Sonny Green

Sonny Green. Photo © Julia La Riva

De l’ombre à la lumière

• Après des décennies d’obscurs labeurs en Louisiane, au Texas puis à Los Angeles où il s’installe fin des années 60, le chemin a été plus que tortueux pour que cet artiste trouve enfin en 2020 un début de notoriété méritée grâce à la parution d’un album magnifique : « Found ! One Soul Singer »… Donnons un immense coup de chapeau au label Little Village Foundation qui – sous la houlette de Noel Hayes et du musicien Kid Andersen – a permis au talentueux chanteur d’enregistrer un album somptueux qui va assurément lui permettre de se faire connaître et apprécier par le plus grand nombre. Il était plus que temps !

L’entretien en mode Facetime (puisque tout déplacement aux États-Unis est proscrit à cause de la Covid -19), s’est déroulé depuis le domicile de la sympathique Berverly Shields qui est l’agent de Sonny Green. Noel Hayes – le producteur exécutif de l’album – permis en amont avec célérité de nous réunir très rapidement malgré les neuf heures de décalage horaire. Visiblement heureux que son formidable album le fasse enfin entrer dans la lumière, Sonny Green a bien voulu partager avec nous quelques souvenirs qui ont jalonné sa longue carrière.

Sonny Green. Photo DR, courtesy of Sonny Green.

Mon copain de classe était Mighty Sam McClain

« Je suis né le 29 octobre 1941 dans la ville de Monroe qui est située dans le nord de la Louisiane. Très tôt, la musique a pris une part importante dans ma vie, je me rappelle qu’à l’âge de six ans, ma grande passion était le piano. Dès mon plus jeune âge, je chantais à l’office dominical, je faisais partie de la chorale de notre paroisse ; j’étais jeune, mais la musique était déjà ma plus grande passion, je savais malgré mon jeune âge qu’elle ne me quitterait jamais. Adolescent, comme tant d’autres, je connaissais tous les succès que que les radios diffusaient. J’ai alors intégré la formation du bluesman Melvin Underwood ; c’est lui qui m’a mis le pied à l’étrier ! Ce dernier – qui nous a malheureusement quitté en 2014 – avait une solide réputation, il tournait beaucoup dans les États du Sud, nous avons enchainé beaucoup de concerts. Je savais déjà que ce métier de chanteur était fait pour moi. Je suis resté dans la formation de Melvin une bonne année puis, lorsque j’ai voulu voler de mes propres ailes, c’est mon ami d’enfance Mighty Sam McClain qui m’a remplacé dans l’orchestre. Je le connaissais depuis toujours, nous étions à l’école ensemble, il était originaire de Monroe lui aussi, c’était un formidable chanteur, un talent hors-norme. Avec Melvin, je fus à bonne école ; rapidement j’eus des engagements réguliers dans les clubs, je fis aussi les premières parties de grands artistes qui venaient se produire dans le Sud. J’ai ainsi croisé Johnnie Taylor, B.B. King, Bobby Bland ou encore Little Junior Parker. Souhaitant élargir mon auditoire, je pris la décision de m’installer au Texas où je suis resté une dizaine d’années en me produisant dans de nombreux clubs dans tout l’État avant de m’installer en 1969 définitivement à Los Angeles. »

Sonny Green au 22 avril 2019 au Maui Sugar Mill Saloon, Tarzana, CA. Photo © Orangebob.

Le frère de Z.Z. Hill était mon producteur

« En fait, c’est un disc-jockey d’une radio californienne qui, après m’avoir vu dans un club du Texas, m’aborda après ma prestation et me dit que pour enregistrer et faire une carrière digne de ce nom, il n’y avait que la Cité des Anges qui pouvait m’accueillir et qu’à son avis, après ce qu’il avait entendu ce soir-là, elle ne pouvait que me tendre les bras… Bref, c’était à ses yeux un endroit stratégique et incontournable, je suivis alors son conseil, mis en ordre très rapidement mes affaires et je pris la direction de Los Angeles à la toute fin des années 60, puisque c’était sensé être dans cette ville que tout se passait si l’on souhaitait faire quelque chose d’intéressant dans ce métier. Dès mes valises défaites, je me mis en quête de trouver un club. Il fallait que je trouve un engagement au plus tôt afin de partir sur des bases solides. On me conseilla de tenter ma chance au TIKI Lounge qui était situé sur Western Avenue. Il y avait tous les lundis soirs une scène ouverte où l’on pouvait tenter sa chance. Sur la scène, j’interprétais l’indémodable Steal Away (NDLR : à ce moment-là, Sonny Green se met à chanter ce grand succès… « I’ve got to see you, Not tomorrow, right now… », c’est magique et impressionnant !). Aussitôt le titre terminé, le patron vint me voir et me dit : « OK, c’est bon, je t’engage, tu fais maintenant partie des artistes qui se produisent chez moi ! ».

