Neal Pattman

Neal Pattman. Photo © Tim Duffy

Prisoner Blues

• La nouvelle parution du label autrichien Wolf Records – Neal Pattman & The King Bees : « Prisoner Blues (Live From Georgia/USA) » (Wolf 120.945) – nous permet de replonger dans l’univers de Neal Pattman (1926-2005), harmoniciste et chanteur de blues vétéran mis en lumière notamment grâce au travail de Tim Duffy et de la Music Maker Relief Foundation à la fin des années 1990 grâce à la parution de l’album « Prison Blues ».

Neal Pattman prend sa source auprès de Sonny Terry, lui aussi natif de Géorgie. Mais la comparaison s’arrête là, à cette frontière invisible où Neal s’alimente de cette influence pour ré-interpréter à sa façon des standards d’artistes tel que Muddy Waters, Billy Boy Arnold, John Lee Hooker ou encore Slim Harpo, ainsi que sur ses propres compositions bien plus nombreuses qu’il n’y paraît. Son jeu s’inspirait de vieux country blues, de chants de travail et de traditions orales des esclaves afro-américains qu’il écoutait et jouait déjà lorsqu’il était gamin.

De gauche à droite : Taj Mahal, Neal Pattman, Cootie Stark, Pinnacle, NC, 1998. Photo © Tim Duffy

Enfance pauvre dans le vieux quartier de Terry (dans le comté de Madison, en Géorgie), Neal s’adonne aux tâches agricoles avec ses quatorze frères et sœurs jusqu’au jour malheureux où une charrette lui roule sur le bras, lui amputant le bras droit et une partie de ses futures ressources. Mais l’homme ne faiblit pas et, comme son père et son grand-père avant lui (et son neveu après lui, Jackie Payne, qui commence sa carrière de chanteur dans la chorale gospel de son père et  apprend le blues auprès de son oncle), il apprend l’harmonica pour y souffler ses douleurs et celle de son peuple. Un seul bras suffit ! Aux alentours de sa dizaine, il commence à arpenter les rues d’Athens et gagne sa vie en intégrant des cris, des soufflements et autres syncopes orales à son jeu d’harmonica, séduisant de plus en plus de monde jusqu’à sa vingtaine.

Père de famille, l’harmo ne suffit pas encore à nourrir sa petite fratrie et le voilà à bosser, vaillant comme pas deux, sur des travaux agricoles, également videur dans une salle de billard réputée particulièrement violente, pour enfin trouver un job dans les cuisines de l’université de l’UGA. Nous sommes à la sortie de la seconde guerre mondiale et la trace de Neal Pattman se perd doucement dans les méandres de la vie. D’autant qu’il n’a toujours pas enregistré.

De gauche à droite : Neal Pattman et Guitar Gabriel. Photo © Tim Duffy

Il faudra attendre 1989 et une invitation pour jouer au Lincoln Center For The Performing Arts de New York pour commencer à entendre et voir cet homme aussi turbulent que son jeu arpenter les festivals qui le mèneront en 1991 à croiser le chemin de Tim Duffy lors du festival de Jazz Charlotte, en Caroline du Nord.

De gauche à droite : Neal Pattman, Beverly Guitar Watkins, Cootie Stark, Austin, Texas. Photo © Pam Francis (courtesy of Tim Duffy & MMRF).

Directeur exécutif de la Music Maker Relief Foundation, Tim Duffy invite Neal à le rejoindre et commence à le faire jouer avec d’autres artistes associés au label/fondation tel que Guitar Gabriel et Cookie Stark avec qui il formera un duo, participant à une tournée Blues Revival dans une cinquantaine de villes avec Taj Mahal (qui en 1997 devient membre du conseil consultatif, consultant artistique, contributeur et coproducteur pour de nombreux artistes du label. Il jouera un rôle déterminant pour l’obtention de publicités dans la presse écrite mainstream, ainsi que dans la création du Fishin’ Blues Tournament, permettant de collecter des fonds pour la Music Maker).

De gauche à droite : Taj Mahal et Neal Pattman. Photo © Tim Duffy

En 1995, Neal, accompagné de son ami pianiste et du guitariste anglais Dave Peabody, signe un contrat au 100 Club de Londres et enregistre son premier album sous la forme d’une cassette – « The Blues Ain’t Left Yet » – sur Global Village Records et réédité en 2006 sur cd. Blues électrique au programme avec des moments truculents comme Mama Whoopin’ Blues et d’autres un peu poussifs comme son Disco Twist, mais l’album reste de très bonne facture et montre le panel culturel du Georgien.

Derrière de gauche à droite : Deborah & Neal Pattman, Whistlin’ Britches, Machine Hayes, Pink Anderson ; rang du milieu de gauche à droite : Cootie Stark, Captain Luke, Mr. Q, Willa Mae Buckner ; assis devant : Tim Duffy, Charlotte, NC. Photo DR (courtesy of Tim Duffy & MMRF).

« Prison Blues » (Cello Recordings – Music Maker Séries) apparaît dans les rayonnages en 1999 et n’est pas en reste. Ses interprétations toutes personnelles d’un Catfish Blues ou du Bottle up and go de Lead Belly montrent une fois de plus les capacités de l’homme à s’arroger des titres et à en faire une affaire personnelle. Excellent album sur lequel se retrouve Taj Mahal à la basse comme au piano, Cootie Stark à la guitare, Lee Konitz au saxo quand il y en a (Talking About You Baby), jusqu’à Tim Duffy sur la partie guitare de Five Long Years. Petite fête entre amis…

Neal Pattman & Peter Gelling, « It Seemed Like A Dream » sort sur Ben Notes en 2001, mais il ne m’a jamais été donné de l’écouter.

Puis ce petit bijou qui vient de paraître sur Wolf Records. En 1991, Neal fait la connaissance des King Bees, principalement emmenés par Rob Baskerville (guitare) et Penny Zamagni (basse). Neal joue au Rockfish Palace Music Hall en première partie du Chicago Bob Nelson et des King Bees ce soir là et impressionne les deux gars en interprétant, sans accompagnement, une chanson de son enfance, perpétrant la culture d’un Piedmont blues en voie de disparition. Les King Bees invitent Neal à Boone (Caroline du Nord) pour coller sur bande une petite partie du patrimoine culturel mondial. Ce sont ces sessions prises en 1992 qui se retrouvent sur cet album et je veux bien croire Rob “Hound Dog” Baskerville et Penny “Queen Bee” Zamagni quand ils disent que ces chansons ont su capturer le style conversationnel de Neal qui mêle sa voix profonde et résonnante à son harmonica rythmé et expressif. Je ne vais pas m’étendre en arguments poussifs, mais je prétendrai humblement que cet album devrait faire partie des « classiques » du Blues tellement il ne ressemble à aucun autre.

De gauche à droite : Cootie Stark et Neal Pattman. Photo © Tim Duffy

Neal Pattman doit rentrer au panthéon des grands harmonicistes au même titre que son compagnon géorgien Sonny Terry, mais pas seulement. Son jeu si particulier le place sur la même marche que ses prédécesseurs, de Sonny Boy Williamson à Little Walter. Neal Pattman né en 1926, décédera d’un cancer des os en 2005. Le bluesman Neal Pattman fit plus avec un seul bras que bien d’autres avec deux… Amen !


Par Patrick Derrien
Remerciements à Timothy Duffy (www.musicmaker.org)
et à Hannes Folterbauer (www.wolfrec.com)