit sa chanson Blues With a Feeling. La musique c’est mathématique, c’est jouer avec les nombres. Cela a fait de moi un meilleur musicien et m’a permis de réorienter ma musique, j’ai repris des chansons à l’harmonica d’artistes de jazz tels que Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Jimmy Smith… J’ai mes propres modèles, tout comme Little Walter, Sonny Boy, Deford Bailey. Bailey est un harmoniciste influent dans la musique country et blues ainsi qu’un des premiers artistes les plus populaires du Grand Ol’ Opry, il a été le premier harmoniciste que j’ai entendu et mon premier professeur. Il jouait avec des musiciens blancs, quand je l’écoutais je pensais entendre un homme blanc jouer et, des années plus tard, j’ai appris qu’il était noir (je n’aime pas ces termes noir et blanc, je nous considère tous comme des êtres humains). Je l’entendais faire le son du train à l’harmonica et il avait ce groove funk puissant et profond. Ça me prenait au tripes, je pense que si tu ne l’apprécie pas, tu dois être mort, car ça doit se ressentir dans ton corps, c’est comme ma chanson The Creeper Returns, j’y ai mis cette énergie qu’on retrouve chez cet artiste. Même si j’ai beaucoup été influencé par DeFord Bailey, je voulais que l’on reconnaisse le son que j’avais créé. J’ai créé ma propre identité. J’ai je crois emmené mon harmonica dans une autre dimension.

Little Sonny, Lucerne Blues Festival, Suisse, novembre 2006. Photo © Marcel Bénédit

• Avez-vous rencontré Little Walter ?
Oui, je l’ai rencontré ; malheureusement dans de mauvaises circonstances… J’ai dû le remplacer lors d’un concert à Detroit devant une salle comble. Il était saoul et en train de se battre cette nuit-là. Je connaissais toutes ses chansons, donc lorsque les organisateurs m’ont demandé de le remplacer, je n’ai pas hésité une seule seconde. J’aurais dû hésiter, car j’attends toujours mon argent… C’est très dur de rencontrer ton héros dans ces circonstances. Les rôles étaient inversés, c’est de lui que j’attendais quelque chose et non l’inverse. J’ai été très déçu, mais cela m’a beaucoup appris. À ce moment-là, j’étais barman et j’ai pris congé pour pouvoir remplacer Little Walter. Ma déception n’empêche pas de garder mon admiration pour cet artiste, c’est dommage qu’il soit tombé ainsi dans l’alcool.

• La relation avec Albert King
Une autre expérience avec l’un de mes héros dont je me rappellerai toujours est celle avec Albert King lors de l’enregistrement de Love Shock chez Excello Records. Lors de l’enregistrement, il avait un colt 45 à côté de lui. J’avais peur qu’il me tue si je faisais une note de travers. Mes deux fils étaient à mes côtés ce jour-là, mon plus jeune avait seulement 17 ans, c’était son premier enregistrement en studio et aujourd’hui il s’en souvient encore. La première fois que j’ai rencontré Albert King, c’était chez Stax. Il m’a regardé d’un air arrogant en me demandant qui j’étais et ce que je faisais là, je lui ai répondu : « Je suis Little Sonny, Sir ». Il m’a dit  avec une voix grave et sèche qu’il n’avait jamais entendu parler de moi et je lui ai répondu : « Vous entendrez parler de moi » et, quelques temps après,il était en studio avec moi et mes deux fils enregistrant ma chanson… La vie peut être drôle parfois. Nous avons été amis ensuite.

