Muddy Gurdy

Muddy Gurdy. Photo © Yannick Demaison

« Homecoming »

• « Homecoming est une réflexion sur le croisement des racines rurales du Blues avec celles des musiques traditionnelles de nos campagnes d’Auvergne » (Muddy Gurdy). Sans approfondir, on pourrait penser que ce projet est une xième manière de « s’approprier » le Blues pour y mettre sa touche personnelle ? La démarche de Muddy Gurdy est évidemment toute autre : à la fois intelligente, originale et profondément humaniste.

À côté de projets récents menés par certains musiciens afro-américains visant à relier la musique qu’ils jouent à ses racines africaines, le propos du trio Muddy Gurdy n’est évidemment pas de prétendre que les racines du blues du Mississippi et celles des musiques populaires d’Auvergne s’abreuveraient aux mêmes sources ou seraient semblables, ce serait stupide.

Tia (guitare et chant / Muddy Gurdy), chapeloune de Vassivière (63), août 2020. Photo © Marc Glomeau

Dans leur précédent album – « The Muddy Gurdy Mississippi Project » – le trio Tia Gouttebel (guitare-chant), Marc Glomeau (percussions) et Gilles Chabenat (vielle), était parti enregistrer dans le North Mississippi Hill County et le Delta avec des descendants de bluesmen emblématiques de la région : Cedric Burnside (petit-fils de R.L. Burnside), Sharde Thomas (petite-fille d’Otha Turner), Cameron Kimbrough (petit-fils de Junior Kimbrough) et Pat Thomas (fils de James Son Thomas)
(cf. ABS Magazine #56, août 2017).

Gilles Chabenat (vielle, à gauche) et Louis Jacques (cornemuse, à droite). La Comédie, Clermont-Ferrand, novembre 2021. Photo © Rémi Boissau

Après cette aventure, il était presque « logique » de concevoir – en retour – un projet autour du blues du Mississippi, cette fois non plus avec des musiciens américains, mais avec des musiciens auvergnats. La vieille, instrument emblématique de la musique auvergnate, est un lien essentiel entre ces projets, avec Gilles Chabenat dans le rôle du « passeur » entre blues du Mississippi et musique auvergnate : «  La musique qu’on joue n’est pas née ici, mais elle pourrait l’être », dit-il.

C’est tout le propos de « Homecoming » réalisé avec des musiciens régionaux qui ont une excellente connaissance des musiques traditionnelles auvergnates, tout en portant un regard neuf sur ces musiques : garder « l’identité blues » du projet.

De gauche à droite : Marc Glomeau (percussions), Maxence Latrémolière (chant) et Tia (guitare). La Comédie, Clermont-Ferrand, novembre 2021. Photo © Rémi Boissau

L’enregistrement de l’album s’est déroulé dans des endroits aussi insolites qu’un cratère de volcan en pleine nuit ou une ferme isolée près du lac du Guéry. Cette nature omniprésente, la puissance des volcans…, ou quand le lieu où on naît et où on vit nous habite et fait partie intégrante de la musique qu’on joue. (1)

De gauche à droite : Marc Glomeau (percussions), Maxence Latrémolière (cornemuse), Louis Jacques (cornemuse), Tia (guitare), Guillaume Vargoz (harmonica), Gilles Chabenat (vielle). La Comédie, Clermont-Ferrand, novembre 2021. Photo © Rémi Boissau

Le 5 novembre 2021, sur la scène de La Comédie à Clermont-Ferrand, on réellement pouvait toucher du doigt ce que les trois musiciens de Muddy Gurdy et leur équipe avaient souhaité transmettre. Du Lord Help d’ouverture au You Gotta Move de rappel avec tous les invités, ce concert restera dans les esprits de ceux qui eurent la chance d’y assister. Un moment de pure magie. Blues et musique auvergnate flirtant en permanence, partageant leurs histoires, additionnant leur intensité. Les interventions de Louis Jacques à la cornemuse sur Down In Mississippi, de Guillaume Vargoz à l’harmonica en son naturel (comme dans les estives d’autrefois) sur Black Madona, ou encore de Maxence Latrémolière et son chant issu du briolage (chant de labour du XVIIIe siècle qui consistait à chanter pour bercer la cadence de l’attelage des bœufs et à « désennuyer » le laboureur) sur Afrobriolage ou Land’s Song, furent autant de témoignages de l’interconnection parfaite de ces musiques.

Maxence Latrémolière et Tia. La Comédie, Clermont-Ferrand, novembre 2021. Photo DR, courtesy of Muddy Gurdy.

Qui aurait pensé que le boogie ou le blues fonctionnaient si bien avec la bourrée ? Il suffit de regarder les frères Champion (2) danser sur I Gotta Move de Fred McDowell pour s’en convaincre (cf. vidéo ci-dessous). Beau et émouvant.

Cette réflexion, qui n’a pour objectif que de mettre en lumière une certaine forme « d’universalité » des pratiques musicales au sein des sociétés rurales, est une totale réussite. Il part évidemment, outre les talents de musiciens de chacun des trois protagonistes à l’origine du projet, d’une réelle qualité d’écoute et d’une grande ouverture d’esprit.

De gauche à droite : Marc Glomeau, Maxence Latrémolière, Louis Jacques, Tia (guitare), Guillaume Vargoz, Gilles Chabenat. La Comédie, Clermont-Ferrand, novembre 2021. Photo © Rémi Boissau

Comme vous l’aurez compris, j’ai été très touché par ce qui nous a été proposé sur scène (et en disque), reflet d’une création artistique à nulle autre comparable. Je laisserai le mot de fin à Stéphane Colin : « Grâce à Homecoming, on sait désormais qu’il existe un Blues auvergnat ».


Notes :
1. Aperçu des lieux d’enregistrement visible dans ce documentaire.
2. Les Frères Éric et Didier Champion sont les créateur des Brayauds. Ils sont musiciens, danseurs, enseignants, collecteurs et ont beaucoup contribué à la transmission des musiques et danses d’Auvergne auprès des jeunes générations. Leur travail sur la bourrée a permis de la sortir du carcan folklorique dans lequel elle était enfermée pour l’élever au rang d’art chorégraphique populaire majeur.


Par Marcel Bénédit
Remerciements à Muddy Gurdy et à Pierre Bianchi (muddygurdy.com)

 

1 Trackback / Pingback

  1. Chronique Homecoming sur ABS magazine

Les commentaires sont fermés.