Sonny Green. Photo © Julia La Riva

Je n’en revenais pas moi-même… Cette soirée fut le point de départ de ma nouvelle vie à Los Angeles. En 1969, j’ai enregistré une session pour le label Fuller Records qui était dirigé par deux frères. Deux 45 tours virent le jour, (NDLR : I Can Ketch But I Can’t Hold / It’s A Game et It’s A Game / People talking about me – Fuller 8156 – 8157). Toutes les semaines, je tournais dans de nombreux clubs. Un soir, Matt Hill – le frère du célèbre Z.Z. Hill, qui était producteur et possédait son propre label – vint me voir et me dit : « J’ai bien aimé ce que tu as fait ce soir… Donne-moi s’il te plait ton numéro de téléphone, je pense que l’on va pouvoir faire quelque chose ensemble… ». Sans illusion, je lui donnai bien sûr ma carte de visite, sans m’attendre vraiment à ce qu’il me recontacte. Le lendemain de notre rencontre, il me téléphonait pour que je vienne le voir à son bureau ! « Je vais te produire, les disques seront publiés par mon label mais également par United Artists ! », me dit-il quelques heures après notre première rencontre.

Sonny Green en club, avec son band. Photo © Julia La Riva

J’ai donc enregistré en 1971 Jody’s On The Run / If You Want Me To Keep On Loving You (MESA 777 / HILL 777) tandis que United Artists éditait Come And See Me / If You Want Me To Keep On Loving You – (UA 50836). Une année plus tard, UA publiait les titres Lock It Up And Don’t Lose It / You’ve Got The Love I Need (UA 50884). Au cours de ces séances pour le compte de Matt Hill, j’ai pu également travailler avec le producteur Myles Greason ; il était extraordinaire lors des sessions d’enregistrements, un très grand monsieur, il a également participé à de nombreux enregistrements aux côtés de Z.Z. Hill. J’ai le plus grand respect pour Myles Greason qui connaît son métier sur le bout des doigts, il a fait équipe avec les plus grands… (NDLR : Sonny Green se met à chanter le tube Down Home Blues... « You said your party’s jumping, And everybody’s having a good time… All I wanted to hear was some down home blues… »).

Mike Greason, photo promotionnelle, DR (collection Jean-Luc Vabres).

D’autres titres virent le jour, toujours sur les labels de Matt Hill comme MHR, Mesa ou encore Hill Records. Je suis entré en studio avec d’excellents musiciens pour graver des morceaux comme I’d Like To Be There / I’m Just You Man, ou encore Don’t Make A Good Boy Go Bad / Don’t Write A Check With Your Mouth. Ces enregistrements m’ont permis de partir en tournée dans tout le Sud et l’Ouest du pays aux côtés de pointures comme Tyrone Davis, Johnnie Taylor, Bobby Bland ou encore Little Milton. »

La vie, l’église, la scène, l’avenir…

« Mais toute cette vie virevoltante sur la Côte Ouest depuis les années 70 et jusqu’à aujourd’hui ne m’a pas fait oublier mes racines, c’est à dire le répertoire sacré, la musique de mon enfance. Une fois par semaine, je me rends à ma congrégation où je participe activement à diverses activités au sein du chœur. Je n’ai jamais cessé de chanter dans les clubs de Los Angeles. Cet album qui vient de paraître sur le label Little Village Foundation – « Found ! The One Soul Singer » –, je le dois à Noel Hayes qui est le producteur exécutif de ce superbe projet. Noel compte beaucoup pour moi, je lui suis énormément redevable. Dans le studio Greaseland, aux côtés de Kid Andersen et entouré de très grands musiciens, l’ambiance était tout simplement extraordinaire. Nous avons tous pris du plaisir et avons donné le meilleur de nous-mêmes. Je pense que cela se ressent à l’écoute des morceaux. J’espère vraiment que cet album m’ouvrira de nouvelles portes. Je rêve bien sûr de me produire en France et en Europe, peut-être que cela sera un jour possible ? En tout cas j’y crois fortement : « I’m ready, ready, ready ! » (NDLR : ajoute t-il dans un grand éclat de rire). »

Sonny Green. Photo © Julia La Riva

Son album « Found ! One Soul Singer » est formidable et incontournable. C’est incontestable. Souhaitons de tout cœur – une fois la pandémie passée – que nous puissions en France, à Lucerne ou ailleurs, applaudir Sonny Green sur scène. Doté d’une classe folle, son style soul-blues indémodable sur des compositions originales ou des reprises est tout simplement extraordinaire, il possède l’étoffe des plus grands.


Propos recueillis par Jean-Luc Vabres
Remerciements à Beverly Shields, Noel Hayes et Kevin Johnson
Toute notre gratitude à Julia La Riva pour son aide précieuse