Little Sonny et son fils Anthony, Detroit, mai 2023. Photo © Lola Reynaerts

• Quelles ont été vos relations les plus marquantes avec vos différents labels ?
Mon bassiste, Jameson, a réussi à m’obtenir une interview avec Berry Gordy, le propriétaire de Motown Records et Gordy m’a dit qu’il ne savait pas quoi faire de moi… Je n’oublierai jamais ce moment, car moi je savais quoi faire et il ne m’a pas donné cette chance. Ensuite, Bill Williams de WCHB a perçu du potentiel chez moi, il m’a conduit jusqu’à Atlantic Records, mais le deal n’a pas fonctionné. C’est alors que j’ai rencontré Al Bell, qui était le producteur musical chez Stax Records. Grâce à lui, j’ai pu enregistrer trois albums : « New King of the Harmonica » en 1969, « Black & Blue » en 1971 et « Hard Goin’Up » en 1973. Il a toujours eu la décence de me demander comment je voyais les choses pour mes chansons, il ne m’a jamais dit quoi faire. J’ai pu enregistrer une deuxième fois mon titre The Creeper Returns. Je l’avais enregistré la première fois en 1966 sous le nom de The Creeper chez Revilot Records mais les arrangements ne me plaisaient pas, l’arrangement de la batterie ne correspondait pas à mes attentes. Lorsque j’ai pu l’enregistrer chez Stax trois ans plus tard sur mon album « New King Of The Harmonica », j’ai eu la chance d’enregistrer avec Eddie Willis du groupe Funk Brothers et il a eu ce petit je ne sais quoi que je recherchais, on y a ajouté du funk à la batterie et j’étais heureux de cette nouvelle version. Al Bell a mis un harmonica chromatique en couverture de l’album, alors que je joue avec un harmonica diatonique !

• En 1965, vous avez enregistré un album live : « Little Sonny Archives », publié chez P-Vine à Tokyo. Personnellement je le trouve extraordinaire. Qui sont les musiciens sur cet album ? Sur certains standards de cet album vous chantez mais vous ne jouez pas de l’harmonica donc comment faites-vous ces choix ?
C’est avec mon premier groupe que j’ai enregistré cet album. Le batteur c’est James Crawford, Eddie Burns – dont j’étais littéralement fan –  jouait de la guitare sur certaines des chansons ainsi que Robert Kimble ; des musiciens qui jouaient avec moi et mon groupe. On l’a enregistré au Apex Bar. J’ai tout fait moi-même sur cet album, j’étais l’ingénieur du son, j’ai enregistré la bande sur mon propre enregistreur avec mon propre label. Avant tous les concerts,je faisais une set-list des chansons que je voulais jouer. Si j’avais dix titres, les musiciens et moi les répétions avant le concert et on savait tous ce qu’on allait jouer. Parfois, l’harmonica venait spontanément dans une chanson, mais seulement si j’étais certain que les autres pouvaient me suivre. Je pouvais au milieu d’une chanson changer pour une autre, mais toujours une chanson qu’ils connaissaient.

Little Sonny (à gauche) et Eddie Burns (à droite), Detroit, 1965. Photo courtesy of Jacques Demêtre.

• Comment avez-vous appris que le groupe Wu Tang Clan s’était approprié votre chanson The Creeper Return ?
Mon fils l’a découvert. Dès que je l’ai su, j’ai ouvert ma tablette et j’ai entendu une de mes chansons, The Creeper Return. Mon fils m’a dit qu’ils avaient non seulement enregistré ma chanson, mais qu’ils en avaient également modifié le titre : c’est devenu Slow Blues » en faisant un rap avec mon propre harmonica. Le pire dans tout ça, c’est qu’ils ont affirmé que c’était leur chanson ! Ils ne voulaient pas aller devant la cour, donc ils m’ont fait une offre, deux offres, trois offres… Quand ils ont enregistré ma chanson, ils pensaient que j’étais mort et donc qu’ils avaient tous les droits de me la voler. Heureusement que j’avais un droit d’auteur dessus, j’ai pu engager un avocat et après deux ans nous avons gagné le procès. Ils ne reviendront plus m’embêter après ça, Little Sonny est encore en vie et surtout qu’on ne plaisante pas avec ma musique !

• Vous avez évoqué le Japon, mais quid des tournées européennes ?
Les deux années aux Japon ont été géniales, mais à côté de cela je n’ai malheureusement pas beaucoup tourné en Europe car les conditions qu’ils m’imposaient ne me plaisaient pas. Je voulais tourner avec mon groupe, mais ils voulaient m’imposer les musiciens du coin que je ne connaissais pas. Que je sois dans mon pays ou ailleurs, j’aime être accompagné par mes musiciens car ils connaissent ma musique et je tenais à présenter un bon concert pour les spectateurs qui venaient me voir et qui avaient payé leur place. Eddie Burns était l’un de mes meilleurs amis, il jouait souvent dans des clubs en Europe et se produisait régulièrement avec des musiciens différents, ce qui ne correspondait pas à ce qu’il voulait offrir sur scène. C’est pour cette raison que je ne suis jamais allé ailleurs qu’en Suisse car je ne pouvais pas y emmener mon groupe (3).

Little Sonny au Great Lakes Folk Festival, east Lansing, Michigan. Photo © Robert Barclay

• Jouez-vous encore parfois de l’harmonica ?
Je pourrais si je le voulais car c’est ma vie. Je saurai en jouer jusqu’à la fin et j’aurai bientôt 91 ans ! Avant de mourir, ma femme Maggie m’a dit qu’il était temps pour moi d’arrêter la scène et de rentrer à la maison me reposer, avant de mourir sur scène… J’ai aussi pris une pause de près de vingt ans dans les années 70 car je travaillais à plein temps, j’écrivais, j’essayais d’éduquer deux fils, deux filles et je ne savais plus qui j’étais, j’ai eu besoin de retrouver mon identité. Je n’ai jamais connu mon père mais il m’a appris une chose : ne jamais renoncer à sa famille et ses enfants. J’ai eu l’opportunité de partir en tournée mais cela voulait dire renoncer un temps à ma famille et je n’ai pas accepté ça. Néanmoins, ces années-là, alors que je donnais tout ce que j’avais à mon public, je les rendais heureux quand ils venaient à mes concerts et ils me rendaient heureux, mais l’argent ne suivait plus… Les propriétaires devenaient radins et j’ai eu besoin de me protéger de tout ça, prendre du recul et me retrouver. Je suis encore, lorsque je te parle, dans la fédération des musiciens américains, je suis un musicien Hall Of Fame. J’ai travaillé avec tant de musiciens, B.B. King, Bobby Blue Bland, Little Milton, Junior Parker, je chéris ces moments, j’ai appris de tous ces musiciens et maintenant, même si le temps va commencer à me manquer, je veux échanger et enseigner ce que je peux aux générations futures.

Little Sonny chez lui, Detroit, 13 mai 2023. Photo © Lola Reynaerts

• Que vous inspire le fait d’avoir 90 ans et une carrière telle que la vôtre ?
J’ai été chanceux dans ma vie. J’ai été célèbre, j’ai pu élever mes enfants en faisant un métier que j’aime. La vie et la musique m’ont appris à être humble et respectueux. Maintenant, je peux me reposer et regarder tranquillement la vie que j’ai vécue et tous ces moments précieux avec de talentueux musiciens. Peut-être que quand on se parle, là, maintenant, quelqu’un dans le monde est en train de jouer ma musique et cela me rend heureux. Cet album « Live Archives » représente qui je suis vraiment et d’où je viens. L’âge, le temps m’a permis d’être meilleur. Je suis un vieil homme maintenant, mais ce vieil homme a parcouru de nombreux kilomètres et aujourd’hui je peux m’asseoir et je me demande comment j’ai pu faire tout ça en une seule vie. Je suis bien dans cette maison que j’ai aménagée moi-même avec mes deux fils qui viennent me rendre visite de temps en temps, mes deux filles sont retournées en Alabama. On me dit souvent que je n’ai pas l’air d’avoir 90 ans car je me tiens toujours debout et j’ai toujours la tête sur les épaules. J’ai été chanceux d’avoir la musique et Dieu à mes côtés.

Bobby Rush m’a dit un jour : « Man, you are different ! » (mec, tu es différent !).


Notes :

(1) Little Sonny écoutait le Grand Ol’ Opry à la radio et essayait de copier le style de l’harmoniciste DeFord Bailey.
(2) Après avoir déménagé à Detroit, Little Sonny découvre que l’on peut gagner de l’argent en tant que musicien. Il se compte de son potentiel après avoir vu Sonny Boy Williamson II (Rice Miller) se produire dans une boîte de nuit de Detroit. « C’est lui qui m’a vraiment inspiré pour jouer professionnellement » – dira t’il – « Quand j’ai vu ce type jouer et gagner de l’argent, je me suis dit : si ce type peut le faire, je peux le faire ».
(3) Little Sonny fut l’invité du Lucerne Blues Festival en novembre 2006 où il se produisit avec son band : Anthony Willis (basse), Don Whyte (claviers), Aaron Willis Jr. (guitare), Dwayne Lomax (batterie).


Par Lola Reynaerts
Merci à Ronnie Shellist d’avoir permis cette rencontre.